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3 juin 1832 - Numéro 32
 
 

 



 
 
    

convoi funèbre de m. berna.1

Les feuilles publiques rendent souvent compte des funérailles pompeuses des grands de l’état, et dernièrement les journaux de la capitale remplirent, pendant plusieurs jours, leurs colonnes des détails minutieux de celles d’un ministre. Là, tout n’était que faste ; on apprenait aux départemens le nombre des maréchaux, des généraux, des ambassadeurs, des pairs et des députés qui y assistaient. L’armée ouvrait la marche et les corps constitués la fermaient. Tout ce que Paris a de salarié était obligé de s’y montrer. Pour le peuple, on ne le voit pas souvent se mêler à ces représentations fastueuses ; il regarde passer ces hommes, couverts d’or et de rubans, avec cette curiosité qui l’attire au théâtre, pour y voir quelques illusions féeries. Ce n’est pas de même dans la marche du convoi que nous allons reproduire dans toute sa simplicité ; ici c’était le peuple, rien que le peuple ; et, certes, si ceux qui suivaient le cercueil n’avaient ni titres ni fortune, au moins leurs cœurs étaient réellement pénétrés d’une douleur vraie.

C’est à nous, c’est au journal des prolétaires à faire connaître la marche du convoi funèbre du philantrope M. Berna. C’est à nous, qui sentons toute la perte que font les ouvriers, nos frères, dans cet excellent citoyen, à suivre pas à pas le cercueil de l’homme dont les vues profondes ne tendaient qu’au bonheur des industriels. Notre cœur s’est ému, nos larmes ont coulé ; mais une douce consolation est venue et nous a montré qu’après sa mort l’homme de bien avait trouvé la récompense d’une si belle vie.

[3.1]Le convoi funèbre a traversé lentement notre ville au milieu d’une foule émue. Un piquet d’infanterie le précédait, et le roulement lugubre du tambour donnait, même aux passans, cette teinte de mélancolie qu’on ressent lorsque la patrie vient de perdre l’un de ses meilleurs citoyens. Les plus notables commerçans accompagnaient leur digne collègue vers sa dernière demeure ; et derrière eux… ici le cœur se brisait ! près de mille ouvriers suivaient, la tête baissée et le crêpe au bras, celui qui long-temps leur avait assuré leur existence ; celui qu’ils regardaient comme leur père, comme leur bienfaiteur ! Un silence religieux régnait parmi eux, tous étaient pénétrés de la perte immense qu’ils venaient de faire. La marche du convoi était fermée par les élèves des écoles lancastriennes, ayant à leur tête leurs professeurs ; ces enfans accompagnaient au champ du repos celui qui, par ses libéralités, leur faisait donner cette instruction si nécessaire à l’homme ; car M. Berna avait long-temps soutenu lui seul ces écoles, et peut-être que sans sa persévérance notre ville en serait privée.

Tel était le convoi simple, mais imposant, de M. Berna ; nous n’allons pas citer ce qu’on a pu dire sur sa tombe ; ce sont des paroles de convenance oubliées aussitôt que la terre a couvert la dépouille mortelle de l’homme de qui l’on retrace la vie. Mais ce qui ne s’oublie jamais, c’est cette émotion profonde dont étaient pénétrés ces ouvriers, ces industriels qui portaient le deuil de leur généreux bienfaiteur.

Selon nous, les convois des ministres, la pompe funèbre des grands n’ont rien de comparable à la simplicité touchante du convoi de M. Berna . Que l’ombre de cet homme de bien repose en paix ! Peu de citoyens obtiendront, comme lui, après leur mort autant de justes regrets.

A. V.

Notes (convoi funèbre de m. berna . Les feuilles...)
1L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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