L'Echo de la Fabrique : 26 avril 1835 - Numéro 17

Lamentations d’Ar-Lamech1, au retour de Long-Champs.i

Quel nuage de poussière ! les rayons du soleil, en sont interceptés !
Quel bruit confus de chars roulant avec la rapidité de l’éclair !
Où prennent-ils leur vol, tous ces coursiers rivaux de l’aquilon ?
La terre tremble sous mes pas. Où mènent ces vastes avenues ?
Un temple antique, desservi par des vierges, semble être le but.
La porte en est ouverte : le temple est désert !
Un chœur de voix angéliques, mais sans art, en fait retentir la voûte sacrée.
Couvertes de cendres, les vierges du seigneur élèvent leurs mains suppliantes vers le ciel.
Pleurez ! gémissez ! priez ! conjurez l’éternel, chastes filles de l’innocence.
Le vice effronté vous brave jusques sous vos murailles saintes.
Paré de roses avant la saison des roses, le vice au teint fleuri se donne en spectacle à qui peut le suivre à qui veut l’imiter.
Depuis des mois entiers tous les artistes de sybaris épuisent leur génie pour orner le triomphe du vice qui les salarie.
Le goût et la mode se sont donné la main pour créer de nouveaux charmes au vice qui les alimente.
Les filles du plaisir impatientes, montent d’un pied leste dans leurs chars,
dans leurs chars élevés pour être aperçues de plus loin.
Les essences les plus précieuses s’exhalent de leur sein entr’ouvert.
L’encens qui fume sur nos autels n’a pas l’odeur plus agréable.
La soie tissue en ruban, étale ses plus brillantes couleurs sur la chevelure parfumée de ces idoles ambulantes.
Légère comme le zéphyr, transparente comme l’onde la plus limpide, la gaze attire l’œil avide sur des appas qu’elle indique en paraissant les voiler.
La main chargée de diamans, n’a pas assez de doigts pour les porter.
Un essaim de jeunes sybarites s’empresse sur le passage des filles du plaisir.
A peine sortis de l’adolescence, ils ont déjà toute l’expérience du vieillard blasé.
Les ris impurs éclatent sur leurs lèvres brûlantes.
Le désir lubrique étincelle dans leurs yeux ardens.
Le persiflage et l’équivoque assaisonnent leurs propos, et leur tiennent lieu d’esprit.
L’ironie amère les dispense d’avoir du jugement.
Qui vient à moi dans ce phaéton rapide ?
Entre ces deux prêtresses de Vénus, quel est cet homme aux cheveux courts et arrondis ?
C’est un prêtre du seigneur ; il a troqué l’encensoir [4.2]du lévite contre le fouet d’un cocher.
Le jeune magistrat a aussi replié sa longue chevelure ; dans un vis-à-vis commode, avocat et juge tout à la fois, il plaide son déshonneur, gagne sa cause et se condamne aux dépens.
Ivre de vin et de luxure, le lourd concussionnaire plongé dans des coussins d’édredon, amollit son cœur de diamant aux côtés d’une danseuse qui baille.
La fille novice, témoin inquiet de ces scènes de scandale, rougit d’abord pour sa mère infidèle, et finit par devenir sa complice ou sa rivale.
Le père et son fils voltigeant chacun de son côté, se font connaître de la même famille, par la conformité de leurs goûts volages.
Dieu des bonnes mœurs ! et ta main complaisante allume ton soleil pendant trois jours,
Pour donner plus d’éclat à de tels spectacles pendant trois jours !
Dieu de justice et qui aimes à te faire appeler le père de tous les hommes !
Tu souffres que le peuple ne se nourrisse que de ses sueurs, tandis que le luxe éhonté dévore en trois jours tout le pain d’une année de pauvre.
Pardonne ce reproche au bon Ar-Lamech, mais pourquoi l’as lu fait sensible.

Notes de base de page numériques:

1 Sylvain Maréchal, poète, pamphlétaire et écrivain français, proche de Gracchus Babeuf, auteur en 1784 de Livre échappé au Déluge, ou Pseaumes nouvellement découverts, composés dans la langue primitive par S. Ar.-Lamech, de la famille patriarchale de Noé, translatés en françois par P. Lahceram, Parisipolitain.

Notes de fin littérales:

i. Cette pièce peu connue, est du célèbre Sylvain maréchalMaréchal Sylvain dit Ar-Lamech, qui s’est caché sous le nom anagrammatique d’Ar-LamechMaréchal Sylvain dit Ar-Lamech, ainsi qu’il l’a fait pour son livre échappé au déluge, ou psaumes nouvellement découverts, composés dans la langue primitive Livre échappé au déluge, ou psaumes nouvellement découverts, composés dans la langue primitive, ParisParis 1784. Elle a été insérée, sans désignation du nom de son auteur, dans le journal de la littérature française et étrangèreJournal de la littérature française et étrangère, et dans le journal de LyonJournal de Lyon, année 1786, p. 229. – Nous croyons faire plaisir au lecteurs en reproduisant ce morceau d’écriture biblique surtout au sortir des fêtes de Pâques, où LyonLyon a, dans la promenade de l’Ile-Barbel’Ile-Barbe, une image de celle de Long-ChampsLongchamp.

 

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