L'Echo de la Fabrique : 5 février 1832 - Numéro 15

AU RÉDACTEUR.

Lyon, le 3 février 1832.

Monsieur,

Vous annoncez, dans votre feuille du 29 janvier, que quelques fabricans de Lyon, se trouvant à Paris, ont [4.2]sollicité du gouvernement diverses mesures en faveur de notre industrie ; qu'ils en ont reçu la promesse de supprimer le droit d'entrée sur les soies étrangères, mais qu'ils n'ont pu obtenir une faible prime de 2 pour cent qu'ils demandaient pour la sortie des articles unis d'un prix moyen.

Je viens, Monsieur, vous communiquer quelques observations sur le résultat des démarches de ces messieurs, vous priant de les insérer dans votre feuille, si vous le jugez à propos.

Il me semble que, puisque le gouvernement est disposé à faire l'abandon du droit, comme encouragement à la fabrique de Lyon, la conversion de son produit en une prime de sortie serait préférable à sa suppression. C'est ce que je vais faire voir.

D'abord, je remarquerai que la baisse que produirait la suppression sur le prix de nos articles, serait trop modique pour avoir quelque influence sur leur consommation intérieure. L'on en sera convaincu tout-à-l'heure, lorsqu'on la connaîtra. Une différence de prix aussi petite serait absolument sans considération pour ceux qui portent des vêtemens de soie.

La question de la suppression du droit ou de sa conversion en une prime de sortie, doit donc être considérée seulement dans ses rapports avec notre consommation extérieure ou nos exportations.

Or, la suppression ne produirait sur nos articles unis, qui ont le plus besoin de protection, qu'une baisse beaucoup moins grande que celle qui résulterait de la conversion. Je crois pouvoir l'établir clairement.

Une première considération s'offre d'abord à cet effet. La soie dégrevée du droit ne pourrait pas baisser d'une valeur proportionnelle à ce droit, parce que le dégrèvement en augmenterait la demande, et en provoquerait ainsi la hausse chez le producteur étranger. Alors, comme il est probable que le bénéfice qu'il procurerait à l'industrie serait partagé à peu près également entre ce dernier et le fabricant français, la soie ne baisserait donc que 2 1/2 p. 100, au lieu du 5, montant du droit.

Après cette première considération, en vient une seconde qui lui est subordonnée. La baisse éprouvée par la soie étrangère, en produirait une autre sur la soie indigène ; mais celle-ci serait moindre que celle d'où elle procéderait, attendu que les besoins de cette dernière qualité de soie sont beaucoup plus considérables que ceux de la soie étrangère.

Ainsi, les articles exportés étant fabriqués avec deux qualités de soie qui auraient supporté deux baisses différentes, dont la plus grande serait de 2 1/2 p. 100, ne jouiraient donc sur la matière dont ils seraient tissés que d'une baisse moyenne, qui, par conséquent, serait moindre que cette plus grande.

L'on trouve ensuite par un calcul approximatif, dont l'analyse serait ici trop fastidieuse, que cette baisse moyenne de la matière ne serait que d'environ 1 3/4 p. cent, et que partant le prix de l'étoffe, qui comprend en outre celui de la main-d'œuvre, ne baisserait à peu près que de 1 1/4 p. cent.

Pour trouver actuellement la baisse que ce prix éprouverait, par la conversion du produit du droit en une prime de sortie, il suffit de connaître la valeur de la soie importée passible du droit, et celle des articles exportés susceptibles de la prime. Il est évident que le taux de la prime serait au taux du droit dans la proportion de la valeur de la soie importée à la valeur des articles ; c'est-à-dire que si, par exemple, la première valeur, celle de la soie, était de la moitié de la seconde, le taux de la prime serait aussi de la moitié de celui du droit, ou [5.1]de 2 1/2 p. cent, ce dernier étant de 5. Et, comme cette proportion paraît être à peu près celle qui existe réellement entre les opérations dont il s'agit, la baisse, ou la protection que l’on obtiendrait de la conversion du droit en une prime, serait donc deux fois aussi importante que celle donnée par sa suppression.

Il est vrai que par la conversion, notre consommation intérieure se trouverait exclue de toute participation au bénéfice qui résulterait de l'abandon du droit par le gouvernement ; mais puisque la faible part qui lui en reviendrait par la suppression serait, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, absolument sans aucune influence sur elle, tout le mérite de la conversion serait, dès-lors, de reporter en entier l'avantage résultant de l'abandon précité, sur nos exportations, qui seules ont besoin de plus en plus d'être protégées contre une concurrence redoutable.

Mais à cette raison décisive en faveur de la conversion, vient s'en joindre une autre qui n'est pas d'un moins grand poids.

J'ai observé précédemment que par la supression du droit la soie qui en serait dégrévée éprouverait chez le producteur étranger une hausse de la moitié du droit environ, et que cependant, par suite de ce même dégrèvement, revenant au fabricant français à un prix un peu moins élevé qu'auparavant, l'importation s'en trouverait aussi augmentée. La France perdrait donc, dans le cas de la suppression, une valeur égale à la moitié du produit du droit supprimé, plus une autre égale à l’augmentation des importations. Je dis qu'elle perdrait la somme de ces deux valeurs, parce que la protection de 1 1/4 pour cent serait trop faible pour produire quelque augmentation dans ses exportations, et lui offrir ainsi une compensation.

Il me paraît donc démontré par les considérations que je viens de présenter :

D'une part, que la suppression ou droit d'entrée ne procurerait à nos exportations qu'un secours illusoire par sa faiblesse et qu'elle ferait sortir de France quelques millions de plus ;

D'autre part, que la conversion du produit du droit en une prime de sortie, serait une protection beaucoup plus efficace, en même temps qu'elle nous sauverait la perte des capitaux qui suivrait la suppression.

Le choix entre ces deux moyens se trouve donc indiqué à la fois par notre intérêt particulier et par celui du pays, ici heureusement encore réunis.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec la plus parfaite considération,

Votre très-humble et obéissant serviteur,

D.....

 

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