L'Echo de la Fabrique : 1 mars 1835 - Numéro 24

ANGLETERRE,

Avant de quitter le continent, et d’aborder cette Grande-Bretagne, dont le commerce et l’industrie, poussés à des limites vraiment miraculeuses, en ont fait le pays le plus riche et le plus puissant du monde connu, j’éprouve le besoin de remplir une lacune que j’ai laissée, sans le vouloir, dans ce travail ; je veux parler de la marche de l’industrie de la soie en Europe, et particulièrement en Angleterre, depuis son importation de la Chine.

L’industrie de la soie paraît avoir pris naissance en Chine, plus de deux mille ans avant l’ère chrétienne. On fait remonter à l’année 350, sous le règne de l’empereur Justinien, son introduction à Constantinople, d’où elle se répandit en Grèce, et particulièrement dans le Péloponèse. En 1147, le comte Roger II1, premier roi de Sicile, ayant saccagé Céphalonie, Athènes, Thèbes et Corinthe, fameuses alors pour le travail de la soie, emmena à Palerme un grand nombre de leurs habitans. De la Sicile, l’art de la soie se répandit peu-à-peu en Italie, et Venise, Milan, Bologne, Florence, Lucques, etc. furent bientôt renommées dans l’art d’élever les vers, de préparer la matière et de fabriquer les étoffes.

Il paraît que vers la fin du 13e siècle, les papes introduisirent dans le comtat d’Avignon, les mûriers, les vers à soie, et même quelques manufactures de soieries ; mais ce ne fut qu’en 1480, sous Louis XI, que des ouvriers italiens, s’établirent à Tours, et seulement en 1520, sous François Ier, que des Milanais, des Florentins et des Lucquois, chassés par les guerres des Guelfes et des Gibelins, importèrent à Lyon le germe de l’industrie qui a rendu cette ville si florissante, et qui, à l’aide de Dieu et des efforts des hommes qui l’habitent, lui promet encore un long avenir de prospérité.

John Kemp, au 14e siècle, introduisit l’industrie de la soie en [4.1]Angleterre ; mais ce ne fut que pendant le long règne d’Elisabeth qu’elle commença à se développer, malgré les guerres civiles qui, si long-temps, désolèrent l’Angleterre ; ses progrès furent soutenus, et en 1660, on comptait déjà 40,000 individus employés dans ses diverses branches.

Mais c’est surtout de la révocation de l’édit de Nantes, (en 1685), que date le grand essor de cette industrie. On évalue à 50,000 le nombre des Français qui cherchèrent alors un refuge en Angleterre. Beaucoup d’entre eux qui, à Lyon ou dans le Midi de la France, avaient été employés dans la fabrication des soieries, s’établirent à Spitalfields.

A cette époque, les soieries étrangères entraient librement, et il paraît d’après les tableaux de la douane, que de 1685 à 1692, temps des progrès les plus marqués des fabriques de soieries anglaises, leur importation annuelle s’éleva à la somme de 15 à 17,000,000 de fr.

Mais en 1697, les réfugiés Français, les victimes de l’intolérance, demandèrent et obtinrent la prohibition des soieries des fabriques de France et d’Europe en général. En 1701, ils firent étendre les prohibitions aux soieries de Chine et des Indes.

De cette époque jusqu’en 1824, l’industrie de la soie, a végété.

La position des fabriques de Lancashire, est on ne peut plus favorable. Manchester, la capitale de ce comté, la ville la plus étonnante de l’Europe, sous le rapport manufacturier, semble appelée à jouer un jour, dans l’industrie de la soie, le rôle important qu’elle a su prendre dans l’industrie du coton.

Là, tout est neuf, rien ne se rouille, tout se renouvelle avec une incessante activité. Les hommes semblent généralement doués d’une énergie, d’une force de volonté remarquable, qu’ils appliquent presqu’exclusivement aux travaux du commerce et surtout de l’industrie. Les noms de James Hargraves et de Richard Arkwright, les inventeurs des machines causes des prodigieux développemens de l’industrie cotonnière en Europe, suffiraient seuls à l’illustration de tout un peuple.

Pour donner une idée de l’accroissement rapide de l’industrie de la soie à Manchester et ses environs, je dirai seulement qu’en 1823, le nombre des métiers employés à la fabrication des articles soie et mi-soie était de 5,500 ; en 1827 et 1828 de 12,000, et qu’on le porte aujourd’hui à 18,000. En 1823, on évaluait dans les établissemens de moulinage, le nombre des bobines à 21,000. et en 1832 à 84,000.

Notes de base de page numériques:

1 Référence ici à Roger de Hauteville (1095-1154), fondateur du royaume de Sicile en 1130.

 

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