AVIS.
LYON.
PROCÈS POLITIQUE DES LYONNAIS.
COUR D’ASSISES DE RIOM1.
présidence de m. magnol.
Séance du 15 juin 1832.
Le vif intérêt inspiré par des accusés spirituels et généreux avait attiré un brillant auditoire.
Les accusés sont : Péclet (Edouard), licencié en droit, âgé de 26 ans.
Granier (Adolphe), gérant de la Glaneuse.
Périer (Michel-Ange), avocat, décoré de juillet, âgé de 29 ans.
Rosset (Louis), rentier, âgé de 59 ans.
Drigeard-Desgarnier, marchand quincaillier, âgé de 39 ans.
Et Charvin (Hyacinthe), imprimeur, âgé de 45 ans.
Tous présens.
Puis, Perenon, professeur.
Dervieux, marchand chapelier.
Filhiol.
Ces trois derniers contumaces.
Après la prestation de serment de MM. les Jurés et l’appel de témoins, le greffier lit l’acte d’accusation, et l’arrêt de la cour de cassation qui renvoie les accusés devant la cour de Riom.
Il résulte de l’acte d’accusation que Péclet, Périer et Desgarnier ont fait partie d’une bande armée, et ont trempé dans un complot qui avait pour but de changer le gouvernement, d’exciter les citoyens ou habitans de la ville de Lyon et de ses faubourgs ou communes voisines [1.2]à s’armer contre l’autorité royale, de s’être livrés à divers actes extérieurs et publics pour parvenir à l’exécution de leurs desseins, d’avoir dirigé la sédition et d’avoir exercé dans la bande un emploi ou commandement, d’avoir excité les citoyens à la dévastation, au crime, au pillage, au massacre ; d’avoir voulu envahir des propriétés ou deniers publics, places, villes, postes, magasins et arsenaux appartenant à l’Etat, etc.
Que Desgarnier et Péclet ont fourni ou procuré des armes à une bande armée, etc. etc.
Que Rosset, Granier, Perenon, Desgarnier, Dervieux et Filhiol ont formé un complot tendant à s’armer contre l’autorité royale, etc. etc.
Que Granier, éditeur, et Charvin, imprimeur de la Glaneuse, sont coupables de provocation à un attentat dont le but était de changer le gouvernement, etc. etc.
Crimes prévus par les art. 2, 87, 88, 89, 91, 92, 96 et 97 du code pénal.
M. l’avocat-général déclare s’en référer à l’acte d’accusation.
On procède à l’audition des temoins.
Premier témoin : M. Boisset, adjoint à la mairie de Lyon, dépose que le 25 novembre, à 2 heures et demie du matin, il s’est rendu, avec quelques conseillers municipaux, à la préfecture où l’on proposa d’établir aussitôt un poste. Le préfet qui, la veille, avait vu M. Lacombe à la Croix-Rousse, le désigna comme pouvant être chef. On courut le chercher : il arriva trois quarts d’heure après, et dit qu’il était question de changer le gouvernement. Pensant alors que son poste était à la mairie, M. Boisset rentra à l’Hôtel-de-Ville de Lyon avant cinq heures ; il y fut bientôt suivi par Lacombe muni d’un billet du préfet qui l’instituait chef du poste de l’Hôtel-de-Ville de Lyon. A deux heures Lacombe soumit à M. Boisset une proclamation par laquelle sont appelés les volontaires du Rhône, proclamation que ce fonctionnaire trouve si bien qu’il l’approuve et demande à la publier en son nom. Lacombe s’y refuse et la fait afficher. Bientôt après M. Boisset se rend chez le préfet où arrive M. Rosset, accompagné du sieur Prat, commissaire [2.1]central, lequel Rosset prie poliment le préfet de lui remettre ses pouvoirs, afin d’éviter les malheurs qui menacent la ville. Sur le refus du préfet, Rosset se retire.
La fin de la déposition de M. Boisset n’ayant aucun rapport avec les accusés et ne présentant que des faits incriminés, nous nous dispensons de la reproduire.
2e témoin : M. Etienne Gauthier, conseiller municipal de la ville de Lyon, dépose que le 23, entre 5 et 6 heures du soir, M. Rosset se présenta dans le cabinet du maire, accompagné de plusieurs hommes armés auxquels, lui, Gauthier, adressa une allocution qui détermina la retraite de M. Rosset.
3e témoin : M. Benoît, secrétaire-général de la mairie, dépose que le 25 novembre, à 7 heures du matin, il s’est rendu à son poste à Hôtel-de-Ville ; que dans la matinée un employé, nommé Well (Léon), est venu lui dire qu’il était demandé pour secrétaire par les rédacteurs de la Glaneuse, installés à l’état-major ; qu’il lui a défendu de s’y rendre ; qu’à 10 heures, M. Pelletier, pharmacien, est entré dans son cabinet, et lui a demandé s’il voulait entrer en communication avec le sieur Rosset qui avait une grande influence sur les ouvriers ; qu’il accepta et se rendit auprès de ce dernier qui lui tourna le dos.
Interpellés par M. l’avocat-général et M. le président, ces trois témoins déposent que, d’après leur opinion, la politique n’était pour rien dans cette affaire.
4e témoin : M. Dunand (Louis), garde-meuble à la mairie, ne sait pas s’il a été question de renverser le gouvernement, et qu’il ne connaît pas ceux qui se trouvaient à l’Hôtel-de-Ville le mercredi.
5e témoin : M. Prat, commissaire central, après avoir fait l’historique des premiers événemens, dit que le mercredi, à 10 heures du matin, Granier, Rosset, Glasson, Filhiol, etc. se rendirent dans son bureau, que Rosset le pria de l’accompagner à la préfecture où lui Rosset engagea le préfet à lui remettre ses pouvoirs ; que sur le refus de ce magistrat, il revint à l’Hôtel-de-Ville ou il fit la même proposition à M. Boisset qui refusa aussi.
M. le président : Pourriez-vous nous dire qui a fait la proclamation incriminée ?
Le témoin : Je crois que M. Perenon en est l’auteur, que M. Granier l’a corrigée et y a ajouté quelques mots.
M. le président : Cette déposition n’est pas conforme à celle que vous avez faite dans une lettre où vous dites positivement que Perenon, carliste, est l’auteur de la proclamation républicaine.
Le témoin : J’en ai, en effet, la conviction, mais non pas l’assurance, puisque je n’ai pas vu.
M. le président fait lire la proclamation par le greffier.
- M. Prat reconnaît que c’est bien de celle-là qu’il est question.
D. Le mouvement de novembre était-il préparé ? ;
R. Depuis janvier 1831, il avait été tenté dix ou douze fois, toujours par les carlistes, mais n’avait jamais réussi.
D. Les accusés avaient-ils pris part à ces conspirations ?
R. Jamais je n’ai entendu parler des accusés avant les événemens de novembre.
M. l’avocat-général : Comment vous, M. Prat, commissaire central de police, n’avez-vous jamais pu mettre la main sur aucun carliste ? (tout l’auditoire rit.)
Le témoin : ils agissent dans l’ombre, et je n’ai pas pu savoir quels étaient les chefs.
M. l’avocat-général : Y a-t-il eu de l’argent distribué ?
R. Oui, par les carlistes.
Me Michel, avocat de M. Rosset, demande à M. Prat si M. Rosset n’a pas, en sa présence, signalé au préfet [2.2]une réunion carliste, le nombre de ses membres et le lieu ou elle siégeait dans le moment même. – Le témoin dit ne l’avoir pas entendu.
M. Boisset, rappelé pour déposer sur le même fait, déclare n’en pas savoir davantage.
M. l’avocat-général : n’avez point entendu M. Rosset menacer le préfet de faire agir les masses dans le cas où ce magistrat ne lui remettrait pas le pouvoir ?
R. Oui.
Le témoin se reprend aussitôt et déclare que M. Rosset a dit que si le pouvoir ne lui était pas remis, il ne répondait pas des masses. (Mouvement aux bancs des jurés qui s’écrient : « Ah ! c’est bien différent. »)
5e témoin : Le sieur Lacombe, âgé de 45 ans, dépose qu’à la tête des ouvriers de St-Georges, il se porta le 22 au pont de la Feuillée, où les parlementaires qu’il envoya furent reçus à coups de fusils. Dans ce moment, ayant entendu dire que les soldats de la ligne, casernés aux Carmes-Déchaussés, allaient venir prendre sa troupe par derrière, il monta avec elle à la caserne où les armes et les munitions furent enlevées. De-là il se dirigea vers la place des Célestins, où le cri de vive la république ! fut proféré, il ne sait par qui. Ensuite il se porta sur le quai de Retz, et continua de commander le reste de la soirée. Le 23, au matin, étant occupé à l’attaque de l’arsenal, il reçut un envoyé du préfet qui lui faisait demander de se rendre auprès de lui. Il répondit qu’il irait après la prise du poste. Arrivé à la préfecture, il affirme au préfet qu’il n’est pas question de renverser le gouvernement. Dans cette entrevue, il obtint la confiance de ce magistrat qui l’envoya à l’Hôtel-de-Ville voir ce qui se passait. Le poste de l’Hôtel-de-Ville étant commandé par un autre, il retourua vers le préfet qui lui donna l’ordre écrit d’en prendre le commandement. A huit heures il y trouva Lachapelle qui gouvernait ; il partagea d’abord le pouvoir avec lui ; mais s’étant rendu auprès de M. Boisset, il lui montra son ordre, et celui-ci le fit reconnaître pour seul chef. Ayant remarqué que parmi des patrouilles d’ouvriers qui arrivaient à l’Hôtel-de-Ville se trouvaient quelques hommes ivres, il les retenait afin d’éviter le désordre ; ce qui a fait croire aux personnes qui, ce jour-là, vinrent à l’Hôtel-de-Ville, que la plupart des ouvriers composant l’insurrection étaient pris de vin. A midi, s’apercevant des mauvaises intentions de quelques individus, il fit faire, d’après l’avis du préfet, une proclamation pour provoquer l’organisation des volontaires du Rhône. Dans ce même moment, Perenon en présenta une autre, celle qui a été incriminée ; il l’a refusée. Malgré cela ledit Perenon se fit accompagner de quatre hommes armés, et la porta à l’imprimerie de Charvin. Pendant ce temps, la proclamation pour l’organisation des volontaires du Rhône fut portée chez l’imprimeur de la ville. Lacombe, pendant qu’elle était chez Charvin, envoya successivement plusieurs ordres signés de lui. Une proclamation venant de chez Charvin lui fut remise ; ce n’était pas celle qu’il attendait. Lui et la plupart de ceux qui se trouvaient là la refusèrent. Le secrétaire de la mairie, dont il prit alors l’avis, lui rédigea une protestation qui fut affichée à la fin du jour. A cinq heures, voulant se dérober aux menaces qui lui étaient continuellement faites, il quitta le poste, et fut remplacé par Guillot.
Le président : N’y avait-il pas à côté de la salle dans laquelle vous étiez à l’Hôtel-de-Ville, une assemblée mystérieuse d’où seraient sortit ces mots : « Je le jure ! » ?
Le témoin : Oui, Monsieur, mais j’ignore ce qu’elle était.
Le président : Comment votre nom s’est-il trouvé au [3.1]bas de la proclamation rédigée par le sieur Perenon ?
Le témoin : Il y aura probablement été mis par un homme qui m’avait demandé dans la matinée les noms des chefs des ouvriers, et à qui j’avais donné, comme les premiers, les quatre qui étaient au bas de la proclamation.
Le président : M. Périer, expliquez-moi comment vous vous êtes trouvé dans le rassemblement qui s’est formé sur la place des Célestins ?
M. Périer : Dans la matinée du 22 novembre, je parcourais la ville pour avoir des nouvelles du combat. Je me transportai sur plusieurs points où l’on se battait avec acharnement. Je vis des morts, des blessés, et partout une exaspération profonde ; car partout la population sympathisait avec les ouvriers. Arrivé sur la place des Célestins, je vis un rassemblement armé. Quelques hommes apercevant le signe que je porte à ma boutonnière, vinrent à moi, et quoique je leur fusse personnellement inconnu, ils m’embrassèrent en me donnant tous les témoignages de la plus vive sympathie. On me présenta une carabine, en me disant : « Vous avez combattu en juillet pour la cause du peuple, eh bien ! vous combattrez encore aujourd’hui pour cette cause. » Je n’hésitai plus ; je pris l’arme en répondant : « Oui, mes amis, encore aujourd’hui je défendrai la cause du peuple, c’est la mienne, c’est celle de tous. » Telles furent à-peu-près mes expressions.
Le président : D’après l’accusation, vous auriez terminé cette allocution par le cri de « Vive la république ! » Expliquez-vous sur ceci ; l’avez-vous proféré ?
L’accusé : Qu’on adresse cette question à un témoin, je le conçois ; mais je ne comprends pas qu’on me l’adresse à moi accusé. Mon rôle ici n’est pas de m’accuser moi-même, mais d’attendre les témoignages. L’accusation en tirera parti comme elle l’entendra ; j’y répondrai ensuite comme je l’entendrai. Au reste, MM. les jurés comprendront qu’avec la meilleure volonté possible, il me serait assez difficile, après sept mois d’intervalle, de répéter mot à mot tout ce que j’ai pu dire dans un moment d’irritation, où je parlai au milieu du bruit, assailli par mille émotions à la fois.
Le président : Quand la troupe fut arrivée au coin de la rue Neuve, vous seriez monté sur une borne d’après l’accusation, et là vous auriez encore terminé par le cri de « Vive la république ! »
L’accusé : il sera prouvé par l’instruction que cette allocution était toute autre chose qu’une harangue politique. Le peuple armé se trouvait en face d’un détachement de la troupe de ligne stationné sur la place du Plâtre. D’après la disposition des lieux et la force de ce détachement, un combat engagé dans cet endroit eût été un horrible carnage. On voulait néanmoins attaquer. Je fis des représentations ; je montai même sur une barricade afin d’être mieux entendu. Ce ne fut qu’à force d’instances que je parvins à calmer les esprits. Mes paroles en cette circonstance n’ont eu d’autre but que d’épargner une effusion de sang inutile ; ce furent des paroles de conciliation et rien de plus.
Le président : Monsieur Péclet, racontez-nous comment vous vous êtes trouvé dans le rassemblement de la place des Célestins.
M. Péclet : Je descendais du bureau de la Glaneuse, lorsque je vis un attroupement armé, au milieu duquel se trouvait Périer. Je le suivis jusque sur le quai de Retz, Là, ayant ramassé le fusil d’un ouvrier qui venait d’être blessé, je l’amorçais lorsque je fus atteint d’une balle. Là s’est terminée ma carrière politique.
Me Dupont, avocat de MM. Périer et Péclet : Monsieur [3.2]Lacombe, l’intention des ouvriers était-elle de piller ?
Le témoin : Non, Monsieur.
6e témoin : M. Menouillard, commissaire de police, fait une déposition dont la plus grande partie n’a rapport qu’à lui ; d’où il résulte qu’il a entendu MM. Rosset et Dervieu dire à Lacombe, dans le cabinet du maire à l’Hôtel-de-Ville, que le préfet n’était plus rien, que lui Lacombe devait seul garder le pouvoir que le peuple lui avait confié.
Le président : Un complot avait-il été formé pour amener les événemens ?
Le témoin : Des réunions presque autorisées avaient eu lieu.
Le président : Les chefs étaient-ils connus ?
Le témoin : Oui, le préfet traitait avec eux.
Le président : Quel était le but de ces réunions ?
Le témoin : Il n’y avait rien de politique. Je crois que les ouvriers ne s’étaient réunis que pour forcer par la terreur ou par la violence les négocians à maintenir le tarif.
Le président : Etait-il question en novembre de complots carlistes ou républicains ?
Le témoin : La police ne s’occupait que des voleurs ?
Le président : Les rédacteurs de la Glaneuse avaient-ils été signalés comme participant à des complots ?
Le témoin : Jamais.
7e témoin. M. Bardoz confirme la déposition de M. Menouillard en ce qui concerne MM. Rosset et Dervieu.
Les sieurs Martin, ouvrier en soie, Dréson, Well et Cellard, 8e, 9e, 10e et 11e témoins, font des dépositions insignifiantes.
Il est quatre heures et demie, la séance est levée.
Séance du 16 juin.
L’audience est ouverte à neuf heures et demie.
12e témoin, M. Bastien, commandant des dragons ; M. Desgarnier a sauvé, je puis l’affirmer, le mardi, à quatre heures et demie, un dragon blessé que l’on voulait jeter dans le Rhône. L’officier que M. Desgarnier est accusé d’avoir tué l’a été par un ferblantier âgé de 70 ans.
Les 13e et 14e témoins, MM. Diano et Buisson, racontent sur les événemens de novembre des faits fort intéressans que nous supprimons, parce qu’ils n’ont pas trait à l’affaire.
15e témoin, Mme Dècle, dépose du même fait.
16e témoin, Mlle Dècle, a vu de sa fenêtre M. Desgarnier distribuant des armes dans la galerie de l’Argue.
17e témoin, M. Sampier-Daréna, n’a rien vu.
18e témoin, M. Malin, était, le 21 au matin, dans un groupe d’ouvriers que M. Prat haranguait. En ayant engagé un à se retirer, celui-ci lui répondit qu’il avait une femme et trois enfans, point de pain, et manquait de travail depuis six mois. Alors, M. Prat s’étant retiré, des gardes nationaux qui survinrent firent feu sur le groupe inoffensif. Une femme et des enfans furent frappés ; lui Malin, reçut une balle dans l’un des plis de sa redingotte.
19e témoin, M. Parin, major en retraite, a vu, le 22 novembre, arriver sur la place des Célestins une bande de 200 hommes armés. Il leur a entendu prononcer ces mots : « Nous le jurons », et a remarqué que celui qu’il croyait être le chef, avait une redingote et un ruban de juillet à sa boutonnière.
20e témoin, Mlle Emma Guy, âgée de 17 ans, dépose qu’elle a vu un jeune homme en redingote verte distribuer des cartouches et de l’argent sur la place des Célestins.
[4.1]Le président : Reconnaissez-vous le distributeur parmi les accusés ?
Le témoin : Non, Monsieur.
Le président : Quels étaient les chefs de l’attroupement ?
Le témoin : Il y en avait plusieurs assez bien mis.
21e témoin, la dame Guy, a vu aussi distribuer des cartouches par un jeune homme en redingote verte.
M. Péclet, sur lequel pèse cette accusation : L’individu avait-il une redingote d’été ou une redingote à la propriétaire, ayant des poches sur les côtés.
Le témoin : Il avait une redingote à la propriétaire.
M. Péclet : J’affirme à MM. les jurés que j’avais ce jour-là une redingote d’été.
22e témoin, M. Giraud, médecin, était le 22 novembre avec M. Desgarnier sur la place des Célestins, lorsque des ouvriers se présentèrent devant le magasin de M. Duchamp, armurier, pour s’emparer des armes qu’il contenait. M. Giraud, cherchant à les dissuader, en fut menacé et allait en être maltraité, lorsque Desgarnier l’arracha de leurs mains, et les exhorta à ne pas piller. Il a vu Périer au milieu du rassemblement et l’a reconnu par sa décoration. Il était armé d’un briquet et ne parraissait pas avoir de commandement.
23e témoin, M. Figuières, coiffeur, dit avoir entendu Périer crier : « Vive la république ! »
24e témoin, M. Rodier, fabricant d’étoffes de soie, a vu Périer au milieu du rassemblement lire une harangue qui a été suivie des cris de « Vive la république ! » Périer avait un habit et lisait sur un papier qu’il tenait à la main. C’était Lacombe qui commandait.
Un juré : Est-ce M. Périer qui a poussé le premier cri ?
Le témoin : Oui, et les autres ont suivi. Il ajoute qu’il a suivi la bande jusqu’à la place de la Fromagerie, et que là il a vu Périer monter sur une borne et lire encore une harangue qui a été suivie des mêmes cris que la première. La scène se passait, selon lui, vers la rue Neuve, et il était pour la voir contre l’église St-Nizier.
M. Périer fait observer à MM. les jurés qu’il était monté sur une barricade et non sur une borne, que le témoin qui a pu se tromper ainsi, et voir un papier que personne n’a vu, a pu confondre de même bien d’autres choses.
25e témoin, M. Robert, a vu le rassemblement se former sur la place des Célestins et l’a entendu crier : « Vive la liberté ! »
26e témoin, M. Séon (Pétrus) : Il a vu de la porte d’un café le rassemblement se former, et a entendu prononcer à ses côtés le nom de Desgarnier.
27e témoin, M. Billon (Camille), a entendu Périer, au milieu du rassemblement de la place des Célestins, prononcer une harangue dans laquelle il était question des promesses faites en juillet, et qui n’ont pas été tenues, de vengeance, et quelque tems après le cri de « Vive la république ! » a été proféré. Périer prit ensuite le commandement, et dit : « En avant marche. » cri qui fut répété par deux ou trois autres.
M. Dupont : M. Périer tenait-il un papier à la main ?
Le témoin : Je crois pouvoir affirmer que non.
M. l’avocat-général : Avez-vous entendu Périer proférer le cri de : Vive la république !
Le témoin : Non, Monsieur, quoique mon attention fût particulièrement fixée sur lui.
28e témoin, Mlle Durval (Sophie), dépose qu’elle a entendu proférer par le rassemblement de la place des Célestins : Vive la république ! vive Napoléon II ! vive Henri V !
[4.2]Le président : Avez-vous remarqué quelqu’un en tête du rassemblement ?
Le témoin : Oui, Monsieur ; j’ai vu M. Périer.
29e témoin, M. Ruolt (Louis), dépose qu’il a rencontré M. Desgarnier ayant un sabre au côté.
30e témoin, M. Riéger (Pierre), armurier, galerie de l’Argue, déclare qu’il lui a été rapporté que M. Desgarnier n’était pas de ceux qui sont entrés dans son magasin pour le piller, mais qu’il avait indiqué son magasin aux ouvriers.
31e témoin, M. Crépu, quincaillier, place des Célestins, dépose que M. Desgarnier est venu chez lui pour lui demander de la poudre, qu’il répondit qu’il n’en avait pas ; qu’alors celui-ci prit quelques balles qui avaient été répandues sur le pavé, et partit.
32e témoin. M. Pivot.
Le président : Connaissez-vous les accusés ?
Le témoin : Oui, Monsieur, j’ai cet honneur.
Le président : Vous étiez sur la place des Célestins, avez-vous entendu proférer des cris ?
Le témoin : Oui, Monsieur, j’ai entendu crier : Vive la république !
Le président : Avez-vous vu M. Périer haranguer sur la place de la Fromagerie ?
Le témoin : Voici ce que j’ai vu : la bande étant arrivée à l’entrée de la rue Syrène, à l’extrémité de laquelle stationnait un poste de la troupe de ligne, que ceux qui étaient en tête voulaient attaquer ! M. Périer sortit des rangs, et, s’avançant vers l’officier de la ligne, échangea quelques paroles avec l’officier de la ligne, et revint annoncer que les soldats ne tireraient pas sur les ouvriers s’ils n’étaient pas attaqués. Il monta sur une barricade et engagea ces derniers à prendre une autre direction.
Desgarnier au témoin : Voudriez-vous raconter ce que vous m’avez vu faire à l’ Hôtel-de-Ville dans la journée du 23 novembre.
Le témoin : J’affirme qu’ayant eu l’occasion de voir plusieurs fois M. Desgarnier, je l’ai toujours trouvé s’occupant de faire adopter les mesures nécessaires pour faire rétablir l’ordre.
33e témoin, M. Tricher. Sa déposition n’a rapport qu’à lui-même.
34e témoin, M. Frédéric, ouvrier en soie. Il résulte de sa déposition que les gardes nationaux auraient été les premiers provocateurs des événemens de novembre. Ce fait est contesté par M. Menouillard, commissaire de police, et M. Prat, commissaire central, qui sont rappelés. Il s’établit entre M. Menouillard et Frédéric une discussion très-vive sur ce point. On remarque que le premier profite de cet incident pour entreprendre un véritable réquisitoire contre les ouvriers.
35e témoin, M. Bertholon fils : Il confirme la déposition de M. Pivot sur ce qui s’est passé à la place de la Fromagerie, et sur ce fait que M. Périer n’a lu aucune allocution écrite.
36e témoin : M. Kauffmann dépose qu’étant allé à l’Hôtel-de-Ville dans la matinée du 23 novembre, afin d’obtenir des hommes armés pour garder les bureaux d’octroi qui n’avaient pas été brûlés, y trouva M. Lacombe, qui commandait en chef, et à qui on remettait les lettres adressées au préfet, au général et au maire de Lyon. Il a vu M. Lacombe donner son nom et ceux de MM. Frédéric, Charpentier et Lachapelle, pour être mis au bas de la proclamation incriminée. Il a entendu M. Granier engager M. Lacombe à envoyer des postes chez le receveur-général et en d’autres lieux où l’on pouvait craindre le pillage.
[5.1]37e témoin : M. Pelletier père rapporte un fait insignifiant sur M. Rosset.
L’audition des témoins étant achevée, la séance est levée.
Audience du 17 juin.
MM. Granier et Péclet présentent successivement leur défense. - M. Périer improvise la sienne qui produit beaucoup d’effet. M. Rosset veut aussi présenter à l’appui de sa défense quelques considérations sur l’industrie lyonnaise, M. l’avocat-général déclare se désister de l’accusation portée contre lui ; ce qui force cet accusé à renoncer à la parole.
Me Dupont, avocat de M. Périer et de M. Péclet, s’exprime en ces termes :
« Messieurs les jurés,
Je devais vous présenter la défense de MM. Périer et Péclet. Mais que vous dirai-je que vous ne sachiez déjà ! N’est-il pas temps de terminer ces débats ? Les prolonger, n’est-ce pas prolonger inutilement la détention des accusés ? Aussi, Messieurs, il ne me reste qu’à confier le sort de mes cliens à votre sagesse, à votre indépendance ; sauraient-ils avoir de plus sûrs défenseurs !
Toutefois, je ne puis quitter ce pays sans vous faire part des sentimens que m’ont inspirés ces débats. C’est avec émotion, c’est presque avec étonnement que j’ai vu chez vous la justice rendue comme elle devrait l’être partout et en tout temps. C’est avec admiration que j’ai contemplé le vénérable magistrat qui vous préside. Justice, bienveillance, profondeur, il a manifesté toutes les qualités qui devraient toujours distinguer les magistrats. Je dois, Messieurs, rendre un égal hommage à l’organe du ministère public : je ne vous parlerai pas de son talent, vous le connaissez tous ; mais ce que j’admire plus que son talent, c’est quelque chose de plus noble et de plus rare, c’est son indépendance et sa haute impartialité. Je vous le dis en confidence, ce n’est pas chose vulgaire à Paris que d’entendre un magistrat dire hautement qu’un accusé qui s’avoue républicain peut porter un cœur généreux et pur, que les idées républicaines sont hautes et belles et qu’elles sont dignes d’exciter les plus vives sympathies. Aux yeux du parquet de Paris, un républicain n’est qu’un homme de sang, de meurtre et de pillage ; une idée républicaine n’est qu’une idée d’anarchie et d’échafaud.
Vous dirai-je encore une autre cause de mon étonnement ? Quoi ! dans votre cité, les proscriptions subies sous les Bourbons déchus ne paraissent pas de justes titres de proscription sous les Bourbons actuels ! Quoi ! un accusé peut porter sur sa poitrine le signe de juillet sans qu’on le désigne dans l’enceinte de la justice comme un homme capable de tous les crimes politiques !
Ce n’est pas chose vulgaire à Paris.
Que vous êtes heureux d’avoir des magistrats qui rendent la justice avec cette douceur, avec cette impartialité, c’est moi qui vous le dis, moi témoin et souvent acteur dans des luttes si vives, si passionnées, si hostiles, si acrimonieuses.
Quand j’ai quitté Paris, je ne connaissais que l’acte d’accusation dont les débats ont fait si complètement justice. Alors cette accusation me paraissait mortelle pour les accusés. Il me semblait que cinq têtes étaient irrévocablement promises à l’échafaud ; et quelque funèbres que fussent les événemens dont je venais d’être le témoin, quoique le sang eût ruisselé dans les rues de Paris, quoique ma voix pût être utile à des proscrits de la capitale, à des amis peut-être, j’ai pris tristement le [5.2]chemin de votre ville pour disputer des patriotes aux bourreaux de Riom. Mais à peine descendu dans vos plaines, il me sembla respirer un air plus pur, un air de liberté, je me retournai et je levai les yeux, j’aperçus vos montagnes si imposantes, si grandioses, et m’écriai aussitôt : les accusés sont sauvés. En présence d’une nature si grande, l’ame des citoyens doit s’agrandir. Il n’est pas possible que des hommes soient vils sur un sol si majestueux ; l’esprit de parti, me suis-je dit, ne saurait franchir ces montagnes, il doit venir expirer à leurs pieds.
Je ne m’étais pas trompé, Messieurs, et bientôt je me rappelai que votre Auvergne avait déjà servi d’asile protecteur à des proscrits. En 1817, alors que l’esprit de parti continuait ces sanglantes proscriptions dans le midi de la France ; alors que Lyon nageait dans le sang des victimes que le général Canuel avait provoquées ; alors que tant de citoyens tombaient sous les arrêts des cours prévôtales, espèces de conseils de guerre que l’histoire a flétris, comme elle en flétrira d’autres, on renvoya devant cette cour les accusés de cette prétendue conspiration de l’Est que d’infâmes intrigans politiques avaient imaginée à plaisir pour faire tomber de nobles têtes. Avant d’arriver sur votre sol les accusés pouvaient douter de leur sort. Devant quels magistrats, devant quels jurés allaient-ils paraître ? mais à peine furent-ils descendus dans l’enceinte de vos montagnes que leurs cœurs furent rassurés. Il leur sembla que toute cette grande et belle nature leur criait : Ici il y a des hommes probes et libres, c’est-à-dire de véritables jurés. En 1817 les accusés furent tous sauvés par vous ; les accusés d’aujourd’hui seront sauvés par vous.
Hâtez-vous, Messieurs, de nous rendre la liberté à tous ; rendez la liberté aux accusés, ils sont pressés d’aller revoir et embrasser leurs familles… Rendez-moi aussi ma liberté. J’ai une famille à Paris que j’ai hâte de revoir ; triste famille, famille de proscrits ; il faut que ma voix aille disputer leurs têtes aux fusillades judiciaires des conseils de guerre ! Rendez-moi aussi la liberté ! »
Dans la séance du 18 tous les accusés ont été acquittés.
Audience du 19 juin.
Stanislas (Etienne), dit le Nègre, âgé de 43 ans, ouvrier teinturier aux Brotteaux, natif de Rouen, prévenu de meurtre, de rebellion, d’avoir fait partie de bandes armées ayant pour but la dévastation et le pillage, etc., a été acquitté.
Irlande (Pierre), âgé de 45 ans, marchand poêlier à Lyon, né à St-Sircq (Cantal), prévenu de tentative de meurtre, de rebellion et d’attentat de l’espèce prévue par les art. 91, 97, et 100 du Code pénal, a été acquitté après cinq minutes de délibération.
La position de cette malheureuse victime du parquet de Lyon a tellement intéressé, qu’à l’audience même il a été ouvert en sa faveur une souscription, à laquelle se sont empressés de prendre part M. le président et MM. les conseillers.
Jacquot (Simon), âgé de 26 ans, cordonnier à Lyon, né à Arbois, prévenu de crimes et délits prévus par les art. 295, 395, 100 et 211 du Code pénal, a été acquitté.
L’audience est levée à trois heures.
VARIÉTÉS.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
ANNONCES DIVERSES.