L'Echo de la Fabrique : 24 mai 1835 - Numéro 36

VARIÉTÉS.

Dangers courus par M. Moodie dans une chasse à l’éléphant. Détails tiré de son ouvrage intitulé : dix ans dans l’afrique méridionale1.

« On sait que les éléphans ont peur du feu ; lors donc que les habitans découvrent une troupe de ces animaux, dans les plaines ouvertes, ils allument en différens endroits les longues herbes qui y croissent, de manière à les renfermer dans un cercle de flammes et de fumée ; et puis les attaquant à coups de fusils, chaque fois que l’éléphant court sur eux, ils se retranchent derrière le cercle enflammé.

« Un de nos domestiques étant venu nous informer qu’une grande troupe d’éléphans avait été aperçue dans le voisinage de la ferme, et que plusieurs de nos gens s’avançaient déjà pour les attaquer, je partis immédiatement pour rejoindre les chasseurs.

[3.2]« La belle rivière, appelée par les Caffres la Gualana, après avoir parcouru le village, dirige son cours à travers un jangle très étendu, puis vient reparaître dans une prairie ouverte, pour de là serpenter le long de hautes montagnes, sur un côté de la vallée, l’espace de plusieurs centaines de pas, et enfin va se perdre de nouveau dans un spacieux jangle. Comme je m’étais égaré dans le jangle, je ne pus rejoindre les chasseurs qu’après qu’ils eurent chassé les éléphans de leur première station.

« En sortant du bois, je me dirigeais à travers la plaine vers un ravin éloigné, lorsque j’entendis des coups de fusil très rapprochés, et je fus averti du danger où je me trouvais par des cris répétés de pas op’ (prenez garde), mêlés à mon nom en hollandais et en anglais ; et au même moment, je pus entendre distinctement le craquement des branches brisées, foulées, par les éléphans qui se précipitaient à travers les bois, ainsi que leurs cris furieux qui retentissaient le long du rivage.

« Aussitôt une grande femelle, accompagnée de trois autres d’une plus petite taille, s’élança du jangle qui bordait la rivière. Comme ils ne se trouvaient pas à plus de deux cents pas et qu’ils s’avançaient directement vers moi, je n’avais pas grand temps pour réfléchir. Seul au milieu d’une plaine ouverte, je vis que j’étais infailliblement perdu, si je faisais feu sans que le coup portât.

« Je me retirai donc promptement du chemin qu’ils suivaient, pensant qu’ils ne feraient pas attention à moi, jusqu’à ce que je pusse trouver une meilleure occasion pour les attaquer. Mais en cela je me trompais ; car en regardant derrière moi, je vis avec effroi qu’ils avaient changé de direction, et qu’ils me poursuivaient rapidement, et avaient déjà beaucoup gagné de terrain sur moi. Dans cette position, je résolus de réserver mon feu pour ma dernière ressource, et tournant brusquement à angle droit, je courus vers les bords de la petite rivière, espérant trouver un asile parmi les rochers qui bordaient le rivage opposé.

« Avant que je fusse parvenus à cinquante pas de la rivière, les éléphans étaient à vingt pas de moi ; l’immense femelle au milieu, les autres trois à ses côtés, et poussant tous des cris aigus qui m’assourdissaient. Alors je me retournai, j’armai mon fusil, et j’ajustai la tête de mon plus formidable ennemi, la femelle. Mais la poudre étant humide, le fusil fit long feu, et le coup ne partit que lorsque je retirais le fusil de mon épaule, en sorte que la balle ne fit que glisser sur le côté de la tête.

« Après une pause d’un instant, l’animal s’élança de nouveau en avant. Je tombai : je ne puis dire si ce fut renversé par sa trompe ou non. Elle me porta un coup de défense : heureusement qu’elle n’en avait qu’une, et qu’elle me manqua. Me saisissant alors avec sa trompe par le milieu du corps, elle me jeta sous ses pieds de devant et trépigna sur moi pendant quelque temps ; je n’étais guère en état de calculer exactement la durée de ces évolutions ; mais à en juger par ce que j’éprouvai, cela me parut intolérablement long.

« Un moment elle pressa son pied sur ma poitrine avec tant de  force, que je sentis mes os fléchir sous le poids ; ensuite, elle me marcha sur le milieu du bras qui heureusement était étendu à plat sur une terre molle. Cependant, je ne perdis pas entièrement connaissance, sans quoi c’en était fait de moi ; mais je conservai la présence d’esprit nécessaire pour me débattre avec assez d’adresse, et grâce à la rondeur des pieds de l’animal, je parvenais, [4.1]en pliant et tordant mon corps, à éviter ses atteintes directes.

« Pendant ce temps, le lieutenant Chisholm, et Diedrick, Hottentot, placés sur une montagne voisine, lui avaient tiré plusieurs coups de fusil, dont un vint le frapper à l’épaule, et en même temps les jeunes éléphans s’étant retirés, en l’appelant par leurs cris vers la lisière du bois, la femelle m’abandonna, mais non sans m’avoir porté encore de rudes atteintes avec ses jambes de derrière. »

Quoique assez fortement blessé, M. Moodie put encore se lever et se retirer en chancelant ; mais s’il n’avait eu la précaution de se coucher au milieu des longues herbes pour éviter les regards de son antagoniste, elle serait revenue à la charge pour achever sa besogne.

Pendant ce temps, le frère de l’auteur avait été informé, avec tout le sang-froid hollandais dont nous avons eu des exemples, qu’un des officiers avait été tué ; le narrateur ajoutant, pour confirmer la nouvelle, qu’il avait vu sa cervelle dispersée sur l’herbe. Mais pendant qu’on l’assurait du contraire, un soldat fut, devant leurs yeux, attaqué par un autre de ces animaux. Le malheureux fut traversé par une de ses défenses, et ainsi emporté à quelques distances, jusqu’à ce que l’éléphant l’achevât en le rejetant par terre et le foulant à ses pieds.

Notes de base de page numériques:

1 Il s’agit très probablement de la traduction de l’une des histoires de l’aventurier et romancier britannique Frederick Marryat (1792-1848).

 

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