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10 juin 1832 - Numéro 33
 
 

 



 
 
    
AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Dans une série d’articles vous avez traité les impôts directs et indirects, mais vous l’avez fait d’une manière générale, c’est-à-dire, en grand. Si vous voulez m’accorder une place dans votre estimable journal, je me propose de traiter l’impôt indirect en petit, et de démontrer tout ce qu’il a de vexatoire et d’odieux pour une nation civilisée. Je commence par les droits réunis. Peut-on concevoir que dans une nation où le domicile de chaque individu est inviolable, où il faut un ordre de la haute magistrature pour qu’on puisse faire des fouilles à domicile quand il y a prévention de crime ; peut-on concevoir que deux employés, sans ordre et à toute heure du [4.2]jour, aient le droit de vous faire ouvrir votre porte et puissent fouiller jusque dans le coin le plus caché de votre ménage ? jusque dans votre lit, dans votre garde-robe, pour voir si vous n’avez pas quelques bouteilles cachées ? pourtant nos lois garantissent l’inviolabilité de domicile, et deux employés peuvent se moquer de la loi. Les hommes, d’après la constitution, sont égaux devant cette loi, et un marchand débitant de vin est obligé d’ouvrir sa porte aux argus du fisc, tandis qu’un marchand toilier peut la leur fermer au nez.

J’arrive aux droits d’octroi ! Ici tout est mesquin, pitoyable, déshonorant, autant pour l’exerçant que pour l’exercé. J’ai souvent resté le matin des heures entières aux barrières de la ville, mon cœur se soulevait de tout ce que je voyais. Là, plus de liberté ; tout citoyen est soumis à l’examen d’un employé, qui souvent n’est pas très-civil. Il ne faut pas passer une barrière sans s’arrêter si vous avez le moindre panier au bras, car l’inexorable commis vous court après et vous met la main dessus, ni plus ni moins qu’un agent de la police. Malheur à la personne pour qui la nature aura été ingrate, si elle a le moindre défaut sur son corps, une main profane vient, sans pitié, s’assurer si ce n’est pas de contrebande… Mais ce qu’il y a de plus révoltant, c’est de voir comme l’on interprète le tarif de droit d’entrée souvent contre un malheureux qui porte une poignée de paille, contre un habitant de la campagne qui porte à la ville une poignée de bruyère que l’ouvrier achète pour éclairer son feu. Eh bien ! n’y eût-il que deux brins de bruyère, le tarif est de cinq centimes, et les travailleurs payent tout cela, s’ils ne veulent pas se contenter de pain sec et s’ils ne veulent pas grelotter de froid. Mais aussi il y a compensation : dans le même temps qu’on arrête ainsi ceux qui viennent ravitailler la ville et qu’on les soumet à une perquisition inquisitoriale ; passe, sur un beau cheval, un fashionable, le commis qui se trouve devant lui s’empresse de faire place, car il se connaît en beau monde ; il a des sacoches à sa selle, elles paraissent bien garnies, mais le commis ne dit rien, parce que le fashionable peut être un homme important. C’est pourtant là où l’impôt devrait frapper ! le luxe et rien que le luxe !… Mais malheureusement ceux qui votent les impôts préfèrent le luxe au bonheur des masses, et peu leur importe que les travailleurs meurent de faim et de froid, pourvu que leurs chevaux ne manque de rien, pourvu que leurs voitures aient de la fraîcheur et que leurs domestiques fassent bien le service !

Espérons que, dans un siècle de progrès comme le nôtre, de pareils droits disparaîtront, car ils sont tout-à-fait en opposition avec nos lois comme avec nos mœurs.

Agréez, etc.

K., un de vos abonnés.

 

 

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