de l’union universelle entre les travailleurs.1
Lorsque Napoléon eut soumis tous les peuples par la force des armes, une nation grande et généreuse lui résistait encore ; le fer du conquérant n’avait pu atteindre la plage où respirait un peuple fier de la liberté qu’il possédait et de celle qu’il attendait encore. Alors deux nations rivales embrassaient la querelle de George et de Napoléon. Les gouvernans entretenaient cette haine qui leur était utile, et en France parler du peuple anglais, c’était parler d’un ramas de pirates sans foi, sans honneur, ne connaissant que la surprise et la trahison. Parler des Français en Angleterre, c’était mettre en scène des barbares, bénissant la main qui les enchaînait, ne connaissant que le fer et le feu et toujours prêts à porter la dévastation chez leurs voisins.
La paix vint enfin, et les peuples apprirent à se connaître. Français et Anglais, tous reconnurent leur erreur. L’homme d’outre-Rhin ne fut plus regardé par nous comme un esclave courbant la tête sous la verge d’un petit potentat ; nous apprîmes que là les cœurs battaient aussi pour la liberté ; que là étaient aussi des hommes dignes de nos sympathies. L’Italien ne fut pas le sicaire de la cour de Rome ; l’homme à poignards et à stylets… Nous vîmes l’Espagnol secouer en frémissant ses fers et mépriser la colère des moines. Enfin, aujourd’hui tous les peuples, mus par un même sentiment, la liberté, se tendent la main et sont prêts à former cette association universelle, sans laquelle la paix ne peut être durable et les nations heureuses.
Si trop long-temps une classe d’hommes s’est liguée sous le nom de sainte-alliance pour arrêter les progrès et partant le bonheur des classes inférieures, le jour est arrivé où les travailleurs doivent former une alliance qui sera au moins plus sainte. Cette alliance ne troublera pas, comme la première, le repos des gouvernans ; elle ne bouleversera pas les états ; au contraire, elle en rétablira l’harmonie en assurant aux nations une paix durable. La borne des états ne sera plus une ligne de démarcation où doivent s’arrêter les sympathies ; et les peuples, pressés par les mêmes besoins, ne formeront qu’une grande et heureuse famille.
Que l’homme pensant, l’être doué d’une ame généreuse descende en lui-même ; pourquoi, lorsqu’il est obligé de travailler sans relâche, de gagner son pain à la sueur de son front, pourquoi serait-il l’ennemi de celui qui éprouve les mêmes peines, les mêmes souffrances, parce qu’il sera né sur les bords de la Tamise ou sous le ciel brûlant de l’Andalousie ? cet homme n’est-il pas un industriel comme lui ? comme lui n’a-t-il pas besoin que l’association des peuples vienne améliorer son sort ? et que sont les rivalités des nations à côté de ce besoin de paix et de prospérité ? de qui les guerres dévorent-elles le sang, si ce n’est celui des prolétaires ? Le temps des conquêtes est passé, et la plus belle, celle qui reste à faire, c’est de mettre en rapport tous les peuples ; de faire que les sociétés industrielles se [4.1]développent et franchissent les bornes des états pour porter, en tous lieux, cet amour mutuel que se doivent les hommes, et faire disparaître d’anciens préjugés.
Un roi, que des courtisans appelèrent grand, dit : Il n’y a plus de Pyrénées. Ce mot eût été sublime prononcé en faveur des travailleurs ; il est tombé dans l’oubli, parce que l’ambition seule le fit prononcer. Oui, il n’y aura de vrai bonheur pour les industriels que lorsque des relations suivies effaceront pour eux la distance qui sépare Lyon et Manchester, Cadix et Bordeaux, Vienne et Bruxelles. Il n’y aura d’amélioration possible pour le sort du prolétaire que quand tous les peuples seront intimement liés et ne formeront qu’une chaîne, dont chaque ville manufacturière sera un anneau ; et lors-qu’enfin les industriels trouveront des frères et non des rivaux sur les bords du Rhône, de la Tamise, du Danube et du Tage. Alors la concurrence, la désastreuse concurrence disparaîtra, et l’artisan, en travaillant, jouira enfin de cette part de félicité qu’on lui a ravie sur cette terre.
Il faut que les gouvernans aident au développement des sympathies ; il faut qu’ils rapprochent les travailleurs de toutes les nations ; car le bonheur des peuples est un garant de la stabilité des trônes et de la durée des états. Dans un pays où les artisans sont malheureux, il peut y avoir collision ; là ou le travailleur vit dans l’aisance, il ne peut y avoir que paix et stabilité. Nous ne demandons pas des bouleversemens ; celui qui les désire n’est pas l’ami du peuple, car celui-ci perd toujours dans les révolutions. Nous ne demandons que l’amélioration du sort des prolétaires ; la paix et la prospérité pour la classe industrielle, et des rapports d’intérêt et d’amitié entre les différentes nations.
Notre mission sera remplie le jour où tous les peuples auront abjuré les vieilles haines et les vieux préjugés ; le jour enfin où, des quatre coins de l’Europe, les hommes se regarderont comme frères et ne penseront qu’à s’entraider.
A. V.