Retour à l'accueil
15 juillet 1832 - Numéro 38
 
 

 



 
 
    

le charles-quint lyonnais1.

[6.2]Notre opinion sur les duels2 est connue, nous les regardons comme un reste de la barbarie de nos ancêtres, et, pour notre compte, nous n?en offrirons ni accepterons en aucun cas. Ainsi nous avons compris M. Pitrat, gérant de la Gazette du lyonnais, répondant à celui qui lui proposait, ce qu?on appelle en langage fashionable, une partie d?honneur : Avez-vous bien le courage de vouloir qu?un père de sept enfans aille s?exposer à être tué. Nous concevons ce banquier qui avant d?aller sur le terrain demanda à son adversaire : Avez-vous comme moi cent mille livres de rente ? et sur sa réponse négative, resta chez lui. Ce bon Hollandais qui veut bien être blessé, mais non être tué, et qui, apprenant que son adversaire entend que l?un des deux le soit, lui dit avec candeur : « Vous voulez que l?un de nous reste sur la place ; eh bien ! restez-y, parce que mes affaires m?appellent ailleurs, » et s?en va sans plus de cérémonie, est encore, à notre avis, un homme de bon sens. Enfin, nous n?en finirions pas si nous voulions rapporter toutes les raisons qu?un homme sensé a pour ne pas se battre en duel : un oisif avait entrepris de les compter, et était arrivé jusqu?au nombre 36 ; la première, et qui n?était pas la plus mauvaise, était la crainte d?être tué. C?est probablement aussi cette crainte qui a retenu M. Jouve, et l?a dissuadé d?accepter le duel que M. Granier lui a proposé. Mais alors, pourquoi faire le fanfaron, et surtout l?insolent ? Certes, personne n?en sera la dupe ; les rédacteurs de la Glaneuse, les acquittés de Riom sont placés dans l?opinion publique bien au dessus de M. Jouve, quoiqu?il soit et peut-être parce qu?il est rédacteur du Courrier de Lyon. Eh bien ! croirait-on qu?il a pris pour prétexte qu?il craignait de se compromettre en relevant le gant qui lui était jeté. Risum teneatis. Comme Charles-Quint3 à Hernani, il a répondu fièrement, sachant bien qu?il n?avait rien à craindre :

Je ne me bats pas, assassinez-moi.

Aussi, le nom de Charles-Quint lui est resté. Allons, Monsieur Granier, faites une chanson, et bornez là votre vengeance.

Notes (le charles-quint lyonnais . [6.2] Notre opinion...)
1 L?auteur de ce texte est Marius Chastaing d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Le duel constituait l?un des principaux risques du métier de journaliste dans cette période. Bien qu?hostiles au duel ? considéré comme rétrograde et surtout représentatif des anciens codes de l?aristocratie - il était difficile aux journalistes de se soustraire au duel. Le régime juridique du duel permettra leur multiplication jusqu?à l?arrêt de décembre 1837. Entre 1831 et 1834, la cour d?assise de Lyon eu ainsi à juger trente quatre duels dans lesquels des journalistes furent impliqués.  Voir J. D. Popkin, Press, Revolution and Social identities in France, ouv. cit., p. 46-47 et Jean Pradel, « Duel », in : M. Ambrière (dir.), Dictionnaire du 19e siècle européen, ouv. cit., p. 347-348.
3 Le journaliste fait ici référence à la scène du duel entre Charles Quint et Hernani dans le drame de Victor Hugo, Hernani, publié en 1830.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique