L'Echo de la Fabrique : 10 mai 1835 - Numéro 19

AU RÉDACTEUR.

Lyon, le 6 mai 1835.

Monsieur,

Attaqué comme homme public et comme homme privé d?une manière injurieuse par un lâche anonyme, dans l?avant dernier numéro de l?Indicateur, mon intention première avait été de ne pas répondre. En effet que doit-on à un anonyme ? le mépris ; à de plats quolibets ? le silence : mais je réfléchis que mon silence pourrait être mal interprété et d?après le conseil de plusieurs de mes amis j?adressais la lettre dont je vous donne copie avec la présente au gérant de l?Indicateur, moralement et légalement responsable. Ce gérant, après avoir accueilli l?attaque, aurait dû au moins accueillir la défense. IL L?A REFUSÉE ! J?aurais le droit incontestable de le forcer judiciairement à l?insertion de ma lettre, mais outre que les voies judiciaires me répugnent, je préfère pour l?édification des chefs d?atelier, mes confrères, signaler à l?opinion publique un pareil déni de justice. Que mon exemple les avertisse de ce qu?ils ont à espérer si l?occasion se présentait pour eux comme elle s?est présentée pour moi. Refuser de faire connaître la défense, de parvenir à la découverte de la vérité. L?Indicateur est jugé par ce fait : Que tout homme de bonne foi prononce ! que ferait donc ce journal s?il était seul ? Il y a plus, le gérant de l?Indicateur a indignement abusé d?une note confidentielle pour déverser sur moi, et en son nom, de nouvelles injures. En vérité, M. Favier ! vous n?êtes pas mon secrétaire pour me corriger ! Quelle outrecuidance de votre part. C?est de vous et de vos pareils que Jésus-Christ a dit : On voit une paille dans l??il de son voisin et l?on ne sent pas la poutre qu?on a dans le sien propre. Vous, monsieur Favier, me corriger ! mais si vous aviez ce talent-là vous l?emploieriez sans doute à mieux instruire vos lecteurs. Oh ! cette suffisance ne vous va pas.

Vous m?obligerez, monsieur, de vouloir bien insérer dans votre journal la lettre dont s?agit, afin que vos lecteurs puissent juger si elle était de nature à être repoussée par un gérant qui se serait tant soit peu respecté.

J?ai l?honneur, etc.

charnier.

Copie de la lettre adressée au gérant de l?Indicateur.

Je compte que homme nouveau dans la carrière du journalisme ainsi que vous vous êtes énoncé dans votre prospectus, vous me saurez bon gré des observations que je vous adresse en réponse à la lettre injurieuse sous le pseudonyme d?un solitaire de la montagne insérée dans votre dernier numéro. D?abord un gérant doit réfléchir sérieusement avant d?admettre des injures, surtout celles qui sont voilées de l?anonyme, vu qu?il est seul chargé de la responsabilité morale et légale, ensuite calculer si les intérêts qu?il représente y gagnent quelque chose ; enfin prévoir les conséquences d?une pareille démarche. Je crois et je suis même persuadé que vous avez agi de bonne foi, c?est pour cela, monsieur, que je ne rougis pas de répondre à des injures ; mais je ne réponds qu?à vous seul (et non à un contradicteur réduit à se cacher dans un antre de solitaire pour singer maladroitement un rôle qu?il ne connaît pas, lançant des injures mensongères : qu?il se cache, il a bien raison). Veuillez par l?insertion de la présente inviter les cent quatre premiers mutuellistes qui, sous ma direction, composaient la société d?Indication mutuelle, dont je fus le directeur jusqu?au 30 mars 1828, à vous éclairer sur l?origine du mutuellisme. J?ai lieu de croire qu?ils s?exprimeront avec le calme de la vérité, et qu?ils n?auront pas la maladresse encore moins l?injure, pour convaincre vos lecteurs quand ce ne serait que pour respecter votre journal dont les précieuses colonnes sont loin d?être une arène destinée aux discussions burlesques. Je crois que dans l?intérêt de tous, pour éviter une polémique oiseuse et peut-être acerbe il conviendrait d?établir une correspondance privée dont vous ne publieriez ensuite que le résultat signé par les correspondans.

Agréez, etc.

charnier.

Cette lettre était suivie du post-scriptum suivant, en marge duquel j?avais écrit ce mot confidentiel :

P. S. Dans le cas ou sans le vouloir j?aurais écrit une ligne qui vous fasse juger utile d?insérer une note à titre d?observation. Veuillez la rayer plutôt que de provoquer de ma part la moindre réponse. Je ne peux pas m?en occuper, mieux encore, je crois devoir m?en abstenir, etc.

N. D. R. Monsieur Charnier est en vérité bien bon de s?étonner de la conduite de l?Indicateur. Pour nous, au contraire, nous aurions été étonnés si l?Indicateur avait agi autrement. Refuser la défense lorsqu?on a accueilli l?attaque, est un acte qu?aucun journal ne se permet : mais nous l?avons dit, l?Indicateur est un journal comme il n?y en a pas. M. Charnier qui nous avait blâmé de l?avoir écrit est sans doute aujourd?hui de notre avis ; tant mieux que ses yeux se soient dessillés, quoique un peu tard. Après les méfaits de l?Indicateur, que nous [3.1]avons signalés dans notre numéro du 12 avril dernier, et sous l?humiliation desquels il a courbé la tête, on peut tout en attendre. Il injurie, il calomnie, il refuse la défense lorsqu?il le croit utile à ses intérêts, à ses passions et il se dit libéral, et il parle de fraternité, et il vante sa bonne foi. O hommes aveugles ! que vous êtes à plaindre. ? Si l?Indicateur a à répondre, nous l?invitons a le faire de suite et à ne pas attendre que M. Charnier soit parti pour Paris où il doit être rendu le 22 de ce mois, en qualité de témoin à décharge ; ce serait encore une infamie.

 

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