L'Echo de la Fabrique : 12 avril 1835 - Numéro 15

Dernière réponse, si c’est possible, à l’Indicateur.

En faveur de la libre défense.

L’Indicateur repousse l’accusation que nous avons portée contre lui d’être hostile à la libre défense. Tant mieux qu’il soit venu à résipiscence ! mais à qui a erré un ton superbe et dédaigneux n’est pas permis. Que l’Indicateur se justifie, rien de plus naturel ; qu’il proteste même contre l’interprétation donnée à une fausse démarche de sa part, rien de plus licite encore ; mais que de l’excuse dont il a besoin il passe à des attaques injurieuses contre une feuille rivale qui, malheureusement pour lui, a compris mieux, et, plus tôt la question, voilà qui n’est pas permis, et c’est ce qui nous force à rentrer dans l’arène de la polémique.

Les lecteurs connaissent le sujet des débats entre l’Indicateur et nous. Est-ce notre faute si nous avons interprété comme la majeure partie des ouvriers la note insérée dans son numéro 27, note qui sans cette interprétation n’a aucun sens ? est-ce notre faute si nous avons été l’écho de ceux auxquels M. Dufour a cru devoir s’adresser dans sa proclamation insérée dans le numéro précédent de l’lndicateur, à l’effet de dissiper les doutes qui s’étaient élevés sur son compte ?

Il aurait mieux valu ne pas donner naissance à ces doutes par une conduite équivoque, dirons-nous à M. Dufour : personne ne le niera. Qu’averti par la clameur publique du mauvais effet de sa note, l’Indicateur ait jugé utile de rabâcher, en faveur de la libre défense, quelques-unes seulement des nombreuses considérations que nous avons fait valoir bien avant lui ; ce peut être une ruse de guerre légitime, que de s’être ainsi préparé une fin de mon recevoir contre l’attaque qu’il ne doutait pas que nous allions diriger contre lui, mais voilà tout, et nous lui répéterons ce que nous venons de dire à M. Dufour.

Au fond le litige tel que, mieux avisé, l’admet aujourd’hui l’Indicateur est peu de chose : Il appelle des vœux ce que nous appelons un mandat ; sur ce sujet nous en avons assez dit dans notre dernier numéro pour être dispensés d’y revenir, ici peut commencer une difficulté sérieuse, et les lecteurs vont être à même d’apprécier le but secret où tend l’Indicateur. Vœux ou mandat, peu importe, dit-il ; « Il suffit pour les prud’hommes que des vœux se soient manifestés pour qu’en homme d’honneur ils fassent tous leurs efforts pour les réaliser. » – Nous avons le droit de le demander ; quels seront ces efforts ? seront-ils de nature à forcer les volontés dissidentes à l’acte de justice qu’on réclame, ou se contentera-t-on de demander humblement ? et si l’on obtient rien comme il est très probable d’après les leçons du passé, que fera-t-on ? Quel est le conseil que l’Indicateur donnera en ce cas ? Allons plus loin : Si un, si deux prud’hommes seulement donnent leur démission, pense-t-il qu’on arrivera au même résultat que si tous les prud’hommes la donnaient ? que l’Indicateur s’explique. Nous soutenons que c’est à tort et contre l’intérêt général qu’il veut séparer les prud’hommes en deux camps. C’est par une union forte et éclairée qu’on obtiendra un résultat, et non par des [2.2]démarches isolées. L’essentiel, c’est d’avoir la libre défense. Nous le disons avec une conviction profonde : on ne l’aura pas, si, au lieu de réclamer l’exécution d’un mandat, quelques prud’hommes déférant à la doctrine commode de l’Indicateur, se contentaient d’apporter l’expression banale de vœux, plus au moins authentiquement formulés. Mais nous cessons ce débat sur le fond de la question parce que le temps n’est pas encore arrivé, et cette polémique, soulevée peut-être à dessein par l’Indicateur, ne peut que faire retarder l’installation des nouveaux prud’hommes, et ajourner d’autant les espérances que la fabrique a conçues.

Répondrons-nous à cette assertion de l’Indicateur qu’il a demandé avant nous la libre défense ; oh ! c’est trop fort. Nous ne pensions pas que la vanité pût égarer ainsi quelqu’un. Qui donc a soulevé le premier la question de la libre défense, si ce n’est le rédacteur actuel de la Tribune Prolétaire, dans l’Echo de la Fabrique, aussitôt que la rédaction en chef lui en fut confiée ? Libre à l’Indicateur de feindre l’ignorer, mais tous les ouvriers ne l’ont sans doute pas oublié. Est-ce que la Tribune Prolétaire n’est pas par sa rédaction, seule chose à considérer dans un journal, la suite nécessaire de l’Echo de la Fabrique ; est-ce qu’elle n’y renvoie pas chaque jour ses lecteurs pour éviter de se répéter ? Nous en avons assez dit là-dessus pour 1es hommes de bonne foi : quant aux autres, nous ne parviendrions pas à les convaincre ; il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et, à vrai dire, nous ne nous en soucions nullement, pas plus que de leur estime.

Le dernier paragraphe de l’article de l’Indicateur, mérite une réponse ; elle sera courte, car ces débats sont aussi fastidieux pour le public que pour nous. Il est ainsi conçu : « Si nous voulions ennuyer encore nos lecteurs de la Tribune Prolétaire, nous relèverions les erreurs qu’elle a voulu répandre parmi le peu de travailleurs qui la lisent, et comme le bon sens public ne se laisse pas abuser par ses paroles mensongères, et qu’elle n’a pas l’accent d’une conviction profonde, un désintéressement pur pour s’acquérir des sympathies, il serait donc inutile de relever toutes ses turpitudes, puisque le public l’a jugée avant nous. » Et d’abord, nous n’avons pas vérifié le nombre des abonnés de l’Indicateur, pour le comparer avec le nôtre ; mais fut-il vrai, ce dont on peut douter, que l’Indicateur eut un nombre d’abonnés supérieur au nôtre, quoique ayant paru le même jour, qu’est-ce que cela prouverait ? qu’il n’est pas nécessaire de savoir écrire pour faire un journal, qu’il suffit d’avoir des amis qui le prônent, etc. Alors tant pis : le triomphe de l’émancipation des prolétaires en sera d’autant plus retardé, car ce triomphe ne peut être que le produit de la dissémination des lumières. Au demeurant, n’est-il pas vrai que le Constitutionnel, le Journal des Débats et la Gazette de France sont les journaux qui ont le plus d’abonnés ; sont-ils pour cela préférables au National, à la Tribune, au Réformateur ? La Revue de Paris a beaucoup plus d’abonnés que la Revue républicaine, comparerez-vous ces deux ouvrages ? et sans aller chercher des exemples si loin, n’est-il pas constant que le Courrier de Lyon (il s’en est aussi vanté) a beaucoup plus d’abonnés que n’en avait le Précurseur et aujourd’hui le Censeur. Laissons donc de côté une argumentation aussi futile. Tant mieux pour les actionnaires de l’Indicateur s’ils font bien leurs affaires ; quant à nous, nous n’envions pas leurs bénéfices, nous n’avons jamais pensé que l’établissement d’un journal fut une œuvre lucrative ; mais, prolétaires et hommes de conviction nous avons apporté en tribut à nos frères notre mince fortune et nos faibles talens. Jugez-nous par nos actes, avons-nous dit à tous les travailleurs, et par nos actes seuls, car il est tant de faux prophètes, car la parole est souvent si mensongère… Notre voix a été entendue, elle le sera plus encore, lorsque le charlatanisme qui nous fait obstacle aura fait son temps.

Quant à nos erreurs, nous ne sommes pas parfaits, loin de là. Que l’Indicateur ait donc la complaisance de nous les indiquer, et nous nous amenderons. Mais appellerait-il erreurs ce que nous avons dit contre sa boutique d’épiceries, contre son style, contre ses connaissances historiques, [3.1]oh ! alors nous mourrons dans l’impénitence finale. Nos turpitudes : cela change, mais l’Indicateur n’est pas puriste et il regarde même, s’il faut en croire notre spirituel et patriote ami Roussillac, comme un attentat à ses doctrines tout ce qui tend au purisme ; l’Indicateur ne connaît pas la valeur des mots, voilà sa meilleure excuse. Nous lui répondrons simplement que nous ne sommes pas d’effrontés plagiaires, comme il l’a été notamment dans son n° 27, en s’appropriant un article de M. Arles-Dufour et en faisant dire à cet auteur le contraire de ce qu’il disait ; bien plus, nous n’avons jamais été chez les dépositaires de ses prospectus retirer le montant d’abonnemens perçus pour autrui, sauf à restituer ainsi qu’il l’a fait ; ce sont là des turpitudes, que l’Indicateur ne l’oublie pas.

 

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