L'Echo de la Fabrique : 20 mai 1832 - Numéro 30

CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

Séance du 17 mai,

(présidée par m. guerin-philippon.)

La séance est ouverte à 6 heures et demie.

Parmi les nombreuses causes qui ont été appelées, et que le défaut d?espace nous empêche de rapporter, nous avons remarqué les suivantes :

Le sieur Marion, marchand-fabricant de tulle bobin, avait été condamné par le conseil à payer au sieur Viannet, son contre-maître, la somme de 800 fr. à titre de dommages-intérêts. Le sieur Marion en rappela de ce jugement pardevant le Tribunal de commerce, qui confirma la sentence des premiers juges et résilia les engagemens. Le sieur Viannet a fait appeler de nouveau son chef pour une demande en bénéfice sur trois apprentis, comme ils étaient convenus par les conventions passées entre lui et le sieur Marion, de la moitié de 500 rachs pour chaque élève, ce qui fait une somme de 600 fr. ; plus, 34 fr. 25 c. pour 50 et quelques rachs que le sieur Viannet a laissés fabriqués en sortant de chez le sieur Marion, et 99 journées, à raison de 6 fr. par jour, que le sieur Viannet a perdues par suite du procès.

Le défenseur du sieur Marion prend la parole et plaide dans le sens de non-recevoir. Attendu, dit-il, que le Tribunal de commerce a interjeté l?appel incident du sieur Viannet, et qu?il a résilié les conventions, il pense que son client est dégagé par ce jugement de tout recours de la part du demandeur.

Le défenseur du sieur Viannet, dans une longue allocution, combat le non-recevoir, et prétend que le dernier [5.2]jugement n?a fait que confirmer la sentence des premiers juges en ce qui concerne les dommages-intérêts, et n?a rien préjugé sur les comptes à régler entre les parties.

Après une longue délibération, le conseil a prononcé en ces termes :

« Attendu que la somme de 800 fr. allouée au sieur Viannet, n?est que pour ses honoraires, le conseil renvoie les parties pardevant les membres du conseil, section de bonneterie et de tulle, pour régler les comptes. »

Le sieur Lacombe se plaint qu?on vient prendre son élève à volonté dans son atelier, ce qui lui cause une perte réelle, puisque son métier est la moitié du temps sans travailler.

L?élève répond que sa mère est malade, et qu?étant très-pauvre, il est obligé de la servir ne pouvant payer une garde. M. le président rappelle à ce jeune homme les devoirs d?un apprenti. Vous avez des engagemens de passés, lui dit-il, et ce n?est pas en étant chez vos parens que vous les remplirez. Le conseil ordonne que l?élève rentrera chez son maître et travaillera sans interruption.

La veuve Buisson réclame au sieur Tranchard, fabricant, des tirelles et une augmentation sur ses façons de 15 c. On lui a marqué sa pièce à 75 c., tout en lui en ayant promis 90 c. Le sieur Tranchard répond que l?ouvrage n?est pas bien fabriqué, et que quant aux tirelles n?en donnant jamais, il ne veut point en accorder à la dame Buisson : ce n?est pas une raison, Monsieur, lui dit le président : comme les tirelles sont dues de droit, et que cela est adopté, vous devez les donner comme les autres. Le conseil renvoie l?affaire pardevant M. Estienne.

La dame Varrin réclame au sieur Arnaud, fabricant, 5 c. par aune sur ses façons, sa pièce était marquée sur le livre à 70 c. ; mais les chiffres ayant été refaits et une rature ayant eu lieu, il ne se trouve plus sur le livre que 65 c. Le sieur Arnaud dit qu?il y a plus d?un mois de ce fait, et que par conséquent il y a prescription (ici l?auditoire murmure). M. le président dit au sieur Arnaud que le Tribunal ne reconnaît point de prescription ; et, prenant un ton sévère, il ajoute : Le conseil reconnaît qu?il y a eu rature sur le livre ; un fabricant ne doit jamais se permettre de pareils actes. (Vive approbation dans l?auditoire). Le conseil prononce ainsi sont arrêt :

« Attendu que le prix de 70 c. avait été marqué sur le livre de l?ouvrier ; considérant qu?une rature a eu lieu, et que le conseil n?admet point les ratures, le sieur Arnaud payera les façons à 70 c. l?aune. »

Le sieur Dumolard, élève du sieur Berthon, a quitté l?atelier de son chef il y a environ trois ans, et a été chez ses parens où il a travaillé la terre. Le sieur Berthon s?est abstenu de toute poursuite, mais néanmoins il a conservé les engagemens passés avec ledit apprenti. Aujourd?hui le sieur Dumolard le fait comparaître pour demander que les engagemens soient résiliés. Le sieur Berthon demande un défrayement.

Le conseil rend l?arrêt suivant :

« Attendu que trois ans se sont écoulés sans que le sieur Berthon ait élevé aucune réclamation, mais considérant que le sieur Dumolard, son élève, s?est enfui de chez lui après avoir demeuré dans son atelier comme apprenti, résilie les engagemens ; réservant au sieur Berthon le droit de poursuivre l?élève en dommages-intérêts s?il reprend, dans quel temps que ce soit, la fabrique d?étoffes de soie ».

Le sieur Legras a monté un métier de mouchoirs pour les sieurs Giraud et Bedard. Il a fait pour 35 fr. de frais, [6.1]et ses façons ne se sont montées qu?à 60 f. ; ayant donné 30 fr. à l?ouvrier, il se trouve donc en pure perte après avoir prélevé les frais de dévidage et de cannettage. Il était convenu avec le fabricant que sa première pièce lui serait payée à 90 c. le mouchoir ; cependant elle n?a été marquée qu?à 70 c. ; ce n?est que sur son observation que le premier prix a été rétabli. La seconde pièce n?a été marquée qu?à 80 c., et la troisième à 55 c. Il demande que cette dernière soif portée, comme la précédente, à 80 c., et demande en sus un défrayement pour son montage de métier. Le sieur Legras expose sa demande avec clarté. Le sieur Bedard répond que le sieur Legras devait être prévenu des prix ; car, dit-il, le sieur Legras manie trop bien la parole à ce sujet. Si je manie bien la parole, répond ce dernier, je me suis aperçu que vous ne maniez pas mal la plume? Le sieur Bedard consent à un défrayement, à condition qu?il fera lever la pièce. Le sieur Legras demande 36 fr. de défrayement. Le conseil concilie ainsi les partie.

Attendu que la première pièce a été d?abord portée sur le livre à raison de 90 c. le mouchoir, ce prix demeurera établi. Quant à la seconde pièce, les parties sont restées d?accord à 80 c. La troisième sera levée du consentement des parties, et les sieurs Giraud et Bedard payeront au sieur Legras la somme de 35 francs à titre d?indemnité.

La séance est levée à 9 heures.

Noms des ayant-causes qui ont fait défaut : Mlle Grenet, MM. Bariot, Sorlet, veuve Barrat , MM. Riche et Raymond, Bellon, Garnier.

 

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