L'Echo de la Fabrique : 25 mars 1832 - Numéro 22

LYON.1

du projet d?association pour les ouvriers en soie,
Par M. Benjamin Rolland.

Partisans nés des associations, nous voudrions les voir introduire dans toutes les branches de l?industrie. Nous devions donc méditer le projet de M. Benjamin Rolland, et c?est ce que nous avons fait. Déjà dans deux articles nous avions prouvé que nous connaissions parfaitement les statuts de la société protestante de secours mutuels, à la fondation de laquelle, comme M. Benjamin Rolland, nous avons participé. Nous avions démontré que ce qui est un bien dans la société protestante, peut devenir très-pernicieux dans celle des ouvriers en soie, et notre mission semblait terminée à ce sujet. Mais aujourd?hui qu?un écrivain estimable, tant sous les rapports du talent que par l?intérêt qu?il prend au sort des travailleurs, lui prête son appui dans le Précurseur, journal dont nous nous faisons gloire de partager les opinions en faveur des classes industrielles, nous devons revenir de nouveau sur ce mode d?association.

[1.2]Ce n?est point pour le plaisir de faire de l?opposition que nous prenons la plume ; le bonheur de la classe que nous défendons et que nous défendrons toujours avec persévérance, voilà ce qui nous guide. Nous rendons justice à M. Benjamin Rolland et à M. Th. de S...... ; le premier a dans son projet des pensées grandes et généreuses, dignes enfin du philantrope qui les a élaborées ; le second, n?écoutant que le bien de l?humanité auquel il a si généreusement voué ses talens, l?a adopté, parce que, ne jugeant les hommes que d?après son c?ur, il n?a pas cru que la perversité pût un jour souiller un si bel ?uvre.

On parle toujours d?égalité, et toujours on cherche à faire des distinctions ; pourquoi dans le projet d?association de M. Benjamin Rolland veut-on établir une aristocratie ; n?est-ce pas en établir une que de composer une commission centrale par sept membres honoraires, où siégeront seulement deux industriels ? La commission centrale, y est-il dit, pourra s?adjoindre seize membres qui seront pris par nombre égal de fabricans et d?industriels ; ainsi, la majorité restera toujours aux honoraires, qui pourront interpréter le règlement comme bon leur semblera, et disposer à leur gré des secours à allouer.

A Dieu ne plaise que nous voulions d?avance condamner les intentions ; mais quand on fonde une société, on doit penser autant à l?avenir qu?au présent ; et les hommes honorables qui se mettront aujourd?hui à la tête de l?association, peuvent, avec le temps, être remplacés par d?autres qui n?auront pas leurs vues philantropiques ; alors il se pourrait que l?industriel qui réclamerait le [2.1]prix de son travail avec justice et fermeté, serait, plus tard, privé du bénéfice voulu par le règlement ; et victime de l?influence, il verrait toutes ses espérances déçues. Voilà ce qu?il faudrait éviter, et nous ne voyons rien dans le projet de M. Benjamin Rolland qui puisse atteindre ce but.

On nous objectera que la commission centrale n?accordera les secours que sur le rapport des commissions d?arrondissement, composées d?industriels ; mais la commission centrale n?en aura pas moins le droit de les refuser, si elle a les mêmes attributs que celle de la société protestante. Nous ne sommes point exclusifs, nous acceptons la participation des membres honoraires dans la gestion de la société, mais à nombre égal d?industriels et de fabricans, ou autres ; et nous ne voyons pas pourquoi les prolétaires seraient toujours à l?index.

Si 2,000 chefs d?ateliers sont sociétaires et versent chacun 3 fr. par mois, cette cotisation formera un capital de 72,000 fr. par an ; que la société ait 200 honoraires qui verseront chacun 100 fr. par an, la société n?obtiendra, par eux, qu?une somme de 2,000 francs ; ainsi, ceux qui verseront 2,000 fr. auront la majorité dans la commission centrale au détriment de ceux qui en verseront 72,000. On nous dira que les honoraires donnent et ne reçoivent pas ; eh bien ! cet un ?uvre philantropique, et pour qu?il soit plus grand, plus sublime, qu?ils en laissent la direction à une commission centrale composée de huit industriels et huit honoraires, présidée, si on le trouve bon, par un magistrat ; mais tant que l?égalité ne présidera pas à la formation des commissions, tout système d?association sera impossible.

Nous eussions désiré que M. Benjamin Rolland se fût expliqué sur ce qu?il appelle travail supplémentaire ; sans doute, sa pensée a été de créer des maisons de commerce qui, dans un moment de cessation forcée, occuperaient les ouvriers en soie en leur faisant gagner une journée proportionnelle à leurs besoins ; car, s?il n?en était pas ainsi, nous croyons qu?il ne serait pas nécessaire d?appartenir à une société pour chercher du travail autre que celui auquel on est habitué, ou pour aller porter une balle de terre aux fortifications.

Au reste, que M. Benjamin Rolland fasse dans son projet quelques concessions en faveur de la classe prolétaire ; que l?égalité préside à la formation des comités, et nous prédisons qu?il aura atteint le but si long-temps désiré par tous les hommes qui ne pensent qu?à l?amélioration du sort des travailleurs.

Nous terminons en rendant justice aux vues élevées et généreuses de M. Benjamin Rolland ; son projet, à part quelques défauts que nous avons signalés, est l??uvre d?un homme de bien, qui peut fermer l?abîme qui menace d?engloutir depuis long-temps la classe industrielle de notre cité.

A. V.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Antoine Vidal d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

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