L'Echo de la Fabrique : 22 avril 1832 - Numéro 26

L?ANGLETERRE.1

Les questions les plus élevées et qui semblent les plus éloignées, sont souvent celles qui nous touchent de plus près et méritent le plus notre attention. La difficulté est de les mettre à la portée de tout le monde, en laissant de côté les théories et ne traitant que des faits.

On a beaucoup écrit et parlé, et l?on parle et écrit [3.1]encore beaucoup sur l?Angleterre et ses institutions, et cependant même ceux qui parlent et écrivent restent incompris, parce qu?ils sont loin de comprendre.

Ainsi, M. Charles Dupin, le père des ouvriers, afin de favoriser MM. les députés-propriétaires et de faire payer au peuple le pain un peu plus cher, est venu dernièrement, à propos de la loi des céréales, sans hésiter ni rougir, vanter la loi anglaise sur la législation des grains (corn bill), loi sur laquelle il a calqué la sienne ou celle de la commission, assez pourvue en capacités pour le choisir pour son rapporteur. En se laissant influencer par une citation déhontée, les honorables ont fait preuve d?une ignorance impardonnable à des hommes qui se croient l?élite du pays. Le corn bill, ou loi des céréales, est la honte de la législation anglaise, et l?une des premières que le parlement réformé attaquera.

Cette loi, le beau idéal de M. Ch. Dupin, qui a fait cependant un voyage en Angleterre aux frais du gouvernement français, est en exécration à tous les Anglais, à l?exception des propriétaires-fonciers. Réforme, à bas le corn bill, à bas les dîmes ; voilà les cris de ralliement du peuple anglais !

Le Courrier de Lyon, rédigé par des hommes auxquels nous sommes loin de nous comparer pour le talent et la science, contient, depuis quelques jours, des articles sur l?Angleterre, qui prouvent que ces messieurs sont de la force de Charles Dupin et de nos honorables.

Le Courrier, à propos de la loi sur la réforme, s?extasie sur ce qu?une révolution complète va s?opérer législativement et sans commotion politique. Nous le souhaitons du fond de l?ame ; mais nous connaissons trop le pays et les abus qui le rongent, pour croire que leur redressement puisse s?opérer sans commotion. Les privilèges qui font la puissance et l?influence de l?aristocratie anglaise, lui donnent une force dont elle fera certainement usage pour les défendre.

Notre aristocratie, en 89, n?avait pas cette force, et n?avait pas surtout les lumières et la capacité de l?aristocratie anglaise, et cependant, regardez?

L?adoption du bill de réforme place l?Angleterre à 89. Notre expérience ne sera pas perdue pour elle, et elle évitera probablement 93 ; mais prédire qu?elle renversera l?aristocratie, le droit d?aînesse et les priviléges, le clergé et les dîmes avec de simples discours de tribune, c?est ignorer les hommes et l?histoire.

Nous croyons trop au progrès, pour penser que les luttes auxquelles la loi de réforme ouvre l?arène, soient sanglantes comme les nôtres ; mais nous connaissons trop aussi l?esprit de caste, de privilège pour penser qu?il lâche sa proie sans combattre.

Nous sommes de l?avis du Courrier de Lyon, que la révolution de juillet a beaucoup avancé l?époque de la réforme anglaise, et que ce seul résultat est immense. Mais pour le rendre fécond en avantages réciproques, il faut que les gouvernemens des deux pays redoublent d?efforts pour activer leurs relations commerciales, et les unir ainsi par des liens qu?aucune guerre, qu?aucune commotion ne puisse rompre.

La France et l?Angleterre unies comme deux s?urs rallieront pacifiquement autour d?elles tout l?univers.

Dans une série d?articles, nous traiterons des intérêts matériels de l?Angleterre, de la France, et de Lyon en particulier.

Z.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est François Barthélemy Arlès-Dufour d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

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