L'Echo de la Fabrique : 21 septembre 1834 - Numéro 1

Fabrique d’Etoffes de Soie de Lyon.

La presse populaire doit à son réveil, jetant ses regards en arrière, mesurer la distance qui sépare la classe ouvrière du lieu où elle était arrivée de celui où elle se trouve acculée aujourd’hui ; elle doit énumérer avec impartialité les faits importans qui ont produit cette marche rétrograde. Nous ne pouvons en ce moment remplir cette tâche, nous nous contenterons donc d’indiquer quelques-unes des causes qui en entravant le commerce et la fabrication des étoffes de soie, ont placé négocians et ouvriers dans un état précaire. La première cause de cette stagnation générale se trouve dans l’élévation prodigieuse et successive des matières premières, principalement de la soie. Une spéculation qu’on ne saurait trop flétrir en a élevé le prix à 30 p. % au-dessus du cours ordinaire. Nous n’avons cependant pas appris que l’autorité ait recherché un délit de coalition dans cette manœuvre de hausse faite par quelques hommes, ni même que les négocians victimes se soient plaints de l’audace des marchands de soie. L’autorité est restée muette, les négocians ont imité son silence. ils auraient peut-être jeté les hauts cris, si les ouvriers s’étaient entendus pour faire une hausse de cinq centimes. Il nous appartient de flétrir cette spéculation, et nous ne craignons pas d’appeler l’animadversion publique sur ceux qui en ont été les auteurs. C’est à eux que les événémens désastreux qui ont ensanglanté Lyon sont dûs en grande partie. Tout le monde connaît l’accaparement de soie fait par la maison Marquetti de Milan. Pour y parvenir elle a eu recours aux capitaux de quelques banquiers de notre ville et les lia à son sort ; par leur influence sur tous les marchés de l’Europe, ces messieurs eurent l’art d’attirer et de compromettre bon nombre de vendeurs dont ils devinrent facteurs et débiteurs. Ces vendeurs de crainte de faillite se crurent obligés de maintenir le haut prix de la soie ; par suite de ce calcul machiavélique, une augmentation subite et outre mesure vint au moment même de la récolte, frapper de stupeur le commerce et l’arrêter dans ses travaux. Si la hausse exagérée eut été, comme on s’y attendait généralement, [3.1]suivie d’une baisse, quelques maisons perdaient plusieurs millions, mais le sort d’une population entière était assuré. Le contraire est arrivé, les écus ont fait la loi, eux, qui sans le travail et l’intelligence, ne seraient rien.

Les négocians, pour moins perdre, voulurent appliquer le remède dont l’emploi est devenu immoral, depuis que les ouvriers ont appris à connaître la dignité d’hommes ; ce remède pire que le mal est, on le comprend, l’abaissement du salaire. C’est la seconde cause que nous croyons pouvoir indiquer à la stagnation des affaires.

En février, les ouvriers peluchiers réclamèrent contre la diminution de 25 centimes par aune. Depuis, les salaires ont encore diminué. La hausse de la soie à suivi une marche progressive. Et quoique la baisse du salaire n’ait été que de 50 centimes, environ par aune, elle a été réellement plus forte, à raison de l’emploi des matières inférieures, qui retarde d’autant la fabrication.

Un coup d’œil, sur les différens articles de la Fabrique, trouve ici sa place. Les unis ont eu plus qu’aucun autre article à souffrir de l’augmentation de la soie, et de la diminution du prix des façons. Les lustrés et les satins sont les seuls genres demandés, leur fabrication paraît se soutenir. Les articles de goût légers, marabout, hernani, crêpes, etc., se sont fabriqués en petite quantité, sans suite, et on peut dire sans profit pour le chef d’atelier. Les satins façonnés pour robes et gilets ont obtenu quelques demandes. Néanmoins et à raison de l’élévation du prix des soies, il y a eu mécompte de 10, 25 et même 50 centimes par aune sur les prix de l’année dernière.

Il faut croire que l’élévation du prix de la soie et des matières, première cause de la baisse des façons, a servi ensuite de prétexte pour continuer la baisse.

Deux tiers au moins des métiers employés à la fabrication des schals riches, ont cessé de battre. On ne peut l’attribuer au haut prix des matières. Malgré la création d’un genre nouveau, des dessins riches et variés, malgré l’exposition des produits industriels de la France, qui a eu lieu à Paris, et dans laquelle la Fabrique lyonnaise s’est montrée avec avantage, cet article n’a pu se soutenir. Les chefs d’ateliers de schals ont eu des pertes considérables à supporter, ce qui est facile à comprendre pour ceux qui savent combien est long et dispendieux le montage des métiers dans ce genre. Les velours unis et façonnés sont les seuls articles dont les prix de main-d’œuvre et de vente se soient soutenus ; encore quelques négocians n’ont pu y parvenir qu’en employant dans les unis, du coton pour trame au lieu de la soie, et peut-être en avons nous trop dit ; nous apprenons que depuis une quinzaine de jours les velours sont en baisse principalement les façonnés.

Il résulte du tableau que nous venons de soumettre aux lecteurs, quelque imparfait qu’il soit, que la position du commerce des soieries est critique. Celle des chefs d’atelier et de leurs compagnons ne l’est pas moins. Maintenant réfléchissons que l’hiver est proche. Cette saison toujours onéreuse à la classe ouvrière va la trouver dénuée de provisions, sans assurance d’ouvrage. Que pourra-t-elle lui apporter ? La misère. Détournons notre pensée. De trop pénibles réflexions naîtraient sous notre plume.

 

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