L'Echo de la Fabrique : 26 août 1832 - Numéro 44sur l’association agricole et manufacturière Il est sublime ce dessein d’un petit nombre d’hommes d’éclairer, d’affranchir l’univers… de ramener les esprits et les cœurs à la nature. Ce dessein a traversé les siècles, il est sous la sauve-garde du génie et de la vertu. Le génie et la vertu brillent encore sur l’humanité. Nouv. Daible Boiteux, t. 2, p. 541. En 1808, Charles Fourrier2, de Besançon, publia sous le voile de l’anonyme le prospectus de sa découverte en un volume : ayant pour titre Théorie des quatre mouvemens. L’époque n’était pas favorable au développement d’un système philosophique quelconque ; Fourrier en homme supérieur le comprit, et se mit à élaborer dans une retraite profonde ses idées philantropiques mais abstraites. En 1822, il a formulé sa doctrine et publié son Traité de l’association domestique agricole ; en 1829, il a livré au public un troisième ouvrage, le Nouveau-Monde industriel. Profitant de la direction et de l’élan [4.2]donné aux idées par les disciples de St-Simon ; convaincu que le journalisme était le véhicule puissant, auquel il devait demander un appui pour ses opinions encore peu connues ; il vient de fonder un journal destiné à répandre sa doctrine. Convaincu aussi que ce qui se concevait facilement devait être exprimé de même, et que l’influence d’un mot sonore et complet était plus utile qu’on ne le pense communément, il a intitulé ce journal Phalanstère ; ce qui présente, en effet, à l’esprit une idée neuve et riante. De savans collaborateurs sont venus se joindre à lui. MM. Jules Lechevalier et Victor Considérant nous ont initié aux vues de notre auteur dans un prospectus aussi bien écrit que fortement pensé, que nous avons sous les yeux et au moyen duquel nous allons donner aux lecteurs une idée de la doctrine nouvelle. Le point capital, c’est : l’abolition du prolétariat par l’avance a chaque sociétaire d’u minimum en toute chose nourriture, logement et moyens de travaili. Il y a beaucoup de logique à prendre un point de départ aussi clair. L’association est la base de ce système, mais le vrai moyen d’associer, c’est de rendre le travail attrayant. M. Fourrier propose donc une société pour la fondation d’une phalange agricole et manufacturière associée en travaux et en ménageii. A nous les hommes de bonne volonté, s’écrie-t-il, ce que nous voulons et ce que nous pouvons faire immédiatemen,t c’est une entreprise purement industrielle, destinée à changer pour le peuple des villes et des campagnes, les conditions d’alimentation, de logement, de vêtement, de travail et de salaire. Cette tâche est belle, d’autant plus belle que sans se perdre en de vaines théories, les nouveaux philosophes mettent la main à l’œuvre à peu près de la même manière que pour abolir le salaire et ennoblir la domesticité, les st-simoniens se sont établis mutuellement domestiques sans aucun salaire. Le problème de l’abolition du prolétariat serait résolu par le fait. Mais lors même que cette société projetée ne pourrait réussir, il sera glorieux de l’avoir entrepris. Il est utile que des tentatives de ce genre multipliées ayent lieu. Quoiqu’elles ne soient pas couronnées du succès elles commenceront toujours l’amélioration progressive de la société humaine, et n’est-il pas permis d’espérer qu’un homme se trouvera qui, profitant des lumières, des essais, des erreurs de ses devanciers sera le christ purement humain auquel il sera donné de changer encore une fois la face du monde ? Marius Ch……g. AnnexesNotes de base de page numériques:1 Ici probablement, Le nouveau diable boiteux, Tableau philosophique et moral de Paris, 2 volumes, Paris, F. Buisson, 1799. 2 Impulsée par l’œuvre de Charles Fourier (1772-1837), notamment son Nouveau monde industriel et sociétaire, publié en 1829, le fouriérisme allait se développer à partir de 1832 avec des hommes comme Victor Considérant (1808-1893) et avec des transfuges du saint-simonisme, Abel Transon (1805-1876) ou Jules Lechevalier (1806-1862), créant rapidement une école et un organe, La réforme industrielle ou le phalanstère publié de 1832 à 1834 (ref. Jonathan Beecher, Fourier. Le visionnaire et son monde [trad. de l'américain par Hélène Perrin et Pierre-Yves Pétillon], Paris, Fayard, 1993, 626 pages.). Le fouriérisme va rapidement s’imposer dans les pages de L’Echo de la fabrique grâce à plusieurs intermédiaires, principalement Rivière Cadet, auteur tout au long de l’année 1833 d’une véritable exposition, à destination des canuts, de la doctrine de Fourier présentée en une douzaine d’articles. Un peu plus tard, en 1834-1835, L’Indicateur, Journal industriel de Lyon apparaîtra plus spécialement comme l’organe des fouriéristes lyonnais, alors même que Michel-Marie Derrion créera son Commerce véridique et social. Notes de fin littérales:i En effet, de nihilo nihil, avec rien on ne peut rien faire. Donnez au prolétaire les instrumens de travail nécessaires ; sa position changera tout-à-coup. ii L’acte de société est dressé. Les premiers souscripteurs sont des hommes recommandables dans la société, entr’autres MM. Fustmuron, Abel Tronson, Baudet Dulary, Grea, etc. Le Phalanstère paraît tous les jeudis, à dater du 1er juin dernier. On s’abonne à Paris, rue Joquelet, n° 5. |