L'Echo de la Fabrique : 30 octobre 1831 - Numéro 1

Mardi, tandis que les deux commissions de la fabrique d’étoffes de soie discutaient, en présence de M. le préfet, leurs intérêts généraux, les ouvriers s'étaient réunis, par quartier, afin de se rendre sur la place Bellecour. Nous n’avons qu'à les féliciter des mesures d'ordre adoptées par eux. Ils s'étaient organisés par subdivisions, chaque subdivision était commandée, ou, pour mieux dire, surveillée, par un délégué de la commission, qui en était responsable. Ainsi organisés, ils traversèrent plusieurs parties de la ville pour se réunir au lieu du rendez-vous ; là, aucun cri ne fut proféré, rien ne fit présager le moindre trouble ; ils attendaient, avec impatience, le résultat des délibérations ; car ces mêmes délibérations devaient assurer à chacun d’eux le moyen de subvenir aux besoins de sa famille ; et ils attendaient avec cette conviction qu'ont des hommes forts de leurs droits et confians dans ceux qu'ils ont délégués pour les réclamer.

C’est à cinq heures du soir que les ouvriers ont appris la fixation du tarif : aussitôt la joie s'est répandue dans tous les cœurs ; non point cette joie, fille de l’égoïsme et de la cupidité ; mais cette joie vraie qu'éprouvent les cœurs généreux, en pensant qu'à l'avenir chacun pourra, à la sueur de son front et à force de peines, donner du pain à mille.

Les ouvriers, peu d'instans après, reprirent la route de leurs quartiers en suivant le même ordre et avec le même calme : leçon admirable pour ceux qui croyaient se servir de cette population intéressante comme d'un instrument de désordre prêt à seconder leurs passions frénétiques ; leçon admirable pour ceux à qui l'égoïsme avait suggéré de les montrer comme des masses offensives ; leçon admirable enfin, pour tous ceux qui ont des droits à réclamer ; ce n'est point par des émeutes qu'on prouve la valeur du droit.

On a remarqué surtout les ouvriers de la Croix-Rousse, qui au nombre de quatre à cinq mille, faisaient partager, à leur passage, leur franche gaîté au reste de la population. Le soir, beaucoup de maisons ont été illuminées et les commissaires des maîtres-ouvriers ont été félicités par eux dans leurs quartiers respectifs. Ainsi s'est terminée cette journée qui assure à une partie intéressante de notre population le prix de son travail qui, quoique minime, la préservera du fléau de la misère.

Ce qui faisait contraste avec cet épanchement de joie générale, c'était la présence de quelques négocians au front rembruni, qui disaient, d'une voix entrecoupée par la colère : De quel droit nous impose-t-on un tarif ?... Nous répondrons à ces messieurs qu'on n'a rien imposé de force, que le tarif a été consenti par les deux commissions et que rien n'est plus légal. Et nous leur demanderons, à notre tour, de quel droit ils ont dépouillé, jusqu'à ce jour, l'ouvrier d'une partie de son travail, soit par des rabais injustes soit par des manœuvres que la probité et la délicatesse désavouent ? Ils nous répondront, sans doute, métaphysiquement parlant, du droit du libre arbitre. Nous concevons que des cœurs froids, des égoïstes enfin puissent, en achetant pour cent mille francs de propriétés par année, voir les ouvriers sans pain et sans asiles ; mais nous ne concevons pas qu'on puisse leur disputer le droit de réclamer contre tant d'injustices.

[7.2]Ouvriers de la fabrique de Lyon, vous avez bien mérité de notre grande cité ! Son immense population avait les yeux fixés sur vous ; elle s'intéressait à l'œuvre que vous aviez si dignement commencée, et vous avez dû voir, sur votre passage, avec quelle franchise elle partageait votre ivresse. Que quelques hommes insultent à votre démarche, que vous importe, vous avez réclamé vos droits avec calme et dignité. Vous êtes dignes de servir d'exemple à la France entière, et vous avez préservé, peut-être, l'avenir des malheurs, suite inséparable des temps de disette et de calamités.

 

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