L'Echo de la Fabrique : 29 avril 1832 - Numéro 27

LITTÉRATURE.

[8.1]le journalisme.

Qui aures habent audiunt.

Le temps ou l’on appelait un journaliste folliculaire, n’est pas loin de nous. Sous cette injure vieillie, le pouvoir déguisait la haine qu’il lui portait. C’est à la même époque qu’un avocat-général apostrophait Paul-Louis Courrier1 par ces mots : Vil pamphlétaire. Le malin vigneron loin de s’en croire insulté s’en fit un titre d’honneur, et enrichit la littérature d’un genre nouveau qu’on n’avait pas jusques-là osé avouer, le pamphlet. Aujourd’hui la profession de journaliste est reconnue, et le journalisme prend son rang parmi les pouvoirs de l’état. La révolution de juillet 1830, ayant mis en évidence des hommes courageux, y a beaucoup contribué. Ce serait néanmoins une erreur de croire que ce n’est que depuis elle que le journalisme a acquis une si grande importance. Sa puissance était sentie, juillet l’a seulement révélée. Un court aperçu va le prouver.

C’est en 1631, sous le règne de Louis XIII, que le médecin Théophraste Renaudot2 importa et fit connaître en France la Gazettei, qui à son origine ne fut consacrée qu’au récit des nouvelles publiques. A son exemple, Denis de Sallo3, conseiller au parlement, publia en 1664, sous le faux nom d’Hédouville, le journal des savans, père des différens journaux littéraires. Il est bien vrai de dire qu’à cette époque le journalisme était dans l’enfance, et ne pouvait prévoir les hautes destinées qui l’attendaient. 1789 vint, et la liberté émancipa la chaire du journaliste. Toutes les opinions éprouvèrent le besoin d’une représentation écrite et journalière. Si le Moniteur, impassible greffier, se contenta d’enregistrer les faits et discours de chaque jour, d’autres journaux se chargèrent du soin d’endoctriner les masses, de parler aux passions un langage qu’elles voulussent écouter. Mirabeau, Gorsas, Condorcet, Camille Desmoulins, Marat4 et autres députés publièrent des feuilles périodiques, que Paris et la province dévoraient. Comme on le voit, des députés ne craignaient pas d’attacher leurs noms à un journal, sachant bien que par là, ils créaient un véhicule puissant à leurs opinions. Ils ne crurent pas, eux ni leurs collègues, qu’il y eût incompatibilité entre des fonctions publiques quelqu’élevées qu’elles fussent, et la profession de journaliste ; enfin, ils ne sacrifièrent pas à ce Teutatès de nos jours, qu’on appelle le dieu des convenances. Au contraire, ils élaboraient, ils consignaient dans leur journal les opinions, les améliorations que plus tard ils allaient essayer de faire prévaloir à la tribune.

Le journalisme eut donc une grande influence, mais il la partageait avec la brochure. Sous le règne brillant du soldat d’Arcole et des Pyramides, la presse fut muette… Le géant tomba, et les Bourbons, obligés de capituler avec la France, lui offrirent une charte en échange de sa gloire impériale ; ils consentirent à passer sous les fourches caudines de la liberté de la presse. Bientôt leur haine contre elle se réveilla ; ils crurent l’anéantir en la courbant sous le joug des lois fiscales. Heureuse erreur ! En soumettant à un impôt, à un cautionnement la tribune du journaliste, ils l’élevèrent au rang d’une propriété. En assujettissant le propriétaire à signer [8.2]comme gérant, ils firent faire, bien malgré eux, un pas immense aux Français vers le courage civil, le seul, on l’avoue, qui leur manque. De cette époque date la puissance des journaux. Qu’on le dise sans crainte et sans détour, un quatrième pouvoir est venu s’ajouter à ceux qui régissaient l’état.

À cette même époque, et lors des lois illibérales qu’enfantait le génie ministériel de la restauration, il fut proposé de faire paraître certains journaux sous les auspices de quelques pairs ou députés. C’était revenir au principe de 1789, c’était marcher vers un but fécond en résultats politiques et savans. Une inconcevable prud’hommie s’opposa à la réalisation de cette pensée généreuse ; j’espère qu’on y reviendraii56. Un journal signé Lafayette, Dupont-de-l’Eure7, Dupin, ou Berryer8, un journal dont tous les articles seraient signés par l’auteuriii ou le gérant, aurait une importance bien mieux sentie. Protégée par l’inviolabilité du gérant, la presse aurait ses coudées franches. Pour l’attaquer, les gens du parquet y regarderaient à deux fois. Content de jeter cette idée en avant, j’appelle les journaux politiques à l’exploiter, et je termine par une dernière réflexion.

On m’a demandé la définition d’un journal, j’ai répondu : c’est un bouclier, un javelot, un miroir, une arène, une table rase.

Bouclier, un journal sert d’armes défensive ; javelot, il sert à l’attaque ; miroir, il réfléchit les opinions ; arène, il leur ouvre un champ libre ; table rase, il reçoit et conserve leur expression diverse ; mais pour qu’il ne faillise pas à cette haute mission, il faut que le gérant soit un homme connu, jaloux d’exploiter sa propriété au profit et pour la défense de ses principes dans quelque rang politique ou social qu’il se trouve ; car, je le répète, la fonction de journaliste s’allie à toutes les autres.

Marius Ch.....g.

Notes de base de page numériques:

1 Paul-Louis Courrier (1772-1825), traducteur et pamphlétaire français surtout connu pour son anticléricalisme d’origine à la fois métaphysique et politique.
2 Théophraste Renaudot (1584-1653), médecin ordinaire de Louis XIII, créateur en 1631 de La Gazette.
3 Denis de Sallo (1626-1669), à l’origine du Journal des Sçavans, publié pour la première fois en 1665.
4 Références ici aux journaux révolutionnaires créés par : Mirabeau (1749-1791), Le courrier de Provence (1789-1791) ; Condorcet (1743-1794), Journal d’instruction sociale (1793) ; Jean Paul Marat (1743-1793), L’Ami du peuple (1789-1793), Camille Desmoulins, Les révolutions de France et de Brabant (1789-1791) ; Antoine Joseph Gorsas (1751-1793), Le Courrier de Paris dans les provinces.
5 Gilbert Désiré Bachelu (1777-1849), général de brigade de Napoléon, sera entre 1830 et 1834 député du Jura, votant avec la gauche dynastique.
6 Etienne Cabet (1788-1856), avocat, homme politique, journaliste et doctrinaire ; député de la Côte d’Or en juillet 1831, membre de l’opposition radicale, publia une Histoire républicaine de la révolution de 1830 et fonda Le Populaire. Exilé en Angleterre de 1834 à 1839, il publiera peu après le Voyage en Icarie.
7 Jacques Charles Dupont de l’Eure (1767-1855), député de l’Eure de 1817 à 1848, opposant constant au conservatisme, un court moment ministre de la justice sous Louis-Philippe (1830) puis rapidement dans l’opposition.
8 Pierre-Antoine Berryer (1790-1868), député de Haute-Loire puis des Bouches du Rhône au début de la Monarchie de Juillet. Légitimiste et opposant radical au régime de Louis-Philippe.

Notes de fin littérales:

i Les gazettes étaient depuis long-temps connues à Venise où l’on payait una gazetta, petite pièce de monnaie pour les lire, d’où leur nom est venu.
ii Le général BacheluBachelu a publié un compte rendu à ses commettans. CabetCabet, de la Côte-d’OrCôte-d’Or, a suivi cet exemple qui devrait être plus généralement suivi.
iii On a fait la remarque, qu’en général les articles des journaux libéraux étaient signés. Le GlobeLe Globe avait adopté cet usage.

 

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