L'Echo de la Fabrique : 10 mai 1835 - Numéro 19

Rapport fait au conseil des prud?hommes de Lyon

le 5 mars 1835, sur la

mécanique à la jacquard à double pression,

de M. Charles guigo,

Par une commission composée de MM. Bourdon, Labory, Pellin, Perret et Troubat.

[1.1]Messieurs, la commission que vous avez chargée de vous faire un rapport sur les procédés inventés par le sieur Guigo, avait une double tâche à remplir ; elle devait vous éclairer sur le mérite des dispositions mécaniques par lesquelles cet artiste a cherché à remplacer le lisage sur carton par un lisage, sur papier double ou sur papier continu, elle devait également constater l?économie que présentent à l?industrie ces nouveaux procédés.

Nous croyons inutile de vous démontrer que toute réduction, dans les frais de lisage, sera immédiatement suivie par un accroissement proportionnellement plus considérable dans la production ou dans la variation des étoffes façonnées ; l?économie que présente jusqu?à présent cette invention est considérable, elle est produite par la différence de qualité de la matière employée jusqu?à ce jour à celle actuellement employée d?après son système.

M. Guigo nous a fait connaître une disposition mécanique par l?application, du papier continu à la machine dite à la Jacquard et aux lisages dits à Aurochage, sans aucun changement de réduction. Cette application produira une nouvelle économie encore plus considérable que celle déjà réalisée, puisqu?elle portera non-seulement sur le papier mais sur l?enlaçage qu?elle supprime entièrement, et ensuite sur le piquage, dans les proportions suivantes :

Sur un lisage ordinaire la journée du piqueur sur carton est de 1 000 à 1 200 ; sur le lisage à Aurochage elle est de 5 000, dont il faut déduire pour la journée du tireur une valeur de piquage de 1 000 cartons, ce qui la réduit à 4 000 ; ainsi, le piquage sur papier se faisant sans efforts, la journée sera facilement de 5 000.

Nous avons acquis par nous-mêmes la certitude que dans le changement d?état hygrométrique de l?air, le papier n?éprouve qu?une variation bien moins grande que le carton ; en conséquence nous croyons que rien ne s?oppose à l?application que nous avons annoncée ; nous avons joint à notre rapport les prix des différens formats des cartons pour le lisage, et du papier double correspondant qui établissent la différence qui en résulte. La consommation du carton diminuera de jour en jour, la fabrication deviendra plus abondante, le résultat incontestable sera une baisse de prix en faveur du papier.

Le repiquage ou copiage des dessins se fait ordinairement sur deux ou trois bandes à la fois, celui sur papier pourra se faire sur sept sans que l?effort de la presse soit plus grand.

[1.2]M. Guigo a jugé convenable de n?offrir, quant à présent, que le seul appareil mécanique nécessaire pour réaliser la première économie, en continuant de se servir du papier enlacé avec du fil.

Nous avons approuvé la séparation qu?il a faite du coût de l?appareil mécanique et de la prime d?invention qu?il a établie sur des bases équitables. Cette séparation de prix permettra d?offrir à la concurrence de nos habiles mécaniciens constructeurs, cette nouvelle source de travail.

Nous passons à l?exposé du mérite mécanique qui distingue l?invention de M. Guigo.

Le principe suivi par cet artiste, pour arriver à la solution du problème qu?il a complètement et heureusement résolu a été : Eviter le choc d?un corps fragile contre un solide, sans augmenter les mouvemens.

Nous avons en effet reconnu que les mouvemens, la vitesse et la réduction de la machine de notre célèbre compatriote Jacquard, sont les mêmes qu?auparavant. Le mécanisme nouveau se compose d?une grillé verticale, bridée à des plans inclinés et mobiles, qui sert à repousser les aiguilles par leurs talons ; elle est mue par des galets tenant à la griffe ; par ce moyen le papier n?est en contact avec les aiguilles que lorsqu?elles sont rentrées, et que le papier se trouve pressé entre le cylindre et la planche matrice. Les galets arrivant à l?arrêt tranchant qui termine les plans inclinés, produisent un mouvement d?échappement qui permet lui-même celui des aiguilles qui doivent travailler.

La disposition, la solidité et la simplicité de cet ingénieux mécanisme ne laissent rien à désirer. Il est réduit à sa plus simple expression, le jeu en est facile à comprendre, et sa construction à la portée de tous les ouvriers.

L?application de cette combinaison mécanique présente en outre l?avantage d?empêcher la courbure des crochets et des aiguilles, et n?oblige pas l?ouvrier à un entretien différent de celui pratiqué pour l?ancienne mécanique.

Le manchonnage est constamment guidé par une légère presse en bois ; il offre une grande sûreté pour le travail, en même temps que toute la disposition mécanique concourt à la conservation du dessin.

La dénomination de mécanique à la Jacquard à double pression, donnée par M. Guigo, distinguera dorénavant l?ancienne machine de la nouvelle, qui doit être considérée comme une importante conquête pour l?industrie française.

Tels sont les avantages que nous a présentés la mécanique à la Jacquard à double pression de M. Guigo.

Messieurs, des considérations pressantes qui tiennent à l?intérêt de notre industrie nous imposent le devoir d?accueillir et d?encourager, par les moyens en notre pouvoir, le génie et la capacité qui nous promettent de grands avantages.

Votre commission a l?honneur de vous proposer d?engager la chambre de commerce et les corporations savantes de notre ville à prendre en considération l?invention [2.1]de M. Guigo, et de rendre public ce rapport.

Signé : pellin, troubat, labory, perret et bourdon.

 

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