L'Echo de la Fabrique : 15 février 1835 - Numéro 7

ORIGINE DES CHOUANS,

et étymologie de ce nom.

Dans une ferme du Bas Maine, peu distante du village de Laselle Craonais, département de la Mayenne, vivait en 1780, un bûcheron nommé Cottereau. Son séjour habituel dans les bois, et une monomanie de taciturnité lui avaient acquis le surnom de Chouan ; par corruption de chat-huant. Il mourut ; mais le surnom, que lui avait valu sa vie sauvage, se perpétua en passant à sa postérité. Parmi ses enfans se trouvait un jeune homme nommé Jean, son caractère énergique ne lui permettait de subir aucun frein : secouant franchement, dès ses premières années, tout joug, toute dépendance, il voua d’abord aux préposés de la gabelle une haine à mort. Il avait des collisions assez fréquentes avec les gabeloux ; et dans ses querelles avec eux, il ne se faisait nulle faute des argumens les plus persuasifs qu’il pouvait trouver au bout de son bâton noueux et ferré. Or, un jour que sa logique fut plus pressée, plus serrée qu’à l’ordinaire, il advint que deux des champions ses adversaires n’ayant pu résister à sa touchante éloquence, se couchèrent humblement dans les genêts ; mais, par malheur pour Jean Chouan, ils purent se réveiller de la stupeur où ses argumens les avaient plongés, et ils allèrent exhiber devant qui de droit les preuves des moyens oratoires dont on avait usé à leur égard, et demander justice de pareils attentats.

Dans cette fâcheuse occurrence, sa mère se rend à Versailles, auprès du roi, elle implore et obtient la grâce de son fils.

Jean Chouan, par reconnaissance ou par nécessité, se fit soldat, mais bientôt il déserta ; et à l’exemple de son père, il établit sa demeure au milieu des forêts, moins cependant pour l’envie de faire des fagots, que par la nécessité de se soustraire aux recherches dont il était l’objet.

Dans ces entrefaites, survînt cette grande commotion populaire qui renversa à la fois et les bastilles du pouvoir absolu, et les insolens donjons de l’aristocratie à parchemin.

À cette époque, bien plus encore qu’aujourd’hui, la civilisation était loin d’avoir pu développer ses fruits salutaires dans les provinces occidentales ; et le paysan breton ou manceau vivant isolé dans ses fermes champêtre, et n’ayant que des rapports fort rares avec l’habitant plus éclairé des villes, avait conservé intacts tous les préjugés, tous les usages du moyen âge. Comme au [4.1]temps des croisades, son curé était encore pour lui, le symbole vivant d’une puissance intermédiaire entre le ciel et la terre, et qui avait le pouvoir d’ouvrir ou fermer les portes du séjour de l’éternelle félicité ; vu sous cet aspect, le prêtre jouissait d’une influence illimitée ; sa parole était considérée comme sacrée ; et, quand il se vit dépouillé de la dîme d’abord, et chassé de ses temples ensuite, il ne lui fut pas difficile de persuader à ses superstitieux paroissiens que la cause de Dieu était compromise avec celle du Roi, et que pour rétablir l’une ils devraient se dévouer au salut de l’autre. Sur plusieurs points on courut aux armes pour défendre l’autel et le trône. C’est à JeanChouan qu’on fait honneur de la première levée de boucliers. Un jour, au mois d’août 1792, la population virile du canton avait été convoquée au chef-lieu pour la formation des gardes nationales. L’orateur, l’un des administrateurs du district, après avoir exposé le but et la nécessité de l’institution nouvelle, menaça de la prison quiconque manifesterait de l’opposition à la mesure décrétée.

L’assemblée écoutait dans un profond silence : tout à coup un homme s’élance de la foule, se précipite sur l’estrade et s’écrie : « Non, non, point de volontaires, point de garde nationale ! Le Roi n’est pas libre, ce n’est pas pour lui qu’on demande nos bras, et ce n’est qu’à lui que nous voulons les consacrer, nous ne partirons pas ! Nous resterons au milieu de nos haies pour y défendre l’autorité du Roi. »

Et cet audacieux, c’était JeanChouan.

Il fut entendu : ses partisans et lui se ruèrent sur les magistrats ; et dès ce moment, se constituant chef d’insurrection, il donna à sa bande son surnom et ses ordres. A son exemple, d’autres fanatiques organisèrent la résistance sur presque tous les points de la rive droite de la Mayenne ; mais ils renfermèrent leurs expéditions dans les limites de leurs cantons, et c’est pour cette raison que les Vendéens, qui ont opéré sur un terrain plus vaste, et avec de tout autres moyens de succès, ne doivent point être confondus avec les Chouans.

Quant au premier chef de ceux-ci, après des altercations de succès et de revers, il mourut d’un coup de feu aux lieux mêmes où il avait arboré l’étendard de la résistance.

 

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