L'Echo de la Fabrique : 23 septembre 1832 - Numéro 48

 CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Séance du 20 septembre,

(présidée par m. goujon.)

La première affaire est celle du sieur Villeneuve, qui réclame au sieur Guillot l’exécution des conventions faites entr’eux, pour l’apprentissage du fils Guillot. Cette cause avait déjà paru à l’audience de jeudi dernier, en laquelle le sieur Guillot ayant exposé la position de son fils, qui était en prison par ses ordres, pour le punir de sa mauvaise conduite, et demandé un renvoi à huitaine, espérant, dans l’espace de ce délai, que son fils, devenu plus docile, consentirait à rentrer chez son maître pour y finir son apprentissage ; le conseil avait fait droit à cette demande. A cette audience, le sieur Guillot déclare que ses efforts ont été inutiles, que son fils persiste à ne pas rentrer chez son maître, préférant s’engager. Alors le sieur Villeneuve réclame l’indemnité de 300 fr. portée sur les conventions.

« Attendu que l’élève n’est demeuré que quatre mois et demi chez son maître ; attendu qu’il est sorti sans cause légitime de l’atelier, et ne veut plus y rentrer ; attendu la bonne foi du sieur Guillot père, le conseil décide que la somme de 200 fr. sera payée par ce dernier au sieur Villeneuve, pour lui tenir lieu de toute indemnité, les conventions demeurant annuléesi. »

L’affaire des sieurs Monnet et Gamot prud’homme négociant, qui n’a pas été terminée jeudi dernier, est ensuite appelée. Le [4.1]sieur Monnet ne trouvant pas suffisant le défrayement qui lui est alloué, et d’un autre côté, le sieur Gamot ayant demandé que le conseil fît une enquête au sujet des tirelles, et décidât cette question avant de prononcer son jugement, le sieur Monnet reproduit les mêmes réclamations en exposant les pertes qu’il éprouve, par suite de la confiance qu’il a eue envers le sieur Gamot ; il demande qu’un peigne qui lui a coûté 20 fr. soit au compte du sieur Gamot, offrant de perdre 5 fr. sur le prix, et réclame de plus des tirelles sur ces deux pièces. Le sieur Gamot répond longuement et avec un ton d’emphase et d’assurance qui ne lui paraît pas ordinaire, qu’il n’est point à la barre du conseil par un motif d’intérêt, mais seulement pour faire consacrer un principe ; trouvant l’indemnité portée à 16 f. 20 cent. arbitraire, disant aussi que les fabricans ne doivent point de tirelles sur les crêpes-zéphirs ; il montre une note relevée de ses livres, où cinq de ses maîtres sont en avance de matières, et il en déduit la conséquence qu’ils n’ont pas besoin de tirelles. Le sieur Monnet réplique en disant que le sieur Gamot lui avait précédemment offert 20 fr., mais que ne pouvant les accepter, il s’était emporté, lui disant qu’il ne lui devait rien ; que s’il était condamné par le conseil, il ne se conformerait pas à ses décisions ; et que s’il paraissait de nouveau devant le conseil, c’était également pour voir si le sieur Gamot, comme membre du conseil, serait exempt de se conformer à ses décisions, et pouvait lui refuser les tirelles qu’il lui réclame. Le sieur Gamot répond qu’il est vrai qu’il a offert 20 fr., qu’il en payera 25 et même davantage s’il est nécessaire ; qu’il ne tient pas à l’argent, mais au principe, que les fabricans ne doivent point de tirelles sur les crêpes-zéphirs.

« Attendu la conciliation qui alloue 16 fr. 20 c. pour défrayement de montage, le conseil décide qu’elle prend force de jugement, engageii le sieur Gamot, à payer la somme de 20 fr. qu’il a offerte au sieur Monnet, et déboute ce dernier de sa demande sur les tirelles. »

Après le prononcé de ce jugement, un silence morne a régné quelques minutes dans l’auditoire, qui paraissait stupéfait de ce qu’il venait d’entendre. On se rappelle que le précédent conseil avait plusieurs fois déclaré que les fabricans devaient payer les tirelles sur toutes les pièces indifféremment.

Le sieur Bierry expose au conseil qu’il a eu deux neveux du sieur Philippon, chapelain à Saint-Jean, pour apprentis, et qu’ils sont sortis de chez lui pour se placer ailleurs. Le sieur Philippon n’ayant pu paraître à l’audience, a fondé de pouvoir un de ses parens, qui présente une lettre adressée au conseil, par laquelle le sieur Philippon déclare qu’il n’a placé ses neveux qu’en qualité de lanceurs. Plusieurs autres faits qui n’ont pas paru fondés sont contenus dans cette lettre, qui a reçu un complet démenti de la part du sieur Bierry. Ce dernier prouve que ses élèves étaient en état de travailler, puisqu’ils gagnaient après leur tâche, et n’ont été occupés que 6 mois à lancer, et qu’ils sont depuis 14 mois dans son atelier ; il réclame qu’ils soient tenus de finir leur apprentissage ou une indemnité.

« Le conseil décide que les deux élèves rentreront dans l’atelier pour y terminer leur appentissage, qui sera de 3 ans ; à défaut de le faire, il sera alloué au sieur Bierry la somme de 130 francs pour chaque élève qui, dans tous les cas, ne pourront se replacer qu’en qualité d’apprentis. »

La dame Révol expose que le sieur Micoud ne lui paie un gros-des-Indes que 65 centimes, et réclame le prix de [4.2]la mercuriale et une augmentation sur les tirelles qui ne sont marquées que 10 grames.

« Attendu que le prix de la mercuriale porte le prix des gros-des-Indes à 75 centimes, le conseil décide que le sieur Micoud paiera 10 centimes par aune d’augmentation sur la dernière pièce, et que la tirelle sera portée à 15 grammes. »

Notes de fin littérales:

i Le conseil, à notre avis, a mal jugé, aux termes de l’art. 1152 du code civil ; les tribunaux ne peuvent, lorsque les dommages-intérêts sont stipulés dans une convention, allouer ni plus ni moins.

 

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