L'Echo de la Fabrique : 6 mai 1832 - Numéro 28

La crise commerciale qu?éprouve en ce moment nos manufactures1, par suite de l?invasion du choléra dans la capitale, s?aggrave de jour en jour, et plonge nos ouvriers dans une tristesse remarquable, en sorte que si nous n?avons pas encore l?épidémie, nous en ressentons déjà toutes les conséquences, la misère et l?ennui. Un grand nombre de pères de famille voient leurs ateliers sans ouvrage, d?autres sont menacés d?un sort semblable, et ceux qui en obtiennent encore quelque peu, se voient de nouveau en butte aux tracasseries et aux humiliations de la part de quelques fabricans, et sont forcés, pour avoir de l?occupation, de supporter des rabais sur les prix convenus. Ces diminutions, faites arbitrairement sur des articles dont les commandes ne sont pas encore remplies, sous le prétexte de pertes éprouvées sur d?autres, dont la vente est suspendue, ne sauraient être admissibles dans aucun cas, par la raison simple et juste que l?ouvrier ne profitant point des bénéfices des transactions commerciales, lorsqu?elles sont avantageuses, ne doit point en supporter les chances défavorables. C?est de ce principe établi que nous pouvons dire, sans crainte d?être démentis, que lorsque les chances sont favorables au commerce, et que les négocians font de gros bénéfices, les ouvriers ne s?en aperçoivent que par une légère augmentation et une abondance d?ouvrage dont ils ne peuvent pas toujours profiter : c?est ce qui est arrivé dernièrement à l?article hernani, où les matières manquaient ; ce qui a empêché beaucoup d?ouvriers de profiter des avantages que cet article offrait, car c?était le seul qui fût parvenu à un prix avantageux. Tandis que ne cherchant que leur intérêt, les fabricans avaient eu la facilité de diviser leur ouvrage sur un grand nombre de métiers, sans songer que les ouvriers étaient obligés de faire des frais pour monter l?article, et qu?il leur était impossible de couvrir leurs dépenses, n?étant pas continuellement occupés.

Ainsi, on ne saurait, sans une criante injustice, diminuer le prix des façons de ce qu?il se payait il y a un mois, puisque quelques jours avant la nouvelle de l?invasion de l?épidémie, à Paris, les fabricans faisaient espérer à leurs ouvriers une augmentation du prix des façons, et que ces derniers s?y attendaient.

[2.2]Nous savons que bon nombre d?honnêtes négocians, bien que forcés de faire cesser la moitié de leurs métiers, ont promis à leurs ouvriers de leur payer le même prix, le peu d?ouvrage qu?ils avaient à leur faire fabriquer. C?est cet exemple que nous voudrions voir généralement suivi, dans l?intérêt de la société. L?ouvrier qui n?a de l?ouvrage que pour occuper la moitié de son atelier, ne doit pas, raisonnablement, travailler sans bénéfice, autant vaudrait pour lui, être entièrement sans occupation, parce qu?alors, il conserverait l?espoir de se faire payer des prix élevés lorsque des demandes considérables seraient faites, et ne serait pas obligé de se captiver à un travail de 18 heures, lequel ne lui produisant pas son strict nécessaire, finit par l?épuiser et le plonger dans la misère.

C?était pour empêcher une trop grande baisse dans les prix des façons, que précédemment et sous l?empire d?abord, les prud?hommes eurent le droit de fixer des tarifs, soit au maximum, soit au minimum, et qui, tant qu?ils eurent quelque force, même morale, empêchèrent les façons de tomber à vil prix. Alors on ne voyait pas ceux qui avaient le bonheur d?avoir de l?occupation, aussi malheureux que ceux qui ne faisaient rien. Il n?y a que quelques années que ce triste spectacle s?offre à nos yeux, où le père de famille se voit en travaillant continuellement en butte à la misère, qui le réduisant au désespoir, a enfanté les maux que nous déplorons tous, et dont nous garderons longtemps le souvenir ; puissent-ils de même être présens à la mémoire de ceux dont l?égoïsme ou l?imprévoyance en fut la cause.

Enfin, puisque tout change, les choses et les mots et que le tarif sera remplacé par une mercuriale, espérons que l?égoïste concurrence sera remplacée dans les c?urs par un sentiment plus juste, par cette maxime que l?ouvrier doit vivre en travaillant, et que dans les momens de crise commerciale, le gouvernement doit aviser au moyen de laisser le moins de bras possible dans l?oisiveté en ouvrant des travaux utiles.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Joachim Falconnet d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

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