L'Echo de la Fabrique : 10 mai 1835 - Numéro 34

VARIÉTÉS.

AMOUR ET JALOUSIE.
singulier tournoi en plein champ.
Petite scène anecdotique qui n’a pas huit jours de date.
[3.2]Désir de fille est un feu qui dévore,
Et qui souvent fait cent fois pis encore.
gresset1. Arrangé pour la circonstance.
Il y avait, et il y a même encore à l’heure où je vous parle, à Abaucourt, près Etain, et dans un petit hameau tout voisin, deux jouvencelles au minois fleuri, aux formes athlétiques (il est nécessaire de le dire en passant), au cœur aimant et honnête, sensible et ferme : charmant contraste, dans le juste milieu duquel s’enveloppe la vertu des femmes. Pour vous faire connaître d’un mot le moral de l’affaire, les deux campagnardes étaient amoureuses, mais pour le bon motif et pas autrement, notez bien ceci. Elles avisaient un mari.
Par un de ces hasards fatals, d’aucuns diraient fataux, mais ce serait à tort, les deux amoureuses s’étaient éprises d’une même ardeur, également honnête, pour le même jouvenceau, jeune gars, frais et dispos, gaillard vigoureux propre au poil comme à la charrue, mais enfin qui ne pouvait se partager. Et puis d’ailleurs, fille qui aime, si honnête soit-elle, ne veut pas de la moitié d’un homme ; il faut que son mari soit entier. Elles vous le diront toutes, et je crois que toutes ont raison : ce n’est pas trop d’un pour une, c’est prouvé ; les deux ne font même pas toujours la paire.
Voilà donc la rivalité, la concurrence qui s’en mêlent. Chaque donzelle met entre son amour et sa vertu force jalousie, et par-dessus tout cela un désir diabolique de vengeance. Il n’y a là rien que de très ordinaire, cela s’est vu, cela se voit tous les jours et cela se verra toujours. Est-ce parce que les hommes sont trop aimables ou les femmes trop aimantes ? je ne veux pas décider la question. Cela ne changerait d’ailleurs rien à la chose, ni au fait que voici :
C’était, si l’on ne m’a pas trompé, par un beau jour de la semaine dernière ; l’une des amoureuses, celle qu’on a quelques raisons de croire préférée par le gaillard vigoureux, était dans les champs. Elle gardait, vous devinez quoi ; elle pensait, vous savez à qui ; lorsque tout-à-coup elle voit arriver à elle, en ligne directe et au galop, trois chiens, un gros bâton et une mégère. La mégère, c’était sa rivale ayant les chiens pour acolytes et le bâton au port d’arme. Elle accourt et conjugue ainsi son amour : J’aime, tu aimes, il aime ; nous aimons, ça c’est sûr, vous aimez plus fort que moi, je m’en doute, et je veux me venger de ceux qui aiment de cette façon-là, qui ne me plaît pas du tout, et entends-tu ? et allez donc, kisss, kisss, kisss… Et aussitôt les fidèles caniches jappent, aboient, hurlent et vont s’élancer sur celle qui, parce qu’on la préfère, allait avoir le triste privilége d’être avalée peut-être par un cerbère en trois ou quatre personnes.
Mais doucement, le danger donne de la présence d’esprit et du courage. L’assaillie voit le péril et saisit son eustache. Fille qui a de la vertu et de l’honneur à garder doit toujours avoir son eustache sous la main. D’un seul coup l’héroïne fend le museau du plus hardi des dogues, qui fourrait son nez là où il n’avait que faire. L’animal blessé le retire au plus, vite et se sauve à toutes pattes ; ses compagnons en font autant, en poussant des aboiemens affreux. La mégère qui se voit trahie par les siens, s’apprête à donner en personne ; elle va faire la gisquetaire et jouer du bâton : déjà le gourdin est levé, lorsque son adroite et prompte adversaire lui saute au visage et lui mord la joue à enlever la pièce. Les hurlemens des vaincus et les cris du vainqueur ont attiré la foule ; on accourt du village, on sépare les combattantes, on siffle les caniches, on console la mégère, on applaudit au coup de dent et on s’empresse de reconduire tout le monde au logis.
Voilà comment un tendre et vertueux sentiment a, dans [4.1]un paisible village du pacifique département de la Meuse, fait saigner deux cœurs, un museau de chien et la joue d’une jolie fille.
(L’Industrielle de la Meuse2.)

Manière d’imprimer les journaux à l’ouest des Etats-Unis.
Dans l’état d’Indiana, la personne qui exerce l’état d’imprimeur a un assortiment de caractères en bois. Quand la composition du journal est prête, les souscripteurs arrivent chacun avec une serviette blanche. La forme est tamponnée au moyen d’une certaine boue noirâtre et humide, dont, heureusement pour la littérature, le pays abonde, et à l’aide d’un marteau, on obtient sur chaque serviette un exemplaire du journal avec lequel l’abonné se retire.
Un peu d’eau et de savon font justice plus tard des nouvelles qui ont vieilli et rendent à la serviette son premier lustre.
(Justice.)

Franchise du chevalier Grammont3.
Louis XIV
jouait au trictrac, il conteste un coup à son adversaire, et consulte la galerie. Les courtisans restent muets. Ah ! voici Grammont qui nous jugera, dit le roi en le voyant venir de loin. – Sire, vous avez perdu. – Eh ! comment ? vous n’avez pas encore vu le coup. – Ne voyez-vous pas, sire, répondit Grammont, que si le coup eût été seulement douteux ces messieurs vous auraient donné gain de cause ! Le roi trouva la raison bonne, et se rendit.
(Historique.)

Un gentilhomme demandait au chevalier Bayard4 quels biens on devait laisser à ses enfans : ce qui ne craint, répondit le chevalier, ni le temps, ni la puissance humaine : la sagesse et la vertu. Belle réponse, que tous les pères devraient prendre pour eux.
(Historique.)

Trait de modération.
M. D… ayant un jour parlé fort insolemment à Louis XIV : Si je n’étais pas roi, lui dit ce grand prince, je me mettrais, en colère.
(Historique.)

Notes de base de page numériques:

1 Référence ici au poète et dramaturge français Jean-Baptiste Gresset (1709-1777).
2 Très probablement L’Indicateur de l’Est. Journal scientifique, littéraire, commercial et industriel, publié depuis 1830.
3 Il s’agit probablement ici de Philibert de Grammont (1621-1707).
4 Référence ici à Pierre Terrail LeVieux, Chevalier Bayard (1476-1524).

 

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