L'Echo de la Fabrique : 5 février 1832 - Numéro 15

ABUS DU MONTAGE DE MÉTIERS.1

Le plus monstrueux des abus, celui qui a réduit un grand nombre de chefs d'ateliers à la misère, c'est sans doute le montage de métiers, propagé à tel point qu'il ne se passe pas une seule séance du conseil des prud'hommes qu'il ne s'y présente plusieurs réclamations de ce genre ; abus scandaleux qui s'est introduit par la diversité des articles de goût, par la concurrence que les négocians se font entre eux, et surtout par leur avidité à découvrir et à se saisir du genre de leurs échantillons.

Les chefs d'ateliers sont ainsi exposés, depuis plusieurs années, à faire des frais pour monter et ajuster leurs métiers, dépenses qui, suivant les articles, varient depuis la somme de 20 fr. et dépassent quelque fois celle de 100, sans y comprendre les harnais, ustensiles que l'ouvrier est obligé d'acheter, et qui souvent ne lui servent plus à la fin de l'article.

Pour faire une comparaison, je répéterai qu'il arrive souvent qu'un ouvrier, après avoir dépensé 20 fr. pour frais d'ampontage, appareillage, remettage, etc., après avoir passé une semaine pour monter et ajuster le métier, ne tisse qu'une ou deux petites pièces, qui ne produisent qu'une somme de 50 francs après un mois et demi ou deux mois que le métier a été disposé : le négociant ne continue plus de faire fabriquer cet article, et le chef d'atelier a dépensé, comme nous l'avons dit :

Pour son montage : 20 fr.
Payé à son ouvrier pour 50 aunes de façon. : 25 fr.
Enlaçage de cartons, dévidage, cannetage. : 10 fr.
Total : 55 fr.

Par ce compte, le chef d?atelier a dépensé 5 francs de plus qu?il n?a reçu de façon, s?est occupé à ajuster son métier, à corriger les erreurs, soit de la faute du négociant, de l?ourdisseuse ou du liseur de dessins, a fait plus de vingt courses au magasin, qui, en les supposant de trois heures chacune, font un total de 60 heures, ou quatre jours de travail, usé ses harnais et logé son ouvrier. D'après un pareil compte, où nous avons pris pour exemple la plus mince dépense pour frais de montage, et qui peut se multiplier dans la même proportion, soit pour les dépenses comme pour le montant des façons, on n'aura plus de peine à concevoir la détresse des chefs d'ateliers, ainsi que l'urgente nécessité où seront les prud'hommes de fixer une jurisprudence pour servir de base aux défrayemens à allouer dans des cas semblables. Car, dans le cas ci-dessus, nous croyons que le defrayement devrait être de 25 francs, et que le maître-ouvrier y aurait encore perdu. Mais, pour fixer une base qui fût équitable pour tous, et qui pût répondre à toutes les difficultés qui peuvent s'elever, on pourrait fixer le 10 p. 100, appliqué de la manière suivante : lorsque le chef d'atelier aura fait 20 fr. de dépense pour disposer son métier à un négociant, le négociant devra lui faire fabriquer sur la même disposition, au même prix convenu en montant le métier, jusqu'à la concurrence de 200 fr. de façon, et si ce dernier ne peut lui faire fabriquer que pour la somme de 100 francs, il devra lui rembourser 10 fr. ; cette règle serait applicable à toutes les proportions, seulement on pourrait y faire [2.2]exception, dans le cas où le total de la façon serait au-dessous de 50 fr., cas où les dépenses faites par le chef d'atelier doivent lui être entièrement remboursées.

Ainsi, avec de pareilles bases, bien entendues, le négociant pourrait combiner sa disposition avec la durée de sa commission, et l'ouvrier assuré d'un défrayement pourrait disposer son métier au négociant en toute confiance.

Dans notre prochain N°, nous continuerons de discuter sur le même abus, où nous démontrerons l'utilité des conventions, signées des deux parties, toutes les fois qu'un chef d'atelier est obligé, outre ses frais de montage, d'acheter des harnais, qui souvent surpassent du double le montant des façons de l'étoffe que le négociant lui fait fabriquer sur cette disposition.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Joachim Falconnet d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

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