L'Echo de la Fabrique : 27 juin 1835 - Numéro 41

VARIÉTÉS.

le pont de la guillotière.

En 1640, la Guillotière ou Grillotière n?avait, pour point de communication avec Lyon, qu?un méchant pont de bois dont la mauvaise structure fut la cause d?un événement déplorable.

Sous l?archevêque Burchard1, le roi Philippe-Auguste et Richard, roi d?Angleterre, se rendirent à Lyon pour entreprendre de là le voyage de la Terre-Sainte. Ces deux princes venaient de séjourner en Bourgogne pendant les Octaves de saint Jean-Baptiste, et Mathieu Paris2 raconte que le monarque Breton y avait pris solennellement le costume de Pélerin. Ils traversèrent donc le Rhône, sur le pont de bois qui aboutissait à la Guillotière, avec leur suite et grand nombre d?autres personnes ; mais Richard et Philippe-Auguste avaient à peine mis le pied sur le sol que le pont se rompit. Il y eut beaucoup de gens noyés et Richard perdit, dans ce désastreux accident, un de ses plus fidèles serviteurs. Le chagrin qu?il en ressentit fut si vif qu?il ne put être adouci que par la piété profonde qui remplissait son c?ur.

Ce pont était alors sous la direction de quelques religieux, ainsi que l?Hôpital qui l?avoisine. Richard, tristement affecté de l?événement, cause de la perte de tant de malheureux et qui lui coûtait son favori, donna à ces religieux l?autorisation d?aller quêter en Angleterre, pour la construction d?un nouveau pont et l?entretien de l?hospice. [3.2]Il fit plus encore : il leur remit des lettres de recommandation écrites de sa royale main, et adressées à tous les archevêques, évêques, abbés, prieurs et autres ecclésiastiques de son royaume, ainsi qu?aux comtes, barons, chevaliers et vassaux de ses états, à l?effet de leur faire obtenir les secours dont ils auraient besoin. Ce fut la première origine de la construction du pont de la Guillotière, tel qu?il existe de nos jours.

Mais son véritable auteur fut le pape Innocent IV, qui y contribua de ses propres deniers et plus encore des indulgences qu?il accorda à ceux qui participeraient à cette ?uvre utile.

Ce fut en 1245, que ce pape vint tenir à Lyon un concile général. Il logea à l?ancien cloître de Saint-Just, auquel il fit présent de la rose d?or qu?on y conserve encore aujourd?hui. Son séjour à Lyon fut de sept années. Alors saint Louis fut prié par l?empereur Frédéric de ménager son accomodement avec le pape ; il vint à cet effet jusqu?à Cluny où le pape se rendit de son côté. Ce fut au retour de cette entrevue qu?Innocent IV entreprit le pont de la Guillotière. Sur l?une des tours de ce pont on lisait autrefois une inscription latine en l?honneur de son fondateur.

Parmi les personnes qui, après Innocent IV, ont le plus contribué à la construction de ce monument, on cite Clément Rosset, chanoine de Montbrison qui, par son testament de l?an 1294, laissa, pour une fois, dix sols viennois, destinés à l??uvre du pont ; Guy, comte de Forez et de Nevers3, avant de partir pour la croisade, fit son testament comme c?était l?usage, et légua cent sols pour cette construction. Plus tard, sous le pontificat du pape Alexandre V, le cardinal de Sainte-Suzanne, Légat en France, étant à Lyon, donna des indulgences pour tous ceux qui contribueraient de leurs deniers à l?achèvement de cette construction.

En 1711, ce pont fut le théâtre d?un événement plus tragique encore que l?accident qui mit en relief la pieuse charité de Richard d?Angleterre. Une foule considérable s?était portée au faubourg Saint-Denis, à une lieue de la ville ; et, après y avoir, selon l?usage, célébré la fête du saint par des orgies, dont le souvenir est resté comme une tache à la moralité de nos ancêtres, chacun regagnait sa demeure, lorsqu?un employé de garde à la porte du pont, poussé par l?appât du gain, eut l?idée de fermer la barrière du côté de la ville, pour lever une contribution sur tous ceux qui rentraient. Personne ne voulut se soumettre à cette prétention ; la foule se pressait, à chaque instant plus nombreuses ; les voitures ajoutaient au désordre, et, l?encombrement étant parvenu à son comble, un grand nombre de personnes se précipitèrent ou furent précipitées dans le Rhône, beaucoup périrent écrasées ou étouffées ; mais qui le croirait ? au milieu de cette épouvantable scène, il se rencontra des hommes assez audacieux dans le crime, pour exploiter la terreur et la mort à leur profit, et, lorsqu?il fut possible de venir au secours des vivans, parmi les deux cents cadavres qui furent relevés sur le pont ; plusieurs furent trouvés chargés de bijoux précieux, dérobés à la faveur de cet épouvantable tumulte. Le lendemain de ce jour funeste, les deux cents cadavres étaient étendus sur les quais de la ville et chacun venait reconnaître ses morts. Les portes furent détruites et le coupable fut condamné à être pendu.

Le pont de la Guillotière a vingt arcades, deux cent soixante-une toises et trois pieds de longueur. C?est au pied d?une de ses arches que des pêcheurs trouvèrent, enfoui dans le sable, le célèbre bouclier sur lequel est représenté, selon quelques auteurs, le trait qui fait tant d?honneur à la continence de Scipion ; et suivant Vinkelman, la dispute d?Achille et d?Agamemnon, au sujet de Brisèis. Ce bouclier fut offert à Louis XIV par Guillaume Pilata, qui en était devenu possesseur. On le voit encore dans le cabinet des médailles de Paris.

(lyon vu de fourvière.)

Notes de base de page numériques:

1 Il s?agit ici de Burchard Ier (vers 923?963), archevêque de Lyon entre 948 et 963.
2 Référence ici aux chroniques de Mathieu Paris (vers 1200-1259).
3 Guy III (vers 1160-1204), Comte de Forez.

 

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