L'Echo de la Fabrique : 28 septembre 1834 - Numéro 2

[1.1]Nous avons annoncé que le journal et le bureau d’indication ne formeront qu’une même et seule entreprise. Nous avons développé dans notre premier N°, quel sera le système d’indication que nous voulons établir : nous devons dire aujourd’hui quel sera l’esprit du journal, la spécialité qu’il devra embrasser, et le but auquel il devra tendre.

Nous dirons ici, toute notre pensée, tous nos projets sans rien déguiser. Quand on ne veut que ce qui est juste, honorable, pacifique, il est inutile, il est même ridicule de faire du mysticisme, de se mettre dans l’ombre pour se livrer à des actions que tout le monde, par leurs résultats, pourra connaître et auxquelles tous les hommes généreux applaudiront.

Nous faisions partie de l’association mutuelliste, ses principes seront notre loi. Le précepte qu’elle avait adopté : Fais aux autres ce que tu voudrais qu’il te fût fait ; nous avons promis solennellement d’en faire la règle immuable de notre conduite, et nous serons fidèles à cet engagement sacré. Nous entrons dans la lice sans être animés par aucune passion haineuse, nous y entrons par devoir, et avec la ferme volonté de travailler constamment à l’amélioration du sort de nos frères ; nous payerons notre tribut au bien-être général, et participerons autant que nos faibles moyens pourront nous le permettre, au mouvement du progrès social dont la marche, peut-être un instant ralentie, mais jamais interrompue. Les décrets de la divinité n’ont pas rendu l’humanité stationnaire !

Lorsque nous avons eu l’intention de fonder un journal et un bureau d’indication, nous avons voulu [1.2]satisfaire à une nécessité ; nous avons voulu suppléer au mutuellisme ; nous avons voulu que l’industrie Lyonnaise ne soit plus en silence livrée à la rapacité, et qu’elle puisse par des avertissemens salutaires, sortir de l’ornière ou une routine la force de se traîner et où l’égoïsme la tue.

Il est à regretter que l’application des principes du mutuellisme n’ait pu suivre son extension. Ce que nous entreprenons aujourd’hui serait établi, des résultats seraient obtenus, et nous serions bien plus avant dans l’avenir.

Si nous avons donné ce nom à notre journal : L’indicateur; c’est que nous avons voulu, par lui, reproduire le service d’indication qui existait dans l’association, ce que chaque indicateur faisait pour une centrale ; ce que les indicateurs de chaque centrale faisaient pour toutes les loges ; le journal le fera pour tous les chefs d’atelier, mieux encore, il le fera pour toutes autres classes de travailleurs ; c’est donc essentiellement un journal d’intérêts matériels et moraux que nous établissons. Il ne laissera ignorer aucun fait relatif à l’industrie. Il portera la lumière de la publicité sur toutes les turpitudes, les exactions de ceux qui l’exploitent ; signalera les abus, en démontrera les tristes résultats ; il indiquera les moyens de les combattre et de les détruire : en un mot, il fera connaître aux ouvriers les différentes causes des maux qui les accablent, et les moyens par lesquels ils pourront le mieux s’y soustraire ou les adoucir.

Mais nous ne remplirions notre mission qu’imparfaitement, si nous nous bornions à n’obtenir que des [2.1]résultats matériels, ce qu’il faut tenter : c’est de rapprocher les hommes, c’est d’harmoniser les divers intérêts, d’effacer la ligne de démarcation qui existe entre les diverses classes industrielles de détruire cette défiance haineuse qui décourage la bonne foi, qui affaiblit le dévoûment des hommes, qui font du bien être général leur seule ambition ! C’est d’insinuer dans les cœurs ces doux sentimens d’amitié, de philanthropie, qui ne restent jamais froids et insensibles à la vue de l’infortune. C’est d’établir entre travailleurs une solidarité, d’affection et de bienfaisance. C’est de nous mettre en route vers l’association universelle, vers la sainte alliance des peuples.

Nous le disons sans détours, c’est l’œuvre du mutuellisme que nous reprenons ; mais par d’autres moyens. Si une loi nous interdit de nous réunir entre ouvriers pour nous entendre sur nos intérêts, une autre loi nous donne la faculté de nous communiquer nos idées de discuter d’une manière réfléchie sur les meilleurs moyens à employer pour mettre fin à notre misère. Les accens de la presse indépendante sont sonores ; ils retentissent loin, tous peuvent les entendre. Nous saurions donc profiter de la presse qui nous offre ses intérêts et sa puissance par elle, les efforts de l’injustice et de l’arbitraire seront impuissans. La presse est la compagne du progrès pas plus que lui, elle ne peut être anéantie.

Notre mission est noble, importante ; nous nous sentons glorieux de nous l’être imposée. Mais une pensée cependant nous fatigue lorsque nous réfléchissons sur nos moyens, nous les sentons si faibles, que nous craignons qu’ils soient insuffisans pour remplir la tâche de journalistes qui est toujours difficile. S’il ne fallait que du zèle, du désintéressement, nous serions sûrs de réussir.

Mais notre entreprise qui est celle de l’humanité, de la justice, ne laissera pas indifférens quelques-uns de ceux qui, plus heureux que nous, ont pu s’instruire, et qui consacrent leurs talens à la cause populaire ; ces écrivains généreux, ces hommes philanthropes nous aiderons de leurs conseils ; ils garderont notre inexpérience, il nous rendrons forts par l’appui de leurs sympathies. C’est cette espérance qui a entraîné notre zèle jusqu’à la témérité de nous faire journalistes.

A vous ! hommes généreux, qu’un ardent patriotisme. A nous ! vous tous qui vous occupez de l’amélioration des classes laborieuses, qui préparez le règne de l’humanité, votre concours nous est nécessaire, nous y comptons.

Mais, nous le répétons, que seraient notre volonté, nos efforts, si le même dévoûment, si la même intention, n’animaient pas nos frères, notre voix se perdrait dans l’espace, nous serions frappés d’impuissance et il faudrait nous retirer dans notre isolement. Mais nous avons la ferme conviction que le pas que nous faisons aura ses résultats ; en regardant autour de nous, nous voyons nos frères applaudir à nos efforts, soutenus [2.2]par eux, et forts de notre droit quels que soient les obstacles que nos ennemis nous opposerons ; ils ne nous arrêteront pas, et nous marcherons pour obéir à notre conscience, à la loi de l’humanité, nous renfermant rigoureusement dans les limites de la raison et de l’équité, nous lutterons avec avantage contre l’égoïsme et l’arbitraire, sous nos pas des germes féconds de prospérité se développeront, l’harmonie se substituera au désordre et pacifiquement se préparera l’avenir des travailleurs écrit dans le code providentiel.

 

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