L'Echo de la Fabrique : 12 octobre 1834 - Numéro 4

D?UN REMÈDE PROPOSÉ PAR LE COURRIER DE LYON.

Il faut que les tisseurs quittent la ville de Lyon ; afin d?y conserver la fabrique ; voilà la conclusion d?un long article que le Courrier de Lyon a consacré à la question des salaires, dans son compte-rendu de l?exposition des produits des fabriques étrangères. A de telles paroles ne semble-t-il pas ouïr ces chirurgiens barbares et ignorans qui ne savent employer que le fer et le feu, sans daigner s?enquérir si la guérison ne pourrait être obtenue par des moyens plus doux.

Nous avons déjà traité la question de l?exportation de la fabrique d?étoffes de soie hors de la ville de Lyon, dans les numéros 15, 17 et 19 de l?Echo de la fabrique (année 1833) il serait fastidieux pour nos lecteurs, et pour nous de recommencer cette discussion. D?ailleurs elle serait oiseuse, nous avons à faire à des adversaires dont la majeure partie ne demande nullement à être convaincue ; et partant, eux et nous, de points diamétralement opposés pour arriver à un but totalement divergent, il est impossible que nous nous rencontrions dans la route. Si nous prenons la plume c?est moins pour convaincre des gens qui ne veulent pas l?être, encore moins pour rouvrir une discussion épuisée que pour éviter qu?on induise de notre silence un acquiescement quelconque à une doctrine erronée. C?est une protestation contre cette doctrine que nous consignons ici.

Nous ne dirons donc rien des désastres qui suivraient immédiatement la réussite du conseil insidieux que le Courrier de Lyon donne aux ouvriers. Diminution des loyers et par suite perte énorme sur la valeur des propriétés ; diminution de la consommation, et par suite perte également énorme sur la valeur des denrées et des marchandises de toute espèce, et par conséquent encore altération, disparition totale du crédit. Ce seraient là les maux immédiats produits par l?exportation de la fabrique. Bientôt Lyon descendrait du rang qu?elle occupe à celui d?une ville de troisième ordre. Peut-être ce malheur lui est-il réservé, l?histoire nous conserve le souvenir de cités jadis florissantes ! Aujourd?hui on cherche leurs ruines éparses dans les champs solitaires ; mais si nous ne pouvons prévoir une semblable catastrophe, nous devons comme citoyens, la déplorer et faire tout pour l?empêcher, ainsi qu?un bon fils fait tout pour retarder la mort de sa mère chérie. Nous avons déjà dit tout cela et avec de plus amples détails dans nos articles précités, auxquels nous renvoyons les lecteurs. Nous avons considéré encore cette exportation dans l?intérêt [2.2]de la France, dans celui des m?urs et dans celui de l?industrie. Nous ne nous répéterons pas. Il est vrai que nous avons été amenés à reconnaître, et c?est le seul point sur lequel nous sommes d?accord avec le Courrier de Lyon, qu?il est constant que l?ouvrier qui tisse des étoffes légères ne peut vivre en travaillant. Laissant de côté la question industrielle (nous nous en occuperons ailleurs) s?il serait possible d?élever ce salaire, nous nous bornions à chercher le remède et nous renvoyâmes les lecteurs à le trouver dans les articles raisonnés sur cette matière, du Précurseur, du National, de la Tribune . On connaît les motifs de notre discrétion : la politique nous est interdite et nous avons toujours eu soin de nous tenir dans la limite de nos droits. Nous aurons encore la même prudence.

Le Courrier de Lyon, revenant sur cette thèse et affectant de mettre en question ce qu?il comprend bien, nous dit avec une bonhomie apparente : si l?ouvrier ne peut pas vivre avec 4 sous, prix dont l?ouvrier de Zurich se contente, il faut qu?il aille chercher un lieu où les dépenses de la vie soient assez restreintes pour le lui permettre. Nous allons changer cette conclusion ; et nous dirons, qu?au lieu d?exiler cette classe, sous le prétexte qu?ici la vie lui est trop coûteuse, il faut, s?il est bien décidé qu?on ne puisse augmenter son salaire, diminuer ses charges, et rien n?est plus facile. Mais on le sent : et à quoi bon discuter ?

Derrière ce motif apparent, le Courrier de Lyon en a d?autres ; cette classe est nombreuse, elle inquiète, il faut la disséminer ; réunie, sa masse compacte, son indépendance en imposent ; divisée, chacun de ses membres sera livré pieds et poings liés à la cupidité, aux exigences tyranniques et l?exploitation du plus grand nombre par quelques-uns continuera de plus belle.

En face de ce résultat, qu?importe au Courrier de Lyon la perte d?une industrie, et les maux qui en découleront naturellement sur la cité et les autres classes d?habitans ! Pour nous, nous pensons que le remède serait pire que le mal ; nous ne voulons pas comme le Courrier, séparer la fabrique des fabricans. Nous savons bien encore que le beau idéal de la fabrique dans le système du Courrier, c?est l?agglomération de simples manouvriers sous la férule d?un contremaître vice-pacha. Nous n?adoptons ni l?une ni l?autre de ces combinaisons.

Sans doute il faut une amélioration à la classe ouvrière, mais nous ne chercherons jamais cette amélioration dans son émigration des lieux qui l?ont vu naître ; dans cet exil enfin qui nous rappelle trop comment les patriciens de l?antiquité se délivraient, en fondant des colonies lointaines, de la crainte que leur inspirait l?exubérance de la population prolétaire de ce temps-là. Nous ne la chercherons pas non plus dans son esclavage, lors même qu?un bien-être matériel apparent, en serait le fruit, ce fruit n?aurait aucune saveur pour nous. Nous avons horreur de la domesticité et du monopole. Anathème à ceux qui voudraient remplacer la glèbe agricole par la glèbe industrielle.

 

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