L'Echo de la Fabrique : 25 janvier 1834 - Numéro 25

souffrances d’hiver

Le souffle de l’automne a jauni les vallées ;
Leurs feuillages errant dans les sombres allées
Sur le gazon fleuri retombent sans couleurs :
Adieu l’éclat des cieux ! leur bel azur s’altère,
Et le soupir charmant de l’oiseau solitaire
A disparu comme les fleurs.

L’aquilon seul gémit dans les campagnes nues :
Tout se voile ; les cieux, vaste océan de nues,
Ne reflètent sur nous qu’un jour terne et changeant ;
L’orage s’est levé ; l’hiver s’avance et gronde,
L’hiver, saison des jeux pour les riches du monde,
Saison des pleurs pour l’indigent !

Oh ! le vent déchaîné sème en vain les tempêtes,
Heureux du monde ! il passe et respecte vos têtes :
L’ivresse du plaisir embellit vos instans,
Et, malgré les hivers, vous respirez encore
Dans les tardives fleurs que vos soins font éclore
Un dernier souffle du printemps.

Et le bal recommence, et la beauté s’oublie
Aux suaves concerts de la molle Italie,
A ces accords touchans de grace et de langueur ;
Et bercée à ces bruits qu’un doux écho prolonge,
Votre ame à chaque instant traverse comme un songe
Tous les prestiges du bonheur.

Mais la douleur aussi veille autour de sa proie…
Soulevez, soulevez ces longs rideaux de soie,
Qui défendent vos nuits des heures du matin !
Hélas ! à votre seuil que verrez-vous paraître ?…
Quelque femme éplorée, ou bien encor peut-être,
Un vieillard tout pâle de faim.

Oh ! vous ne savez pas ce qu’on souffre à toute heure
Sous ces toits indigens, frêle et triste demeure,
Où l’aquilon pénètre, et que rien ne défend :
Non, vous ne savez pas ce que souffre une mère,
Qui, glacée elle-même au fond de la chaumière,
Ne peut réchauffer son enfant !

Non, vous n’avez pas vu ces fantômes livides,
Sous vos balcons dorés tendrent des mains avides :
Le bruit des instrumens vous dérobe à moitié
Ce cri que j’entendais au pied de vos murailles,
Ce cri du désespoir qui va jusqu’aux entrailles…
Oh ! pitié ! donnez par pitié !

Pitié pour le vieillard dont la tête s’incline !
Pitié pour l’humble enfant ! pitié pour l’orpheline
Qu’un peu d’or ou de pain sauve du déshonneur !
Ils sont là ; leur voix triste essaie une prière :
Dites, resterez-vous aussi froids que la pierre
Où s’agenouille la douleur ?

Je le demande au nom de tout ce qui vous aime,
Je le demande au nom de votre bonheur même,
Par les plus doux penchans et par les plus saints nœuds ;
Et si ces mots sacrés n’ont pu toucher votre ame,
S’il faut un nom plus grand, chrétiens, je le réclame
Au nom du Christ pauvre comme eux.

[4.2]Donnez : ce plaisir pur, ineffable, céleste,
Est le plus beau de tous, le seul dont il nous reste
Un charme consolant que rien ne doit flétrir ;
L’ame trouve en lui seul la paix et l’espérance.
Donnez : il est si doux de rêver en silence
Aux larmes qu’on a pu tarir !

Donnez ; et quand viendra cette heure ou la pensée
Sous le vent de la mort languit triste, oppressée ;
Le frisson de vos cœurs sera moins douloureux ;
Et quand vous paraîtrez devant le juge austère,
Vous direz : J’ai connu la pitié sur la terre,
Je puis la demander aux cieux !

E... T...

 

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