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17 juin 1832 - Numéro 34
 
 

 



 
 
    
CONSEIL DES PRUD?HOMMES

Séance du 13 juin,

(présidée par m. Goujon.)

Avant l?ouverture de la séance, M. Riboud s?adressant à un prud?homme chef d?atelier, lui a dit d?une voix assez forte pour que le sténographe de l?Echo de la Fabrique puisse l?entendre : Vous avez là un sténographe qui ne doit pas y être ; il peut entendre les délibérations, et je vais prévenir M. le président pour qu?il le fasse sortir : en effet, M. Riboud s?est approché de M. Goujon. Pour éviter tout scandale, le sténographe a quitté sa place ordinaire et a été se placer près des auditeurs.

D?abord nous devons observer à M. Riboud que les prud?hommes chefs d?ateliers n?ont point de sténographe au conseil ; que le gérant de l?Echo, qui remplit ces fonctions lui-même, ne connaît personne dès qu?il a mis le pied dans la salle des séances ; aucune considération, pas même l?amitié la plus intime, ne le ferait dévier de la route qu?il s?est tracée, il est là indépendant et à l?abri de toute influence. Il affirme sur l?honneur, que de la place qu?il occupait il n?a jamais entendu un seul mot des délibérations. Etant placé à côté des ayant-cause, ces derniers devraient donc entendre aussi les délibérations, ce qui est impossible. Au reste, si par de petites tracasseries le sténographe est forcé de quitter l?enceinte du conseil, il saura se placer dans un coin parmi les auditeurs, et ceux-ci qui lui savent gré de son travail déjà assez pénible, le mettront à même de pouvoir remplir sa mission.

La séance est ouverte à six heures et quart. Peu de causes ont été appelées : voici celles qui nous ont paru mériter d?être rapportées.

Le sieur Naquet, fabricant, réclame à la demoiselle Guibert une somme de 18 fr. provenant de la vente d?un schall. Mlle Guibert produit son livre de dévidage où se trouvent plus de pesées que n?en a accusé le sieur Naquet. Le conseil, après avoir examiné attentivement le livre, prononce ainsi : attendu qu?on ne doit reconnaître que ce qui est écrit sur les livres et que les pesées se montent à 30 fr., le conseil décide que le sieur Naquet payera 30 fr. à la Dlle Guibert, en déduisant 28 fr. pour le schall.

[6.1]Le sieur Gamot fait comparaître le sieur Balança, chef d?atelier ; ce dernier ayant rendu une pièce de peluche, le commis le trouva à faire un reste de pièce. Plainte fut portée pardevant le conseil ; et des prud?hommes-fabricans et chefs d?ateliers s?étant transportés au domicile du sieur Balança, constatèrent le fait par procès-verbal. Le chef d?atelier, interrogé par M. le président sur ce fait, dit qu?il n?avait gardé de matière que pour faire un chapeau ; que, d?ailleurs, n?ayant qu?un compasteur à son métier, il lui était arrivé un accident, que beaucoup de fils manquaient et qu?il avait été forcé de couper sa pièce. M. le président demande à M. Gamot ce qu?il exige pour cela ; celui-ci répond qu?il exige que l?ouvrier garde un peigne à sa charge ; de plus, que l?étoffe fabriquée lui soit payée au cours. Le conseil prononce ainsi : attendu que non-seulement l?ouvrier a commis une faute grave, mais qu?après avoir rendu sa pièce, il a fabriqué de l?étoffe pour lui ; attendu que l?ouvrier n?a pas le droit de garder l?étoffe qui ne lui appartient pas ; le conseil décide : que le sieur Balança gardera le peigne, rendra l?étoffe qu?il a de fabriquée, et payera 5 francs d?indemnité au sieur Gamot. Après ce jugement, M. le président s?exprime ainsi : Le conseil profite de cette occasion pour dire aux chefs d?ateliers que nul n?a le droit de fabriquer de l?étoffe pour lui, avec des matières qui ne lui appartiennent pas. On ne sait pas, ajoute-t-il, le mal que cela fait aux fabricans, par la quantité de petites coupes qui circulent dans le bas commerce. M. Gamot abandonne la somme de 5 fr. au profit de la caisse de bienfaisance.

Le sieur Valette avait fait comparaître à la dernière audience le sieur Ajac, fabricant, pour une demande en défrayement sur le montage de plusieurs métiers. L?affaire avait été renvoyée pardevant MM. Reverchon, Favier, Perret et Charnier. Les arbitres avaient accordé au sieur Valette, une somme de 175 fr., que devait lui payer le sieur Ajac : mais ce dernier ne voulant pas se tenir à la conciliation, cette cause a été appelée de nouveau. L?acte de conciliation a été lu à haute voix par M. Reverchon, et le conseil a renvoyé la cause à la fin de la séance pour le prononcé du jugement. La fin de la séance arrivée, on a repris cette affaire ; mais attendant des informations de la part du fabricant qui occupe maintenant les métiers du sieur Valette, l?audience est restée en suspens pendant une demi-heure.

Un incident a troublé un moment le calme de la séance. Un des membres du conseil, nous serions en peine de dire lequel, a cru pouvoir appeler M. Ajac parmi les prud?hommes, et l?interroger. M. Ajac a parlé très-long-temps dans l?enceinte réservée spécialement aux membres du conseil : cet acte illégal a provoqué de vifs murmures dans l?auditoire, et même un coup de sifflet est parti du milieu de l?enceinte réservée au public. Nous désapprouvons la conduite de ceux qui ont manifesté ainsi leur mécontentement ; mais nous ne pouvons tolérer cet acte arbitraire d?appeler un fabricant parmi les prud?hommes, et de lui parler à voix basse. Les séances du conseil étant publiques, une fois la séance ouverte, tout doit être dit, questions et réponses, à haute et intelligible voix. Nous ne voyons pas pourquoi le sieur Valette n?aurait pas eu le droit de franchir l?estrade et d?aller se placer à côté de M. Ajac, pour écouter ce qu?on lui disait. Le conseil des prud?hommes doit être conséquent, et quelques actes tels que celui-ci l?auraient bientôt perdu dans l?opinion publique.

La séance est levée à 8 heures et demie.

 

 

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