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10 juin 1832 - Numéro 33
 
 

 



 
 
    
DE L’ÉGALITÉ SOCIALE.1

(3me et dernier article.)

Ce qui augmente ma confiance, c’est l’esprit général des nations qui se monte de plus en plus sur le ton de la raison ; c’est le progrès des connaissances, c’est ce fleuve immense qui grossit tous les jours et qu’aucune puissance ne peut se flatter d’arrêter, c’est cette soif de l’instruction, etc.
Boulanger. L’Antiquité dévoilée.

J’ai promis de parler de la noblesse des professions ; je vais remplir ma tâche, le cœur ne me faillit point, mais [6.1]je crains de n’être pas à la hauteur de mon sujet, car il s’agit d’aborder franchement une question grave, de faire main-basse sur des préjugés fortement enracinés, et qui pour être détruits auront besoin d’être encore long-temps attaqués par le bélier de la presse. Je l’oserai. Que cette page écrite par un prolétaire et pour les prolétaires, témoigne de ma bonne volonté et de mon courage, en même temps qu’elle témoignera de mon impuissance.

Rappeler les hommes au respect d’eux-mêmes, les inviter à un agape i universel, tel est le but que je me suis proposé en proclamant le dogme de l’égalité sociale. Trop long-temps tyrans ou sujets, riches ou pauvres, puissans ou faibles, ils ont oublié leur dignité. Trop long-temps, pour me servir d’une expression vulgaire qui rendra mieux ma pensée, ils ont été enclumes ou marteaux.

La société ne fut pas toujours constituée telle que nous la voyons ; l’homme libre, mais sauvage, ne connut d’abord que les lois de la famille. L’Orient est plein du souvenir des patriarches ou pères de famille. A la famille succéda la tribu qui est la réunion de plusieurs familles, les tribus en s’agglomérant formèrent les castes, en se divisant elles formèrent les nations. L’esclavage fut le résultat du combat livré par les tribus entr’elles. La domesticité, esclavage volontaire, fut le refuge de la faiblesse contre les attaques de la force. Des rapports de l’homme libre avec l’esclave et le domestique sont nés la richesse et le patriciat. Jésus-Christ a détruit l’esclavage, et c’est en ce sens qu’il dit à Pierre : Je suis pêcheur d’hommes. La révolution française a mis hors de cause le patriciat ou la noblesse ; la charte en parle pour mémoire seulement. Il ne reste plus que la richesse et la domesticité. La première éprouvera bientôt le sort de la noblesse, et la seconde est devenue inutile depuis qu’un pouvoir supérieur, la loi, protège le faible contre l’homme fort et puissant.

Aujourd’hui il m’est permis de poser cette question : si l’homme riche par l’effet du hasard marche l’égal de l’homme noble, par un autre effet du hasard, pourquoi l’homme qui est pauvre, toujours par un effet du hasard, ne marcherait-il pas leur égal à tous deux ? et cette question, il m’est permis de la résoudre dans le sens de l’égalité.

Il n’y a plus que des citoyens. C’est sans aucune distinction que les fonctionnaires sont pris parmi eux.

Citoyens fonctionnaires et citoyens non fonctionnaires, voilà la société française au 19me siècle. Les premiers sont ce qu’on appele en termes génériques le gouvernement, les seconds forment le peuple.

Qu’est-ce qu’un fonctionnaire ? c’est le citoyen qui, à titre onéreux ou gratuit, exerce un pouvoir, remplit une charge quelconque dans la société.

Dans cette échelle sociale qui commence à l’individu [6.2]qui, sous le nom de roi, président, consul ou autre analogue, est investi du pouvoir exécutif, suprême, et finit à cet autre qui, sous le nom de soldat, protège la cité, il existe une hiérarchie nécessaire, mais subordonnée à l’exercice des fonctions ; car, après leur accomplissement, l’égalité reprend son empire et tous ces fonctionnaires redeviennent simples citoyens. Comme fonctionnaires ils avaient un costume, des insignes qu’ils déposent en rentrant dans la vie privée.

(La suite au prochain N°)

Notes (DE L’ÉGALITÉ SOCIALE.)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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