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15 juillet 1832 - Numéro 38
 
 

 



 
 
    

sur la revue encyclopédique1.   

Il y a quatorze ans qu?un homme estimable, M. Jullien2, fonda la Revue encyclopédiquei, à l?instar de l?Angleterre et de l?Allemagne où ces recueils sont infiniment goûtés. D?immenses richesses littéraires et scientifiques sont contenues dans ce vaste répertoire qui contient 50 volumes.

Depuis le courant de l?année 1831, et sous l?influence des nouvelles doctrines, la Revue encyclopédique a passé en des mains non moins capables d?en supporter le fardeau. Les nouveaux gérans sont M. H. Carnot, héritier d?un nom sublime et digne de le porter, et P. Leroux, ancien rédacteur du Globe, avant que ce journal fût devenu le moniteur de la religion St-Simonienne. Ces messieurs ont su s?attacher comme collaborateurs des hommes d?un grand mérite entr?autres, MM. Charles-Comte, Pages, Laurent, Jean Reynaud, Emile Pereire, Charles Didier, Abel Tronson, etc., tous apôtres de cette nouvelle doctrine qui résume son symbole par ces mots : liberté, égalité, association, qui servent de devise à la Revue. Notre courageux gérant du Précurseur, M. A. Petetin a également donné plusieurs articles de littérature et d?histoire.

[5.1]Pour prospectus, MM. Carnot et Leroux ont publié quelques pensées remarquables sous le titre de « Tendance nouvelle des idées. » Nous allons en extraire les passages les plus saillans, car nous revendiquons comme notre bien, et nous ne saurions trop répandre et faire connaître tout ce qui tend à éclairer la classe prolétaire.

« Si l?on interroge le témoignage des esprits les plus élevés, on est frappé de les trouver presque tous préoccupés par une même attente, celle d?une rénovation sociale prochaine. Une conviction profonde s?y est heureusement gravée : c?est qu?il n?y a de révolutions durables et fécondes, de révolutions acomplies sans retour, que celles qui intéressent directement la classe nombreuse et laborieuse, qui améliorent radicalement sa condition morale et matérielle. Le peuple ne gagne rien effectivement aux mouvemens politiques qui n?ont d?autres résultats que celui de transporter le pouvoir d?une fraction à une autre de la classe privilégiée. Les distinctions naguères encore si profondes de nobles et de bourgeois, de monarchistes et de libéraux, de wighs et de torys ont été effacées par l?apparition d?un nouvel élément demeuré pour ainsi dire inaperçu jusque-là, le peuple. Il n?y a plus de privilégiés à divers titres, mais seulement des hommes à priviléges et des hommes sans priviléges ; en d?autres termes, comme on l?a dit tantôt avec anxiété, tantôt avec une ironie aristocratique, ceux qui ont et ceux qui n?ont pas, les propriétaires et les prolétaires.

La grande question du prolétariat s?agite aujourd?hui, comme, au terme de la société romaine, s?agitait la grande question de l?esclavageii.

Le principe social de l?égalité cultivé par la France nous conduit à une nouvelle conception de Dieu et de l?humanité.

L?innovation, mais l?innovation en grand, l?innovation qui annonce qu?on est entré dans une ère nouvelle de la pensée, déborde de partout dans les livres, dans les journaux, dans les chaires de philosophie.

Le besoin d?une doctrine générale, d?une rénovation de la connaissance humaine, sont éloquemment professés en Sorbonne comme au collége de France? Combiner partout le principe de la capacité avec le principe de l?élection, voilà l?avenir qui se montre clairement aujourd?hui.

Au milieu de tant de phénomènes passagers, de bouleversemens et de ruines, la France et l?Europe n?ont cessé de graviter, depuis cinquante ans, vers cette grande rénovation de l?esprit humain. Il n?est point d?événemens qui puissent entraver cette marche ascendante qui devient rapide à mesure qu?on approche du but.

Condorcet écrivait son livre de la perfectibilité sur le volcan qui allait dévorer et lui et ses amis et bien des générations d?hommes : il le savait, et c?est l?exemple que doivent suivre, dans des temps de révolution, tous ceux qui ont la religion du progres. En nos jours, rien n?est certain et chacun semble s?attendre à de nouveaux changemens? Nous ne craignons ni ne désirons de tels événemens ; nous savons qu?une nouvelle révolution serait pour la France et pour l?humanité la source de progrès rapides ; mais nous savons aussi que dans une période de paix, toutes les idées dont le germe commence à poindre, se développeront malgré les efforts d?un despotisme pygmée, et formeront en peu de temps une philosophie du 19e siècle qui amènera la grande rénovation sociale dont la révolution de 89, fille de la philosophie du 18e siècle, n?a été que le prélude. »

Nous aussi nous avons foi dans cette loi du progrès [5.2]qui a donné le droit de bourgeoisie aux affranchis romains, aux serfs gaulois, et tous nos efforts seront tournés vers ce but que nous entrevoyons dans un avenir peu éloigné, l?émancipation de la classe prolétaire.

Des articles extrêmement remarquables ont été insérés, depuis le commencement de cette année, dans la Revue encyclopédique, notamment de la société saint-simonienne, de la nécessité d?une représentation pour les prolétaires, par Jean Reynaud ; doctrine d?association de Charles Fourrier, par Abel Tronson ; de l?influence des saisons sur les facultés de l?homme, par Quetelet, et de l?assiette de l?impôt par Emile Pereire.

Marius Ch.....g.

Notes (sur la revue encyclopédique .    Il y a...)
1 L?auteur de ce texte est Marius Chastaing d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Marc-Antoine Jullien (1775-1848), homme des lumières, pionnier de la science de l?éducation publiait depuis 1819 la Revue Encyclopédique. En  septembre 1831, des dissidents récents du mouvement saint-simonien, Pierre Leroux (1797-1871), Hyppolite Carnot (1801-1888) reprirent la revue à laquelle collaborèrent des libéraux comme Charles Comte, des sympathisants comme Adolphe Quételet (1796-1874) et des saints-simoniens en désaccord ou rupture avec Enfantin comme Charles Didier (1805-1864), Abel Tronson (1805-1876), Jean Reynaud (1806-1863) ou Emile Pereire (1800-1875). Sept volumes furent publiés entre 1831 et 1833. A partir de 1836 et jusqu?à 1841, Leroux et Reynaud publieront leur Encyclopédie nouvelle ou dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et industriel, offrant le tableau des connaissances humaines au 19e siècle, par une société de savants et de littérateurs.

 

 

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