L'Echo de la Fabrique : 10 mai 1835 - Numéro 34

AUX CHEFS D’ATELIER.

[1.1]Parmi les abus qui encombrent notre fabrique, il en est un sur lequel nous sommes souvent trop indifférens et dont la répression dépend de nous sans le secours d’aucun intermédiaire ; nous voulons parler du dévidage.

Il est à la connaissance de tous les chefs d’atelier que quelquefois nos intérêts, notre réputation même, se trouvent gravement compromis par le déchet inouï que des dévideuses nous font supporter. Or, cela est tellement devenu commun, qu’on regarde comme heureux celui qui a l’avantage d’avoir une dévideuse qui se trouvant brave lui rend fidèlement ses comptes, et ne l’expose pas à payer à la fin de chaque pièce (ce qui arrive très souvent dans le cas contraire) ne l’expose pas, disons-nous, à payer le double de la valeur de son déchet. Dans la triste appréhension où l’on est, ce n’est souvent qu’en tremblant qu’on confie sa soie au dévidage, vu qu’il arrive journellement qu’une pièce finie, lorsqu’on croit en toucher la façon, il faut en abandonner une partie pour couvrir un déficit auquel on aurait été loin de s’attendre.

Des chefs d’atelier en cette occasion se croient en droit, ou de retenir la façon du dévidage, ou de se faire payer le montant de la perte qu’ils éprouvent : comme notre mission est d’éclairer les chefs d’atelier autant qu’il est en notre pouvoir, et sur leurs intérêts et sur les erreurs auxquelles ils pourraient se livrer, nous allons nous attacher à leur démontrer qu’ils ne sont dans leur droit à cet égard que par un seul moyen.

Le chef d’atelier ne peut être admis à retenir une partie de la façon d’une dévideuse lorsqu’elle ne rend pas ses comptes qu’autant qu’il aura un livre tenu en partie double, sur lequel sera inscrit date par date et en toutes lettres le poids des matières données et reçues, semblable à celui qu’il a reçu pour son négociant ; car autrement comment est-il possible de juger laquelle des deux parties est dans son tort ? Peut-on suspecter la bonne foi d’une personne sans preuve évidente ? et les étiquettes seules peuvent-elles remplir ce but ? Non. Tant que vous ne vous présenterez à l’audience qu’avec une allégation qu’on peut suspecter, d’autant plus qu’elle n’est nullement fondée, vous subirez toujours la funeste conséquence de votre défaut d’ordre et votre réclamation sera illusoire. Mais si au contraire, ayant un livre en règle, il vous manque de la soie, votre réclamation sera d’autant mieux admise, qu’il sera facultatif au conseil d’expertiser les comptes et de décider avec connaissance de cause d’où [1.2]provient réellement l’erreur, la religion des juges pouvant être trompée.

Mais, nous dira-t-on, les dévideuses ne veulent pas de livres de la part des chefs d’atelier ; et en voudraient-elles, la multitude des pesées rendrait encore ce moyen impraticable.

À cela nous répondrons : 1° que si tous les chefs d’atelier s’entendaient, et qu’aucun d’eux ne voulut donner de la soie sans que la dévideuse n’eut un livre comme celles qui travaillent pour les magasins sont obligées d’en avoir, ne trouvant à s’occuper qu’à cette condition, elles seraient forcées d’y souscrire avec d’autant plus de raison que celles qui agissent consciencieusement ne s’y refuseraient pas. Si les négocians emploient ce moyen pour la sûreté de leurs opérations, pourquoi ne serions-nous pas en droit d’exiger par devers nous des personnes que nous occupons, les mêmes garanties ? pourquoi serions-nous seuls responsables des matières, lorsqu’il nous est impossible pour l’ordinaire de les avoir sous nos yeux ?

Nous dirons en second lieu, au sujet de la multitude des pesées, qu’un tel procédé nécessite, vu que les dévideuses ayant souvent un grand nombre de métiers, ne peuvent que rendre en faibles parties souvent réitérées ; nous répondrons que cela n’est point un obstacle à ce qu’il vous soit fait justice, s’il est prouvé que le tort provienne du fait de la dévideuse. Car si toutes vos pesées sont enregistrées date par date sans interruption, le conseil saura bien faire la défalcation qui devra être opérée eu égard au nombre de rendues par rapport au nombre de données, et par-là toute justice vous est acquise.

Nous laissons à nos lecteurs le soin de faire les réflexions que leur suggéreront nos idées, et de vouloir bien nous transmettre à cet égard celles qu’ils jugeraient convenables.

 

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