L'Echo de la Fabrique : 3 mars 1832 - Numéro 19

AU MÊME.1

Monsieur,

Votre tâche est grande et belle ! continuez d?être à sa hauteur, sans vous laisser décourager ni intimider par les croassemens du Courrier de Lyon. Qu?importe les dénonciations de ce plat valet du juste-milieu ! Vous soutenez la cause du peuple ; le peuple est derrière vous, ne croyez pas à son ingratitude, il ne s?éloigne que de ceux qui le délaissent après s?être servis de lui comme d?un marche-pied pour monter aux honneurs. Si Démosthènes, Philipise, Athènes, l?abandonnent, qu?y a-t-il d?étonnant ?

Défenseurs de la classe prolétaire, c?est-à-dire de l?immense majorité des hommes, ce titre est assez beau pour que vous n?en briguiez pas d?autres.

Les questions sociales sont graves ! qui le nie ? est-ce une raison pour les laisser irrésolues, non ; la lumière se doit point rester sous le boisseau.

Le genre humain est parqué en deux castes que le Journal des Debats, dans son article saturé de la haine la plus vivace, a montrées prêtes à se ruer l?une contre l?autre : les riches et les pauvres. Evitez par votre parole puissante et amie ce conflit dont les promoteurs pourraient bien être, hélas ! des premières victimes. Que la classe propriétaire moins superbe, appelle à elle celle prolétaire ; la transition sera plus facile.

Que l?instruction se hàte de pénétrer le corps social, et de l?imprégner de lumières. Que le prolétaire adoucisse ses maux, et ouvre son ame aux clartés de la science. L?homme intelligent est moins brutal, mais aussi qu?on n?oublie pas qu?à côté et au dessus des besoins moraux, s?agitent les besoins physiques. Que le prolétaire soit vêtu et nourri.

Arrière l?aumône qui dégrade, la charité trop sublime pour être autre chose qu?un vain mot ; arrière la philantropie, charité douteuse, vêtue d?ostentation ! mais du travail et un gain proportionné au labeur. La société doit-elle moins à l?artisan dans son échoppe qu?au négociant dans son comptoir ? A l?un du luxe, j?y consens, mais à l?autre le nécessaire, et pourquoi pas de l?aisance ! en résumé que le premier écu ne soit pas incomparablement plus difficile à gagner que le dernier millioni.

[4.1]Continuez donc à parler au pauvre de son indigence, à l?ouvrier de son salaire. Ce n?est pas là les appeler à la révolte ni proclamer la loi agraire, c?est préparer la voie de justice dans laquelle le genre humain s?apprête à marcher. S?il est juste et permis de rappeler ses droits à l?homme politique, comment ne serait-il pas juste et permis de rappeler ses besoins à l?homme social. Les besoins sont-ils moins sacrés que les droits ?

Je suis, etc.

Marius Ch....

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Marius Chastaing d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes de fin littérales:

i J. J. Rousseau a dit que le premier écu était plus difficile à gagner que le dernier million.

 

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