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1 juillet 1832 - Numéro 36
 
 

 



 
 
    

de la défense devant le conseil des prud?hommes1.

Pendant long-temps, les contestations entre les marchands-fabricans et les chefs d?ateliers furent soumises aux tribunaux ordinaires. Une loi du 18 mars 1806, est venue changer cet ordre de choses en instituant un conseil des prud?hommes. Il était juste en effet de donner des juges spéciaux à une classe aussi nombreuse, mais bien certainement, l?intention du législateur n?a pas été de la priver des garanties qu?elle avait, lorsqu?elle était régie par le droit commun. Aussi n?était-ce pas sans exciter des murmures, que l?ancien conseil jugeait à huis clos. Cet abus disparut à la lueur du soleil de juillet. Il en est un autre que je veux combattre. C?est celui qui consiste à interdire à un individu étranger à la cause, le droit d?assister et de défendre la partie qui l?en charge2.

Le conseil se fonde sur l?article 29 d?un décret du 11 juin 1809, qui est ainsi conçu :

« Tout marchand-fabricant, tout chef d?ateliers, tout contre-maître, tout teinturier, tout ouvrier compagnon ou apprenti appelé devant les prud?hommes, sera tenu sur une simple lettre de leur secrétaire de s?y rendre en personne, au jour et à l?heure indiquée, sans pouvoir se faire remplacer hors le cas d?absence ou de maladie : alors seulement, il sera admis à se faire représenter par l?un de ses parens, négociant ou marchand, exclusivement porteur de sa procuration. »

Il ne faut voir dans cet article que ce qui y est, et ne pas perdre de vue que la défense étant un droit sacré, doit proscrire tout ce qui tendrait à la restreindre. Odia sunt restringenda.

Cet article exige avec raison la présence des parties, mais il ne leur défend pas de se faire assister par qui bon leur semble, légiste ou autre, pour les aider dans leur défense ; et personne, je pense, magistrat ou citoyen, ne me contestera ce principe : que tout ce qui n?est pas défendu par la loi est permis. Le v?u de la loi est suffisamment [2.2]rempli, lorsque la partie appelée comparaîti. Il serait odieux de vouloir commettre un ouvrier simple, quelquefois illitéré, atteint bien souvent de cette maladie morale que j?appellerai crainte ou timidité, laquelle paralyse ses facultés, de le commettre, dis-je, sans appui, avec un homme du monde, un négociant ayant l?habitude de parler en public, élevé à regarder ses juges comme ses égaux, ayant en un mot toute l?assurance, quelquefois la hauteur, dirai-je la fatuité que donnent et l?instruction et la richesse.

En permettant à l?ouvrier de se faire assister par un défenseur quelconque, la balance est rétablie. C?est aussi un moyen d?introduire une jurisprudence uniforme. Qu?on ne craigne donc pas de donner latitude entière à la défense : présentée par des tiers exempts de passions, elle n?en sera que plus décente, plus éclairée et plus brève ; et sous ces rapports, les juges, les justiciables et la morale y gagneront,

Le conseil des prud?hommes ne fera que suivre les erremens des tribunaux de paix et de commerce, et même dans une limite plus restreinte ; car ces tribunaux n?exigent pas, hors certains cas, la présence des parties elles-mêmes ; ils se contentent de la représentation d?un pouvoir spécial, et tout citoyen est apte à se présenter devant eux, muni de ce pouvoir.

Ce serait une erreur de craindre qu?un abus pareil à celui de la postulation exclusive des avoués devant les tribunaux civils, pût se produire devant le conseil. Si les avoués ont pu, contrairement aux plus simples notions de la raison, se dispenser de l?assistance des cliens ou de la représentation d?un mandat écrit, c?est un privilége injuste dont l?obtention tient à des causes étrangères au sujet qui m?occupe, privilége qui disparaîtra nécessairement par suite du progrès des lumières ; car il est aussi une restriction apportée au droit de libre défense, et un monopole établi au profit de quelques-uns au détriment de tous. Ceux qui en jouissent se garderaient bien de l?étendre, et nul autre n?oserait le demander.

Marius Ch...g.

Notes (de la défense devant le conseil des...)
1 L?auteur de ce texte est Marius Chastaing d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Avec « l?établissement d?une jurisprudence fixe » sur le travail, l?exigence de libre défense constituera la principale revendication que les canuts et leur presse adressèrent au fonctionnement des prud?hommes. Ils se plaignaient des nombreux désavantages qu?enregistrait le canut lorsqu?il avait à se défendre isolément devant le fabricant et devant le Conseil. Les journalistes de L?Echo de la Fabrique demandaient alors la liberté, pour le canut, de se faire aider, notamment par un avocat, lors des affaires qu?il avait à présenter devant les prud?hommes. Le thème va être débattu à de nombreuses reprises durant l?été 1832. En janvier 1833 au moment du renouvellement du Conseil, alors que les prud?hommes chefs d?ateliers étaient décriés pour leur inefficacité, L?Echo conseillera aux électeurs canuts d?exiger de leur nouveau représentant la défense de la jurisprudence fixe et celle de la « liberté de la défense » (numéro du 13 janvier 1833). En janvier 1834 encore, récemment réélu comme représentant des canuts aux prud?hommes, Pierre Charnier demandera au préfet Gasparin de favoriser deux mesures principales ; l?élargissement du système électoral (abaissement à deux métiers seulement) et surtout, « le droit de libre défense » (numéro du 19 janvier 1834).

 

 

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