L'Echo de la Fabrique : 17 mai 1835 - Numéro 35

DES SALLES D’ASILE

[1.1]La bienfaisance, cette vertu qui prend naissance dans l’amour de l’humanité, et qui porte l’ame sensible à chercher mille moyens pour adoucir les peines du malheureux lorsqu’il ne lui est pas donné de faire succéder l’aisance à la privation, le bien-être à l’excessive misère. La bienfaisance fut le seul moteur qui suggéra aux philanthropes le dessein de fonder ces établissemens, où la classe laborieuse et peu fortunée peut en toute sécurité confier à des soins vraiment paternels, l’éducation et l’instruction première de ces jeunes plantes que la misère aurait laissées sans culture.

Dans un prochain numéro nous nous attacherons à faire connaître les avantages de ces institutions par rapport aux travailleurs surtout, en faveur desquels elles ont été fondées : mais aujourd’hui nous démontrerons que la cause d’hygiène qui détourne bien des parens de profiter des bienfaits que leur présente les salles d’asile, peut en quelque sorte être mal fondée.

La tendresse des parens pour leurs enfans est un effet naturel, que l’on ne saurait maîtriser et qui les porte à s’enquérir minutieusement de tout ce qui pourrait porter atteinte à leur santé et à leur constitution ; l’on ne peut qu’applaudir à cet élan de l’amour paternel ; mais il ne faut pas qu’une tendresse aveugle soit l’obstacle invincible qui les prive des avantages que leur présentent ces maisons. Beaucoup apportent pour principe de la répugnance qu’ils éprouvent la crainte où ils sont que leurs enfans se trouvent mêlés parmi d’autres dont la santé chancelante annonce un principe rachitique qui souvent s’exhalant au-dehors, les exposeraient à se trouver infectés d’un venin auquel leur naturel n’avait aucune propension, soit en respirant un air insalubre, soit par un contact qu’il est moralement impossible d’empêcher parmi des enfans.

Nous leur répondrons d’abord que s’il en était ainsi, et que la constitution des enfans pût être le moins du monde compromise, nous serions de leur avis ; attendu que les parens doivent avant tout prendre les moyens les plus propres à leur léguer cette force physique qui doit un jour être de la plus grande utilité, puisqu’une bonne santé est toujours l’apanage des personnes robustes. Mais c’est précisément sur ce point que leur opinion est erronée ; car l’étendue des salles dans lesquelles les enfans sont assemblés, le courant d’air qu’on y fait circuler à diverses reprises dans la journée et, par-dessus tout, l’extrême propreté qui y règne doit les mettre en toute sécurité à cet égard. Autrement il faudrait supposer que [1.2]les hommes généreux qui se sont voués, avec tant de zèle au bonheur de la génération naissante, ont froidement calculé les moyens qui pourraient lui être plutôt préjudiciables qu’avantageux ! Or, loin de nous de semblables suppositions. Libres de refuser d’entrer en participation des bienfaits que ces asiles doivent procurer, n’attaquons pas à la légère et inconsidérément une œuvre que nous ne nous sommes jamais donné la peine d’approfondir : car si nous l’eussions fait, notre jugement eut été bien différent. Cette institution n’est point une création nouvelle qu’on peut taxer d’inexpérience, mais une œuvre ancienne que la philanthropie moderne a ressuscitée. Interrogez la Grèce, fouillez les documens de la république romaine, et vous verrez que dans ces états les enfans étaient réunis pour leur instruction ; que sous les yeux de maîtres consciencieux et érudits on les exerçait dès l’âge le plus tendre aux sciences, aux arts, et à la gymnastique, exercice propre à développer leurs facultés physiques, en même temps qu’on s’attachait à former leurs esprits à la morale. Les soins les plus assidus étaient employés pour raffermir la complexion délicate des uns, et maintenir aux autres l’état prospère de santé dont la nature les avait doué. Ce sont de ces écoles publiques, de ces salles communes à tous les enfans sans distinction de rang et de fortune, que sont sortis tant de grands hommes qui ont illustré ou fait fleurir leur patrie par leurs écrits éloquens ou leurs actions glorieuses !

Mais, nous dira-t-on, il existait dans ces écoles tout ce qui peut contribuer à assurer aux enfans une santé vigoureuse, et des médecins étaient chargés d’en éloigner ceux qui auraient pu par leur présence y apporter le moindre venin. Hé bien ! nous répondrons qu’il existe aussi dans les salles d’asile des hommes de l’art chargés spécialement de la vérification des enfans qui en excluent ceux dont les maladies pourraient compromettre la santé leurs camarades.

Or, plus d’équivoques à cet égard, plus de craintes que le moindre examen pourrait détruire plus d’appréhension pour des maux qui ne sauraient se propager dans les salles d’asile, puisque ceux qui en seraient le principe en sont repoussés.

Travailleurs, vous que votre position laborieuse met dans la nécessité de recourir aux bienfaits de ces établissemens, ne vous laissez pas dominer par de faux préjugés, ne persistez pas à croire ce qui ne saurait exister en admettant que la santé de vos enfans, loin d’y être protégée, se trouverait compromise ; voyez plutôt la sollicitude vraiment maternelle avec laquelle le fondateurs de ces maisons s’attachent à rendre cette génération naissante [2.1]qui leur est confiée, digne de ceux qui l’auront formée. Si la santé est ce qui contribue à donner le plus de force physique à l’homme, l’instruction est le levier qui lui aide à se dégager souvent des entraves que les vicissitudes de la vie amoncèlent autour de lui. C’est donc dans ces établissemens, dignes en tout de la philanthropie de leurs fondateurs que vous trouverez réunis ces deux avantages.

 

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