L'Echo de la Fabrique : 30 novembre 1834 - Numéro 11

Au Rédacteur.

Je crois devoir, dans l?intérêt de mes confrères, signaler les faits suivans, au sujet des difficultés que j?ai avec MM. Mathon-Zola et Ce, relativement à une pièce (article ombrelle) qu?il m?ont chargé de fabriquer au prix de 1 fr. 10 c. l?aune, réduction de 150 coups au pouce. Je ne puis en bien travaillant en faire qu?une aune et demi au plus par jour ; si la pièce était bonne on en ferait trois aunes. Voyant qu?avec 1 fr. 65 c. par jour, je ne pouvais vivre, élever ma famille, payer mon loyer etc, je me plaignis : savez-vous qu?elle fut la réponse de M. Gerboullet auquel j?adressais mes plaintes ? il me répondit qu?avec 1 fr. 30 c. par jour un ouvrier pouvait vivre, qu?il fallait se contenter de manger des pommes de terre. C?est le huit novembre que ces paroles m?ont été dites. Vous pensez bien qu?avec de pareils sentimens, la maison Mathon-Zola ne s?est pas empressée de vérifier la justice de mes doléances. Je suis allé, quatre jours après, au magasin, pour réclamer la façon qui m?était due sur l?étoffe rendue ; MM. Mathon et Gerboullet m?ont répondu ; nous vous payerons lorsque vous nous aurez tout rendu. Est-ce que par hasard ils auraient cru que je voulais leur faire tort ? Comme rien n?autorisait un pareil soupçon, j?ai pris un billet d?invitation au conseil pour le vendredi 14. La veille (jeudi 13) M. Mathon est venu chez moi et m?a promis 1 fr. 50 c. pour continuer la pièce, et pour m?indemniser de cette mauvaise pièce, 200 aunes de courant à 90 c. M?étant rendu le 14 au magasin, ces offres me furent réitérées, tant par M. Mathon que par M. Gerboullet ; mais on se refusa obstinément de les écrire sur mon livre. M. Pupier, ancien prud?homme, négt, s?y trouvait, et voici l?allocution qu?il m?a faite et que je vous livre pour l?édification de la fabrique. « Mon ami, si vous allez au conseil vous perdrez votre cause ; voyez-vous, moi j?ai été prud?homme pendant trois ans, et toutes les fois que de semblables affaires se présentaient, nous condamnions les ouvriers parce que c?est là leur seul désagrément ; s?ils n?étaient pas exposés à avoir des mauvaises pièces, ils seraient trop heureux. » Brave monsieur Pupier !? Comme je voulais une convention écrite, et que M. Mathon s?y refusait, nous parûmes à l?audience ; j?obtins gain de cause, et deux membres furent délégués pour examiner la pièce dont je me plaignais. Le lundi je les attendis, personne ne vint ; le lendemain, mardi, j?allai au greffe et demandai la cause de ce retard : M. le greffier avait oublié d?envoyer les lettres et moi, [3.2]pauvre hère, j?avais attendu. Le mercredi 19, MM. Labory et Bender vinrent chez moi ; ils me dirent d?abord que le peigne coupait ; je leur répondis que ce peigne avait été changé. M. Labory s?aperçut que le rouleau de derrière était boulonné en fer ; et il me dit que c?était là le défaut qui empêchait la confection facile de la pièce ; je pense qu?il voulait dire que les boulons devaient être de bois. Je prie mes confrères d?examiner cela, et je m?en rapporte à leur jugement. Enfin l?on convint qu?une enquête aurait lieu, et que nous paraîtrions au conseil le lendemain jeudi. Fidèle au rendez-vous judiciaire, j?en fus pour ma course ; les prud?hommes délégués n?avaient point fait de rapport, et le président ordonna que le lendemain on se transporterait chez moi pour terminer, Ce lendemain se passa comme les autres jours. Un membre du conseil auquel j?eus recours eut l?obligeance de me faire une lettre pour le président ; je la lui portais le 22 novembre ; et ce magistrat m?en donna une autre pour M. Mathon, en me disant qu?il fallait que cette affaire finisse le jour même, elle ne l?est pas encore ! Voyant que rien n?avançait j?ai été lundi dernier, au greffe pour me plaindre à M. le président, de ce retard contraire à sa promesse. « Votre cause a été vue, retirez-vous » sont les seules paroles que j?aie obtenues, et je suis obligé de paraître, jeudi prochain, au conseil comme si rien n?était fait. Obtiendrai-je enfin justice ?

J?ai l?honneur etc. rochet.

La Croix-Roussele 26 novembre 1834.

 

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