Retour à l'accueil
6 novembre 1831 - Numéro 2
 
 

 



 
 
    
COUPS DE NAVETTE.

On disait que M. L*** était devenu très-populaire ces jours derniers ; il avait promis à ses ouvriers que, dans deux ou trois mois, il augmenterait les florences de cinq centimes… Les ouvriers ont demandé le tarif, et M. L*** est devenu plus vétilleux que jamais :
Chassez le naturel, il revient au galop.

Plusieurs négocians ont envoyé à M. Jars1une pétition contre le tarif, avec cette épigraphe : Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné.

Jeudi dernier, un Tunisien se mettait en évidence sur la place des Terreaux ; le bruit se répandit aussitôt qu'il venait établir une maison de commerce à Lyon. Encore un arabe de plus2.

Des négocians devaient faire un charivari à un préfet : C'est imprudent, a dit l'un d'eux, la garde départementale est trop nombreuse.

M. L*** s'étant endormi dans son comptoir, croyait voir lacérer le tarif tous les coins de rues ; il fut éveillé par un commis qui criait à un chef d'atelier : Vous aurez le tarif au minimum. M. L***, revenu de son erreur, fredonna en se frottant les yeux :
Que ne peut-on rêver toujours !!

[8.2]Un enthousiaste a dit : L’homme est égal aux Dieux. Un chef d’atelier à qui on refusait le tarif, dit que son négociant n'avait pas le sens commun ; le juste-milieu est au café d'Idalie.

Un négociant de cette ville, dont la tête est un peu dérangée depuis les prétentions des chefs d'ateliers, déclamait, ces jours derniers, dans son magasin, les vers de manlius ; et, d'une voix de stentor, s'adressant à un de ses commis : Qu'en dis-tu ?… Le commis, qui est un peu poète, lui répondit vivement :
Je dis que le tarif vous brouille la cervelle…

Vendredi dernier, un voyageur anglais, tout étonné de la brillante illumination de l'Hôtel-de-Ville et du déploiement de forces militaires imposantes sur la place des Terreaux, demanda quelle fête nationale on célébrait. Un malin lui répondit : C'est la réconciliation des négocians en soierie avec leurs ouvriers.

Des chefs de commerce, assurés aujourd'hui du droit acquis de faire travailler gratis, ont fait publier, vendredi soir, au bruit des tambours, dans les différens quartiers de la ville, qu'ils ne seraient désormais visibles dans leurs magasins qu’en tenue militaire et baïonnette croisée.

Notes (COUPS DE NAVETTE.)
1 Né à Lyon le 9 janvier 1774, Antoine Gabriel Jars avait été maire de Lyon pendant les « Cent Jours ». Représentant de l’opinion libérale sous la Restauration il sera élu député du 1er arrondissement de Lyon en 1827 et le restera jusqu’à 1842. En 1830 il fit partie des signataires de l’adresse des 221. Référence : Adolphe Robert, Edgar Bourloton, Gaston Cougny (dir.), Dictionnaire des parlementaires français, Paris, Bourloton, 5 vol., 1889-1891, vol. 3, p. 404.
2 Défini ainsi par Littré (1873) : « Usurier, homme avide ». Cet emploi, aujourd’hui sorti de l’usage est attesté en français dès le XVIe siècle. Voir sur ce thème, Michel Glatigny, « L’article arabe dans un certain nombre de dictionnaires français de Nicot au Grand Robert », Cahiers de lexicologie, revue internationale de lexicologie et lexicographie, n°83, Paris, Champion, 2003-2.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique