L'Echo de la Fabrique : 1 janvier 1834 - Numéro 18

Du 1er jour de l’an.

Un écrivain d’un talent supérieur et auquel la presse lyonnaise rend les armes, M. anselme petetin, a émis dernièrement dans le Précurseur le vœu que les étrennes du jour de l’an fussent supprimées et converties en une souscription patriotique et de bienfaisance. Nous ne sommes [1.2]pas de cet avis ; nous allons donner les raisons pourquoi, et le public jugera. La déférence que nous avons pour les lumières du rédacteur en chef du Précurseur, n’a jamais été un obstacle à l’indépendance de nos opinions.

D’abord nous prions qu’on ne se laisse pas séduire par l’idée de philantropie qui a guidé la plume de M. Petetin. On doit être convaincu, pour peu qu’on se rappelle l’égoïsme des hommes, que cette souscription ne durerait pas trois années de suite. Sous un prétexte ou sous un autre, chacun s’en dispenserait, et 1’usage actuel qui lui aurait été immolé ne renaîtrait certainement pas : il en résulterait qu’on aurait détruit une institution sans la remplacer par rien d’utile. Voyons si cette institution mérite d’être conservée.

Nous ne produirons en faveur de cette institution ni une habitude immémoriale, ce qui, nous le savons, n’est qu’une preuve négative, ni même la parole de napoléon, législateur, qui doit être cependant de quelque poids dans la balance ; nous voulons juger cette institution en elle-même, sans nous étayer d’aucune autorité.

Le premier jour de l’an doit être considéré sous les divers rapports de l’industrie, de la famille et de la civilisation.

Sous le premier rapport que nous venons d’indiquer, on ne niera pas que le premier janvier apporte chaque année une secousse à l’industrie, sur laquelle nombre de marchands comptent avec raison. Est-il rationnel de fermer un pareil débouché à l’industrie ? Nous ne voyons pas quelle objection sérieuse on peut nous faire, et même si les souscriptions dont on a parlé, en supposant qu’elles fussent toujours remplies (ce qui ne serait pas), équivaudraient à cette immense activité d’une foule, ou pour mieux dire de toutes les professions industrielles à l’époque du jour de l’an.

Sous le deuxième rapport, celui de la famille, nous dirons sans crainte d’être démentis : L’enfance et la Jeunesse voyent avec délices arriver le premier janvier ; la vieillesse y recueille quelques souvenirs agréables ; enfin la domesticité n’est pas étrangère à ses joies. N’y a-t-il pas de l’inhumanité à rompre cet enchantement qui tient pour quelques jours tant d’êtres sous un charme indicible ? Et pourquoi ?… Laissons de côté les fades complimens des inférieurs à leurs supérieurs, des courtisans à leurs maîtres, peu nous importe à nous… Pourquoi donc ?… Parce que quelques raccommodemens opérés en ce jour ne seront pas sincères… de traîtres baisers auront été échangés… Mais nous dirons : L’hypocrisie est encore un hommage rendu à la vertu… Nous dirons : plus d’une famille réunie en ce jour a abjuré des haines non pas invétérées, mais frivoles… Des époux, des frères se sont rapprochés, les liens de famille ont enfin, quoiqu’on dise, reçu une [2.1]nouvelle force. Cette force sera-t-elle durable ? Peut-être oui, peut-être non ; mais était-il inutile de tenter un essai, et si deux êtres seulement lui doivent le bonheur, le premier janvier ne sera pas stérile. O hommes ! le bonheur est-il donc si commun, que quelques heures ne méritent pas d’être retenues !

Le premier janvier considéré comme fête civile doit encore, selon nous, être conservé. Ne l’oublions pas : les peuples ne sauraient vivre sans morale, les fêtes sont le couronnement de la morale. Nos idées ne sont plus religieuses : il n’y a plus pour nous que des ogives et des vitraux dans les temples que la piété de nos pères éleva. C’est un fait accompli ; nous n’avons plus de foi. La religion n’est plus ; un seul sentiment lui survit : celui de religiosité, qui n’est autre que le rapport de la morale à la divinité ; ne laissons pas éteindre ce sentiment précieux. Gardons-nous de matérialiser davantage l’espèce humaine, et puisque nous n’avons plus, puisque sans foi nous ne saurions avoir de fêtes religieuses, conservons au moins nos fêtes civiles. Le premier janvier en est une importante : que ce jour soit donc consacré à autre chose qu’aux travaux de la vie ; qu’il soit consacré aux visites, il ne sera pas perdu… Qu’une pensée profonde le distingue des autres jours ; car, il enseigne aux hommes qu’ils ont à peine quelques heures pour s’aimer et se le dire, et il se précipite à son tour dans l’abîme du néant. Nous reviendrons un jour certainement aux sublimes conceptions de Sylvain Maréchal et de la Convention. Un jour nous aurons des fêtes civiles qui n’offenseront personnei ; le premier janvier en sera une. Heureux celui qui reçoit et qui donne en ce jour de simples étrennes ! Plaignons celui qui n’aurait personne à visiter.

Notes de fin littérales:

i. Le 21 janvier était une fête abominable, même en la considérant avec nous comme acte de justice. Les fêtes de juillet ne sauraient non plus être éternelles. Nous voulons des fêtes civiles applicables à tous les peuples : DieuDieu, la vertu, l’amour, la vieillesse, etc… voila ce qu’il nous faut fêter par des jours solennels.

 

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