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17 juin 1832 - Numéro 34
 
 

 



 
 
    
LYON1

[1.1]Les deux époques.

Il est des hommes pour qui la calomnie est un besoin, et qui se font un malin plaisir d’en accabler leurs semblables. Basiles placés dans un rang élevé, ils croient pouvoir insulter impunément les masses selon leurs caprices ou leur mauvaise humeur ; et si un démenti formel vient combattre leurs calomnies, souvent atroces, ils souriront à la pensée de leur patron, et répéteront d’après lui : Calomnions ! calomnions ! il en restera toujours quelque chose.

On se rappelle qu’après les désastreux événemens de novembre, un houra général s’éleva contre les prolétaires, les travailleurs, dans ce que le Journal des Débats  appelait le camp des hommes de la propriété. Députés, banquiers, journalistes, journalistes de la propriété bien entendu, tous poussèrent le cri de guerre ; il fallait punir, exterminer une classe qui ne voulait que le pillage et la dévastation ; et le Journal des Débats, après une série d’injures, finissait par dire que les ennemis des hommes de la propriété n’étaient pas sur les plateaux du Caucase ni dans les steppes de la Tartarie, mais bien parmi nous, dans nos ateliers !… On aurait cru, après avoir entendu un pareil langage, que ces barbares, ces ennemis de la propriété, ces hommes de pillage et de dévastation s’étaient livrés ou allaient se livrer à tous les excès ; pas du tout. Après une collision violente, un malheureux duel, que, vainqueurs et vaincus, tous ont déploré, les travailleurs rentrèrent dans leurs ateliers. L’autorité conserva toujours sa force, et aucun excès ne suivit ces journées de deuil. Voilà donc les travailleurs justifiés des calomnies de plusieurs journaux ; car, plus tard, le Courrier de Lyon ne manqua pas de donner sa part d’épithètes peu flatteuses. Les voilà justifiés des paroles inconséquentes jetées par un député du haut de la tribune nationale, paroles qui n’auraient dû être que de paix et de concorde, si l’honorable député n’avait point oublié un moment qu’il représentait la ville de Lyon.

Aujourd’hui les travailleurs viennent de recevoir des [1.2]louanges de la bouche de leurs calomniateurs : ils en rient de pitié, parce qu’ils savent qu’ils n’ont pas besoin qu’on les justifie auprès de l’opinion publique ; ils savent que leurs intentions ont été et seront toujours pures ; et que leurs vœux ne seront que pour le travail, la paix et la prospérité de la patrie. Mais ce qu’il y a d’assez singulier, c’est que les travailleurs sont justifiés aujourd’hui par ceux-là même qui les accablaient d’injures il y a six mois. Un combat sanglant vient d’avoir lieu au sein de la capitale, combat qui a déchiré notre cœur, car ce n’est que du sang français qui a coulé ; mais travailleurs, nous ne pouvons ni ne voulons entrer dans aucune discussion sur ce funeste événement ; ce n’est pas là notre affaire. Les journaux qui autrefois avaient parlé des masses avec mépris, les exaltent aujourd’hui en faisant le récit de ces tristes événemens : Les rebelles, disent-ils, ont cherché à attirer à eux les ouvriers, les artisans ; mais ceux-ci sont restés inébranlables. Nous ne voulons que travailler, répondait l’un. Les coups de fusil, ça tue le commerce, répondait l’autre ; et ces braves gens sont restés spectateurs impassibles du combat. Voilà comment parlent des travailleurs les feuilles qui, six mois avant, les traitaient d’hommes de pillage et de dévastation. Ces hommes ne sont donc pas, comme le disait le Journal des Débats, des ennemis plus dangereux que les hordes du Caucase et de la Tartarie ? Ces hommes ne veulent donc pas, comme le disait l’honorable M. Fulchiron, faire la guerre à la propriété ? Qu’on cesse donc de calomnier les travailleurs ; qu’on cesse de les montrer comme les ennemis de tout ce qui est au-dessus d’eux par la fortune. Leur conduite a assez prouvé que la vertu est innée aussi bien dans le cœur du prolétaire que dans celui de l’homme millionnaire.

Travailleurs, nous n’avons qu’un but, l’amélioration physique et morale de notre classe. Les émeutes, nous les méprisons ; car que nous importe, à nous autres artisans, les théories de résistance et de mouvement, de juste-milieu ou de radicalisme… Du travail, un salaire assez élevé pour donner à nos familles cette existence et cette instruction que le siècle et nos mœurs réclament, [2.1]et notre pensée ne va pas au-delà. Nous mépriserons les émeutes ; car, selon nous, l’amélioration physique et morale des travailleurs dépend de la paix et de la prospérité du pays. Mais au moins qu’on cesse de nous calomnier, et qu’on nous regarde dorénavant comme une classe éminemment essentielle dans l’ordre social.

A. V.

Notes (LYON)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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