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15 juillet 1832 - Numéro 38
 

 




 
 
     
Avis   

[1.1]Les personnes dont l’abonnement est expiré, sont priées de venir le renouveler si elles ne veulent pas éprouver de retard dans l’envoi du Journal.

LYON.

de l’exportation des mécaniques lyonnaises à l’étranger.   

Parmi les causes de la décadence de notre industrie, celles que je vais citer y contribuent le plus. Depuis long-temps fabricans et ouvriers se plaignent de la facilité avec laquelle les étrangers enlèvent nos mécaniques et nos procédés nouveaux de fabrication ; car, indépendamment des soies qui s’achètent, se teignent et se préparent à Lyon, et qui sortent de France aussi librement que si c’était de l’étoffe, les mécaniques à la Jacquard sont presque toutes exportées à l’étranger, et les mécaniciens ne travaillent presque plus que pour le dehors. Il se fait des expéditions pour la Prusse, la Suisse, le Piémont, l’Italie et l’Espagne. Il s’en fait même pour la Suède et la Russie.

Enfin, depuis six mois, plus de deux cents mécaniques ont été achetées chez les marchands d’ustensiles de fabrique, et envoyées à Turin, ainsi que plusieurs lisages. Beaucoup de Piémontais, établis dans notre ville depuis de longues années, sont partis pour Turin, emportant avec eux leur atelier et nos procédés de fabrication. La facilité que les négocians de Turin ont de nous enlever nos nouveautés par les affiliés qu’ils ont à Lyon, et qui ne se font pas scrupule de leur envoyer des dessins tout lus et prêts à être posés sur les métiers, ruine les fabricans de notre ville1.

Dernièrement des ouvriers ont été embauchés pour l’Espagne ; avant de partir, ils ont acheté, au moment où notre industrie était languissante, les mécaniques et ustensiles à vil prix, qui sont sortis de France sans [1.2]difficulté. Des métiers de tulles noués ont été embarqués, et sont maintenant en quarantaine dans un port d’Espagnei.

Qu’on ne s’étonne donc pas si depuis quelque temps notre industrie s’épuise en de vains efforts. Si des lois protectrices ne viennent à notre secours, le temps n’est pas éloigné où, malgré notre talent reconnu d’innovateurs, nous ne serons plus que les fournisseurs de l’industrie de nos voisins.

C’est pour éviter un semblable résultat que j’appelle l’attention du ministre du commerce, et de toutes les personnes intéressées à la prospérité de notre cité, sur les faits malheureusement trop vrais que j’ai cités, et qui peuvent ruiner entièrement et les fabricans et les ouvriers.

Falconnet.


i Un droit de 100 pour 100 que paient les tulles à leur entrée en Espagne, et qui équivaut à une prohibition, aurait dû provoquer de la part de notre gouvernement, des mesures sévères, protectrices de notre industrie, qui auraient empêché la sortie de France de nos mécaniques et ustensiles de fabrication.

ecole de la martinière.   

Le pauvre a si peu de moyens d’éducation que c’est un crime de lèze-peuple que d’arrêter ou d’entraver l’application de ceux qui lui appartiennent.

Si nous n’avons pas protesté plutôt contre les étonnans délais qui nous privent des bienfaits du major-général Martin, c’est que sachant l’académie de Lyon saisie, en dernier ressort, de la question, nous comptions que ses lumières et son bon sens lui feraient sentir l’inconvenance d’un retard et l’urgence d’une prompte décision. - Nous étions dans l’erreur : nos immortels sont de ce monde ; l’amour-propre, la jalousie, la personnalité les agitent et les égarent plus peut-être que le commun des mortels. La question est grave sans doute, mais nullement compliquée, et il faut bien du mauvais vouloir ou de l’entêtement pour embrouiller et retarder ainsi sa solution. Messieurs de l’olympe s’entêtent, s’enveniment [2.1]de plus en plus, et chacun paraît bien décidé à résister à toutes les preuves de conviction. Cela durera ce que ça pourra, n’importe ; le bon peuple est si patient ! trop heureux qu’il est que des savans veuillent bien embrouiller ses pauvres affaires ! d’ailleurs qu’ont-ils besoin de se presser, messieurs de l’académie ? La Martinière n’est pas pour leurs enfans ou pour les enfans de leurs proches.

Oh ! s’il s’agissait d’une université dotée par le budget, c’est-à-dire des deniers du pauvre, quelle différence ! la chose serait en pleine activité depuis long-temps. La décision eût été prompte. Priver les enfans des riches des moyens d’achever gratuitement leurs hautes études, serait une calamité publique dont ces messieurs rougiraient de se charger.

Si les débats et les entraves de l’académie étaient le résultat d’une profonde conviction, nous en parlerions avec plus de calme ; mais des notes ou articles anonymes, tous dans le même sens et le même style, communiqués à plusieurs journaux, et au nôtre en particulier, prouvent que quelques-uns de ces messieurs sont sous l’influence du compérage ou plutôt du commérage. Et ce qui nous fortifie dans cette opinion, c’est l’acharnement que, dans ces articles, on a mis à jeter du doute sur le caractère et les intentions du directeur de La Martinière : caractère et intentions qui, selon ce que nous connaissons du directeur, sont au-dessus des attaques ouvertes ou cachées de tous les académiciens du monde.

Nous allons chercher à éclairer nos lecteurs sur les débats qui suspendent l’application des bienfaits du major-général Martin.

L’école de la Martinière sera-t-elle un pensionnat où 60 à 80 enfans priviligiés seront logés, nourris, instruits et élevés ?

Ou bien l’école sera-t-elle un externat où 300 ou 400 enfans recevront l’instruction théorique et autant que possible, l’instruction pratique des arts auxquels ils se destineront ?

D’autres questions d’application et de détails viennent se grouper autour de celle que nous posons et que nous examinerons seule comme dominant toutes les autres.

M. Tabareau dans un rapport remarquable fait au nom du comité de rédaction composé de MM. Devillas, Grand-Perret et Tabareau, développe l’opinion du comité en faveur de l’externat et contre le pensionnat. Nous en citerons quelques passages dont nos lecteurs nous sauront certainement bon gré.

« Dans un pensionnat, il faudrait offrir aux jeunes apprentis l’adoption entière qu’ils trouvent dans les ateliers des arts : il faudrait les nourrir et pourvoir à tous leurs besoins. Ces frais considérables, et les dépenses également très élevées des ateliers, réduiraient à un très-petit nombre les élèves de la Martinière, dont l’éducation deviendrait ainsi un privilège en opposition avec nos nouvelles mœurs sociales ; et le magnifique présent qui dotera la ville de Lyon de près de cinquante mille francs de rente, après l’acquisition d’un vaste bâtiment, mériterait à peine d’être élevé au rang des institutions de bien public, si, au sein d’une nombreuse population, toute son influence se bornait à améliorer le sort de quelques familles. »

Après avoir exposé l’enseignement pratique qu’il propose pour La Martinière, M. Tabareau dit : « Nous ne développerons pas davantage cette pensée d’éducation industrielle ; c’est par l’exercice même qu’elle doit acquérir toute la valeur et l’utilité dont elle est susceptible. Il est réservé à l’institution La Martinière de faire connaître avec quelle simplicité de moyens on pourrait [2.2]rendre les hommes plus adroits et plus industrieux ; et un jour viendra peut-être où tous les systèmes d’éducation adopteront cet enseignement technique élémentaire qui n’exigera que peu de temps et de dépenses. Les jeunes gens qui, jusqu’à présent, n’ont cherché qu’à acquérir des talens d’agrémens, auraient aussi des talens d’utilité industrielle, dont les heureuses conséquences seraient de faire concourir au perfectionnement de l’industrie les hautes intelligences dont le développement est le fruit des éducations les plus distinguées, d’ennoblir des professions que les préjugés de quelques classes de la société repoussent, même comme un refuge dans leurs besoins les plus pressans, et d’établir un nouveau lien d’éducation parmi les hommes. »

M. Tabareau, après avoir énuméré les branches d’instruction que les élèves trouveront à La Martinière, dit encore : « La classe ouvrière ne doit plus rester étrangère aux premiers élémens des hautes sciences. Il est un ordre de connaissances qui doit faire le passage de la pratique des arts aux théories qui les éclairent : c’est la terre commune, rendez-vous de tous les hommes utiles, où les savans et les plus simples ouvriers doivent se rencontrer, s’entendre et favoriser mutuellement leurs travaux. »

Comme moyen d’émulation, M. Tabareau propose des distributions de prix solennelles et des primes d’encouragement.

« Décorez d’un peu de gloire tout ce que l’éducation offre de pénible ; faites battre le cœur des pères de famille en entourant de louanges et d’honneur leurs fils qui se sont distingués, et vous verrez cette jeune génération, qui serait restée indifférente au froid calcul de l’intérêt personnel, accourir dans vos nouvelles écoles pour recueillir tout ce qu’il y a de glorieux dans l’estime et les applaudissemens des hommes. »

Après avoir exposé ses idées sur les primes d’encouragement :

« Par ces primes annuelles consacrées à l’indigence et au mérite, le pauvre recueillera une plus riche part de bienfaits que par le pensionnat, adopté à une autre époque par l’académie. Les frais du mobilier et du personnel nombreux d’employés qu’exigerait une institution de pensionnaires diminueraient considérablement le nombre des élèves qui recevraient, au nom du major-général Martin, l’existence dans leurs jeunes années et l’instruction qui doit protéger leur avenir. »

Si nous voulions citer tous les passages remarquables de ce rapport, il faudrait vraiment le reproduire en entier, et les limites du journal ne nous le permettent pas ; mais pour obvier et afin de mettre nos lecteurs à même de s’éclairer et d’être juges dans une cause qui est bien plus la leur que celle de l’académie, nous prierons M. Tabareau d’envoyer au bureau du journal plusieurs exemplaires que nous prêterons à nos abonnés.

Nous terminerons cet article par quelques réflexions que M. Tabareau a bien pu faire, mais qu’il n’a pas dû exprimer.

Si la Martinière était pensionnat, le but du major-général Martin serait certainement manqué, car les enfans d’ouvriers en seraient en partie écartés : l’intrigue obtiendrait les bourses. Les fils du portier d’un préfet, d’un maire, d’un académicien, ou bien le fils d’un parent éloigné de ces MM., ou de quelques puissans du jour, auraient toujours l’avantage. L’intrigue ferait tout ; et l’homme qui travaille du matin au soir pour gagner sa vie n’a ni le temps, ni la souplesse, ni les allures qu’il faut pour intriguer avec succès. L’expérience est là pour appuyer cette opinion.

[3.1]Est-ce d’ailleurs à une époque où l’on reconnaît partout, en Allemagne, en Angleterre, en France, les inconvéniens physiques et moraux des pensionnats que les savans, les lumières de notre localité, peuvent défendre avec conviction ce mode d’établissement ? Ne savent-ils pas que les états-majors dévorent tout ; que partout où il y a des approvisionnemens, des fournitures, il y a aussi de l’intrigue et du tour de bâton : l’état-major, le tour de bâton, qui les payera ? ce ne sera pas l’académie, mais le peuple qui finit toujours par tout payer.

Donner l’instruction et l’éducation professionnelle au plus d’enfans possible, et le mieux possible ; voilà la question. Comment son examen peut-il mener au pensionnat ?

MM. les académiciens-rédacteurs des notes secrètes ou anonymes, nous obligeront en voulant bien nous répondre, nos colonnes leurs sont ouvertes ; car la cause est celle du pauvre, elle ne saurait être trop éclairée.

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Ayant été désigné par mes noms et qualités dans la lettre de M. Gamot insérée dans votre dernier N°, je me crois obligé d’y répondre.

Je suis navré de démentir publiquement un de mes collègues ; mais la vérité me commande d’oublier toutes les considérations, parce que son récit est on ne peut plus inexat. Voici le fait.

Le maître que j’assistais, réclamait au conseil contre un prix trop minime, ou à défaut d’augmentation demandait qu’on lui payât le montage de son métier qui n’avait fait qu’une pièce de 40 aunes, attendu qu’on lui en offrait une seconde qu’il ne pouvait accepter, soit à raison du vil prix, soit pour l’aunage (il était de 5 aunes).

Le fabricant, représenté par le sieur Gustel, répondit qu’il y avait une pièce ourdie exprès pour le réclamant, non de 5 aunes mais de 80 aunes, ce qui ne pouvait pas être, attendu que le chef d’atelier avait prévenu le fabricant qu’il n’en voulait pas au prix proposé. C’est à cette circonstance que M. Gamot fait sans doute allusion, en disant que l’ouvrier m’avait caché la vérité, mais c’est une erreur que la suite démontre.

Je compris de suite que c’était un système de dénégation adopté par le sieur Gustel, et je demandai le renvoi à la prochaine audience qui fut accordé. Nous fûmes de suite auprès de M. Goibet pour accepter la pièce de 80 aunes, et traiter d’après un prix de façon convenable. Tout parut s’arranger le mieux possible, mais le lendemain le chef d’atelier n’obtint rien et fut obligé de faire comparaître de nouveau ce négociant devant le conseil qui alloua un défrayement pour le montage d’après le refus d’augmentation.

Je termine en déclarant, puisque j’en trouve l’occasion, qu’ainsi que beaucoup de mes collègues, je partage l’opinion de M. Marius Chastaing sur la nécessité qui, chaque jour, se fait sentir, que les ouvriers puissent être libres de se faire assister par un défenseur.

Agréez, Monsieur, etc.

Charnier, Prud’homme, chef d’atelier.

AU MÊME1.

sur la défense devant le conseil des prud’hommes.   

Réponse à M. Gamot, Membre du Conseil.

J’ai demandé, dans le N° du premier du courant de votre journal, qu’il fût libre à chaque citoyen de servir [3.2]de défenseur officieux devant le conseil des prud’hommes, pourvu qu’en conformité de l’article 29 du décret du 11 juin 1809, qui règle cette matière, il fût assisté de la partie, faculté que l’ancien conseil accordait quelquefois et que le nouveau refuse obstinément.

Je pensais que cet abus signalé, le conseil s’empresserait de le faire disparaître. Loin de là, soit comme organe de la majorité de ses collègues, soit motu proprio, M. Gamot vous a adressé une réponse qui est loin d’être satisfaisante. Je suis donc obligé de vous adresser la réfutation suivante.

M. Gamot se plaint de ce que je me suis renfermé dans la question de droit ; le conseil, dit-il, s’est déterminé par d’autres considérations. J’examinerai tout-à-l’heure ces considérations ; mais auparavant j’ai besoin de faire une halte ici.

Quoi ! l’ai-je bien lu ? des considérations au dessus de la loi ! et si ce système pouvait être admis, quel est le citoyen qui n’aurait pas des considérations plus ou moins fortes pour se refuser à l’exécution de la loi ? Un magistrat peut-il tenir un pareil langagei, lui qui a prêté serment, lui qui plus que tout autre doit à la loi obéissance et respect ! Que deviendra la divinité si le prêtre lui-même l’insulte ?

Publicité, liberté, voilà le palladium de toute défense.

Je le répète donc, la loi ne défend pas l’assistance d’un défenseur devant le conseil des prud’hommes ; M. Gamot lui-même ne le nie pas : dès-lors cette assistance est licite ; là est le point culminant de la discussion, le pivot unique sur lequel elle peut rouler. Ainsi, il y aurait arbitraire, excès de pouvoir, si le conseil persistait dans la prohibition qu’il a imaginée contre le texte de la loi ; dès-lors tout ouvrier à qui le conseil refuserait l’assistance d’un défenseur, aurait le droit de faire constater ce déni de justice et de prendre à partie le conseil lui-même, auteur du scandale.

Maintenant que j’ai défendu, et c’est avec douleur que je le dis, maintenant que j’ai défendu la loi contre un des magistrats chargés de rendre la justice en son nom, je veux bien, et sans tirer à conséquence, examiner les considérations qui ont, selon M. Gamot, dirigé le conseil dans son refus. Deux premières objections sont faites : la crainte de constituer en frais les ouvriers par le paiement d’un salaire à celui qui les assisterait dans leur défense, et celle de voir prolonger les causes par les demandes de renvoi que feraient les défenseurs pour grossir leur salaire.

Ces objections pourraient avoir quelque force, s’il s’agissait de créer un corps d’agréés, chargés par privilège du monopole de la défense devant le conseil. Ainsi, je l’avoue, la postulationii exclusive des avoués devant les tribunaux civils et d’appel, postulation qu’ils cherchent, contrairement à la loi, à étendre devant les tribunaux de commerce, est une plaie de l’ordre social, et l’on ne saurait trop appeler dessus l’animadversion publique et l’attention des législateurs. Mais peut-on croire que l’Echo, ennemi des priviléges, organe de la classe prolétaire, ait eu l’intention de se prêter à la création d’un monopole quelconque ?

Ce n’est donc pas dans ce sens que doit être entendu [4.1]mon article sur la défense devant le conseil des prud’hommes. Je demande et je sollicite une liberté complète pour la défense, ainsi que cela se pratique devant les tribunaux de commerce et les justices de paix. Le mandat est gratuit de sa nature ; la défense sera donc le plus souvent purement officieuse. L’ouvrier plus instruit défendra son camarade ; et quant au salaire dû au légiste qui voudrait se consacrer à cette défense, ou ce salaire sera volontaire, et dès-lors le conseil n’a pas à s’en occuper, de minimis non curat prœtor ; ou il sera forcé, le conseil suivant en ce cas l’exemple du tribunal de commerce, qui applique aux causes portées devant lui le tarif fait pour les affaires sommaires devant les tribunaux civils, et alors il pourrait fixer les droits d’obtention de jugement, à la moitié seulement de ce qui est alloué aux avouésiii. Quant à la multiplicité des renvois, ils sont loin d’être avantageux à l’homme d’affaires, attendu qu’un droit unique est dû pour l’obtention du jugement ; et d’ailleurs le conseil, sans entraver la défense, est toujours libre de les restreindre.

Une observation importante trouve ici sa place. Comment se fait-il que ce soit M. Gamot, prud’homme fabricant, qui ait cette tendresse toute particulière pour les ouvriers, tandis que leurs organes naturels, les prud’hommes chefs d’ateliers réclament cette amélioration ? J’en appelle au souvenir de MM. Falconnet, Charnier, Labory, etc.

Une troisième objection est faite ; c’est celle-ci : le conseil renvoie toujours les affaires en conciliation, et le chef d’atelier peut aller en particulier expliquer son affaire.

Je ne sais pas jusqu’à quel point il convient, en thèse générale, qu’un juge écoute en particulier celui qu’il est appelé à juger et auquel la loi lui défend de faire connaître son opinion. Je me bornerai à l’observation suivante :

Le conseil, par ce renvoi, ne fait que nommer des juges-rapporteurs, pour ensuite être fait droit. Il n’est donc pas exact de dire qu’il renvoie les parties devant arbitres ; en effet, le conseil, tout comme un autre tribunal, n’a pas ce droit : ce serait se dispenser de juger. Je conçois que si les prud’hommes étaient des arbitres au lieu de juges-rapporteurs, le chef d’atelier pourrait bien y aller seul, mais il n’en est pas ainsi ; car si cela était, le conseil ne serait qu’un bureau de transit. Ce n’est donc pas soutenable : comment un de ses membres peut-il s’égarer à ce point ?

Je me trouve embarrassé pour répondre à la quatrième objection. M. Gamot dit que si le conseil s’apercevait que la timidité où l’embarras de s’exprimer gênassent une défense, il se ferait un devoir d’admettre un tiers. On ne doit pas plaisanter dans les choses sérieuses, et c’est une plaisanterie que M. Gamot a faite. Je voudrais bien qu’il m’expliquât comment le conseil trouvera sous sa main, le cas arrivant, un tiers pour défendre cet ouvrier, lorsqu’il sera bien établi que personne, autre que les parties, n’a le droit de se présenter au conseil.

Une dernière objection me reste à réfuter. Le conseil craint de ne pas connaître la vérité toute entière par la bouche des agréés. Si cette objection avait quelque fondement, pourquoi ne l’applique-t-on pas aux autres tribunaux ? C’est qu’elle est plus spécieuse que solide : l’homme de mauvaise foi qui trompe son défenseur, trompera également le conseil.

Ici une anecdote qui regarde M. Charnier et à laquelle [4.2]il ne manquera pas de répondre ; mais je dois relever une erreur matérielle. Le tribunal de commerce n’ordonne que rarement la comparution des parties en personnes, et si beaucoup se présentent elles-mêmes, c’est que de plus en plus éclairé, le public cherche à se soustraire au monopole des avoués qui, sans aucun titre, l’ont en quelque sorte envahi.

En résumé, j’ai dit que rien ne devait prévaloir contre la loi et que la loi voulait tout ce qui pouvait augmenter la liberté de la défense, et que dans l’espèce, le décret de 1809 en ordonnant la comparution des parties, n’a pas défendu qu’elles fussent assistées d’un défenseur. Je crois ce point inattaquable ; je pense avoir refuté d’une manière victorieuse les considérations par lesquelles M. Gamot prétend que le conseil a été influencé, et dès-lors je persiste dans celles que j’ai fait valoir, et qui, j’espère, sont encore présentes à la mémoire du lecteur.

Quand à ceux qui pourraient croire que les doctrines d’égalité sociale, qui se répandent de toutes parts, n’ont point fait de prosélites dans la classe réputée jusqu’à ce jour supérieure ; je suis heureux de pouvoir les convaincre du contraire, et je vais citer comme un triomphe éclatant de la cause prolétaire, ces mots qui terminent la lettre de M. Gamot, auquel je me plais d’en rendre hommage ; paroles qui pourraient être sans importance dans la bouche d’un prolétaire comme vous et moi, mais qui dans celle d’un négociant distingué, appelé à une magistrature importante, par le choix éclairé de ses collègues, en acquèrent une bien grande et mériteraient d’être inscrites dans la salle où s’assemble le conseil et sur le livret de chaque ouvrier.

L’ouvrier doit savoir que les fabricans ne se croient pas plus au-dessus de lui, qu’ils ne se croient eux-mêmes au-dessous du commissionnaire qui leur achète leur étoffe et leur fait ainsi gagner leur vie.

Ces paroles remarquables me serviront de texte pour un prochain article relatif aux renvois devant arbitres que je vous adresserai incessamment.

Agréez, etc.

Marius Ch......g.

10 juillet 1832.


i Ce langage me ferait croire à un propos plus qu’inconvenant que M. Gamot, en consultation avec trois de ses collègues, aurait tenu au sieur Desmaison qui lui objectait un texte précis du Code civil. Je me f… de la loi, aurait dit M. Gamot. (Voyez l’Echo n° 37, lettre Desmaison.) Réflexion faite, je ne peux pas y croire à ce propos.
ii On appelle postulation le privilége accordé aux avoués des tribunaux civils et d’appel, de se présenter, à l’exclusion de tous autres, pour les parties, même sans mandat et sans être assistés d’elles.
iii Dans les affaires sommaires, le tarif alloue 15 fr. pour l’obtention d’un jugement contradictoire, et 7 fr. 50 c. pour celui d’un jugement par défaut. Ce tarif est appliqué par le tribunal de commerce.

sur la revue encyclopédique1.   

Il y a quatorze ans qu’un homme estimable, M. Jullien2, fonda la Revue encyclopédiquei, à l’instar de l’Angleterre et de l’Allemagne où ces recueils sont infiniment goûtés. D’immenses richesses littéraires et scientifiques sont contenues dans ce vaste répertoire qui contient 50 volumes.

Depuis le courant de l’année 1831, et sous l’influence des nouvelles doctrines, la Revue encyclopédique a passé en des mains non moins capables d’en supporter le fardeau. Les nouveaux gérans sont M. H. Carnot, héritier d’un nom sublime et digne de le porter, et P. Leroux, ancien rédacteur du Globe, avant que ce journal fût devenu le moniteur de la religion St-Simonienne. Ces messieurs ont su s’attacher comme collaborateurs des hommes d’un grand mérite entr’autres, MM. Charles-Comte, Pages, Laurent, Jean Reynaud, Emile Pereire, Charles Didier, Abel Tronson, etc., tous apôtres de cette nouvelle doctrine qui résume son symbole par ces mots : liberté, égalité, association, qui servent de devise à la Revue. Notre courageux gérant du Précurseur, M. A. Petetin a également donné plusieurs articles de littérature et d’histoire.

[5.1]Pour prospectus, MM. Carnot et Leroux ont publié quelques pensées remarquables sous le titre de « Tendance nouvelle des idées. » Nous allons en extraire les passages les plus saillans, car nous revendiquons comme notre bien, et nous ne saurions trop répandre et faire connaître tout ce qui tend à éclairer la classe prolétaire.

« Si l’on interroge le témoignage des esprits les plus élevés, on est frappé de les trouver presque tous préoccupés par une même attente, celle d’une rénovation sociale prochaine. Une conviction profonde s’y est heureusement gravée : c’est qu’il n’y a de révolutions durables et fécondes, de révolutions acomplies sans retour, que celles qui intéressent directement la classe nombreuse et laborieuse, qui améliorent radicalement sa condition morale et matérielle. Le peuple ne gagne rien effectivement aux mouvemens politiques qui n’ont d’autres résultats que celui de transporter le pouvoir d’une fraction à une autre de la classe privilégiée. Les distinctions naguères encore si profondes de nobles et de bourgeois, de monarchistes et de libéraux, de wighs et de torys ont été effacées par l’apparition d’un nouvel élément demeuré pour ainsi dire inaperçu jusque-là, le peuple. Il n’y a plus de privilégiés à divers titres, mais seulement des hommes à priviléges et des hommes sans priviléges ; en d’autres termes, comme on l’a dit tantôt avec anxiété, tantôt avec une ironie aristocratique, ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, les propriétaires et les prolétaires.

La grande question du prolétariat s’agite aujourd’hui, comme, au terme de la société romaine, s’agitait la grande question de l’esclavageii.

Le principe social de l’égalité cultivé par la France nous conduit à une nouvelle conception de Dieu et de l’humanité.

L’innovation, mais l’innovation en grand, l’innovation qui annonce qu’on est entré dans une ère nouvelle de la pensée, déborde de partout dans les livres, dans les journaux, dans les chaires de philosophie.

Le besoin d’une doctrine générale, d’une rénovation de la connaissance humaine, sont éloquemment professés en Sorbonne comme au collége de France… Combiner partout le principe de la capacité avec le principe de l’élection, voilà l’avenir qui se montre clairement aujourd’hui.

Au milieu de tant de phénomènes passagers, de bouleversemens et de ruines, la France et l’Europe n’ont cessé de graviter, depuis cinquante ans, vers cette grande rénovation de l’esprit humain. Il n’est point d’événemens qui puissent entraver cette marche ascendante qui devient rapide à mesure qu’on approche du but.

Condorcet écrivait son livre de la perfectibilité sur le volcan qui allait dévorer et lui et ses amis et bien des générations d’hommes : il le savait, et c’est l’exemple que doivent suivre, dans des temps de révolution, tous ceux qui ont la religion du progres. En nos jours, rien n’est certain et chacun semble s’attendre à de nouveaux changemens… Nous ne craignons ni ne désirons de tels événemens ; nous savons qu’une nouvelle révolution serait pour la France et pour l’humanité la source de progrès rapides ; mais nous savons aussi que dans une période de paix, toutes les idées dont le germe commence à poindre, se développeront malgré les efforts d’un despotisme pygmée, et formeront en peu de temps une philosophie du 19e siècle qui amènera la grande rénovation sociale dont la révolution de 89, fille de la philosophie du 18e siècle, n’a été que le prélude. »

Nous aussi nous avons foi dans cette loi du progrès [5.2]qui a donné le droit de bourgeoisie aux affranchis romains, aux serfs gaulois, et tous nos efforts seront tournés vers ce but que nous entrevoyons dans un avenir peu éloigné, l’émancipation de la classe prolétaire.

Des articles extrêmement remarquables ont été insérés, depuis le commencement de cette année, dans la Revue encyclopédique, notamment de la société saint-simonienne, de la nécessité d’une représentation pour les prolétaires, par Jean Reynaud ; doctrine d’association de Charles Fourrier, par Abel Tronson ; de l’influence des saisons sur les facultés de l’homme, par Quetelet, et de l’assiette de l’impôt par Emile Pereire.

Marius Ch.....g.


i Ce recueil périodique parait chaque mois à Paris, rue des Saints-Pères, n° 26.
ii Voyez l’Echo, nos 22, 25, 27, 30, 31, 33, 34 et 36.

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Je vous remercie de l’obligeance avec laquelle vous avez inséré mes deux dernières lettres. Je viens la mettre à contribution de nouveau pour la présente qu’a provoqué celle de M. Desmaison, insérée dans votre dernier N°.

Il est très-vrai que j’ai dit, dans les termes qu’il m’attribue, que dans une conciliation ou accommodement à l’amiable, dont peut me charger le conseil des prud’hommes, je m’inquiète moins de la loi, ou question de droit, que de celle de bonne foi et de probité ; et dans cette affaire on a accusé également l’une et l’autre dans M. Desmaison, avec des preuves convaincantes pour moi et un de mes confrères : j’ignore l’opinion des deux autres qui y assistaient aussi. Si par suite de ma manière de voir à cet égard, il a pu s’apercevoir qu’il y ait eu de ma part, dans la conciliation qui a eu lieu, injustice ou partialité, il sait qu’il peut en appeler devant le conseil. De plus, si je me suis rendu coupable de pareille prévarication, les deux prud’hommes chefs d’atelier qui assistaient à la discussion, seraient bien coupables d’avoir accédé à la conciliation qui a eu lieu. Présumant qu’ils ignorent, ainsi que M. Desmaison, l’article suivant de la loi, je me fais un plaisir de le leur apprendre.

« Décret du 18 mars 1806, titre 4, art. 33, en cas de plainte en prévarication contre les membres du conseil des prud’hommes, il sera procédé contr’eux, suivant la forme établie à l’égard des juges. »

Il faut sans doute suivre la loi à la lettre quand il s’agit de juger ; mais dans une conciliation ou arbitrage dont il est si facile d’appeler, sans embarras, sans frais, d’un seul mot, il me semble que ce n’est qu’à son corps défendant qu’il faut accorder le bénéfice de la loi à un homme dont on accuse avec justice la bonne foi et la probité.

Je ne me joue pas de la loi, Monsieur le rédacteur, mais quand vous croirez, ou tout autre, que je le fais, veuillez me faire appliquer l’article que je cite ci-dessus. Je ne souffrirai non plus jamais que les ouvriers courbent leur front sous l’égoïsme et la cupidité ; et si ces odieuses qualifications s’appliquent à moi, je vous prie de l’expliquer clairement. Je connais la dignité de l’homme et je l’empêcherai toujours de s’avillir. Je connais trop bien aussi le caractère dont je suis revêtu pour jamais y déroger. Je suis décidé à le dépouiller dès qu’un reproche mérité pourra m’être adressé, mais pour que je le juge tel, il faut qu’il vienne d’un autre homme que M. Desmaison, d’un homme dont je ne puisse recuser la moralité.

J’accompagnerai de preuves, toutes les assertions de [6.1]cette lettre, que M. Desmaison pourra trouver offensantes ; mais, par un dernier égard, je ne le ferai que sur nouvelle provocation de sa part. Désirant lui éviter ces explications, je lui avais demandé une rétractation : non-seulement il me l’a refusée, mais il a dit hier au Conseil que ma lettre contenait des menaces, je l’accuse encore en cela de mauvaise foi, et comme il peut lui donner de la publicité, j’en appelerai à vos lecteurs pour décider qui de nous deux aura tort sur ce dernier point.

J’ai l’honneur d’être, etc.

Gamot,

Membre du Conseil des Prud’hommes.   

Note du Rédacteur. Nous aurions cru manquer aux devoirs de la presse et au caractère public dont est revêtu M. Gamot, si nous nous étions refusé à l’insertion de la présente ; mais ces débats entre un chef d’atelier et l’un de ceux appelés à le juger, nous affligent profondément. Nous pensons que M. Gamot se récusera dans cette affaire ; dans tous les cas, ce sera un avertissement pour lui de ne parler de la loi qu’avec respect, et de s’y conformer même lorsqu’il sera appelé par ses fonctions à concilier les parties qui seront renvoyées devant lui.

AU MÊME.

Monsieur,

Depuis que nous avons cessé, il y a environ quinze jours, de faire fonctionner le moto-fluide, qui a, pendant plusieurs mois, élevé des eaux du Rhône le long de la rampe des Fantasques, on s’informe généralement si notre projet d’entreprise pour l’établissement de nombreuses fontaines à Lyon va recevoir son exécution, ou si nous l’avons abandonné.

Nous avons depuis long-temps présenté à l’autorité administrative nos propositions, et nous croyons qu’il ne peut en être fait de plus avantageuses pour la ville : sa situation financière opposa quelques obstacles ; mais nous ne doutons pas que la ferme volonté de l’administration actuelle, et ses études approfondies des ressources municipales, ne la mettent à même d’assurer bientôt à la ville un bienfait immense, depuis long-temps désiré et promis.

L’insertion de cette lettre dans votre journal, en faisant savoir que nous n’avons pas abandonné nos projets, fera cesser l’incertitude publique.

Nous avons l’honneur, etc.

Revillon et Ce,

Ingénieurs-mécaniciens, quai Saint-Clair, n° 3.

AU MÊME.

Lyon, le 13 juillet, 1832.

Monsieur,

Dans votre numéro de dimanche dernier on vous a fait insérer aux colonnes des annonces, une nouvelle mécanique à dévider et faire les canettes ; je puis vous assurer, monsieur, que ces mécaniques ne sont autre chose qu’une copie des miennes pour lesquelles je suis breveté.

Ainsi, je vous prie d’en instruire le public, en publiant ma lettre dans votre prochain numéro pour que ceux qui pourraient en acheter sachent que je suis disposé à poursuivre devant les tribunaux tout contrefacteur et faire saisir lesdites mécaniques, qui ne sortiront pas de mon atelier.

Agréez, etc.

David, mécanicien breveté, Place Croix-Pâquet, au bas de la côte St-Sébastien.

le charles-quint lyonnais1.

[6.2]Notre opinion sur les duels2 est connue, nous les regardons comme un reste de la barbarie de nos ancêtres, et, pour notre compte, nous n’en offrirons ni accepterons en aucun cas. Ainsi nous avons compris M. Pitrat, gérant de la Gazette du lyonnais, répondant à celui qui lui proposait, ce qu’on appelle en langage fashionable, une partie d’honneur : Avez-vous bien le courage de vouloir qu’un père de sept enfans aille s’exposer à être tué. Nous concevons ce banquier qui avant d’aller sur le terrain demanda à son adversaire : Avez-vous comme moi cent mille livres de rente ? et sur sa réponse négative, resta chez lui. Ce bon Hollandais qui veut bien être blessé, mais non être tué, et qui, apprenant que son adversaire entend que l’un des deux le soit, lui dit avec candeur : « Vous voulez que l’un de nous reste sur la place ; eh bien ! restez-y, parce que mes affaires m’appellent ailleurs, » et s’en va sans plus de cérémonie, est encore, à notre avis, un homme de bon sens. Enfin, nous n’en finirions pas si nous voulions rapporter toutes les raisons qu’un homme sensé a pour ne pas se battre en duel : un oisif avait entrepris de les compter, et était arrivé jusqu’au nombre 36 ; la première, et qui n’était pas la plus mauvaise, était la crainte d’être tué. C’est probablement aussi cette crainte qui a retenu M. Jouve, et l’a dissuadé d’accepter le duel que M. Granier lui a proposé. Mais alors, pourquoi faire le fanfaron, et surtout l’insolent ? Certes, personne n’en sera la dupe ; les rédacteurs de la Glaneuse, les acquittés de Riom sont placés dans l’opinion publique bien au dessus de M. Jouve, quoiqu’il soit et peut-être parce qu’il est rédacteur du Courrier de Lyon. Eh bien ! croirait-on qu’il a pris pour prétexte qu’il craignait de se compromettre en relevant le gant qui lui était jeté. Risum teneatis. Comme Charles-Quint3 à Hernani, il a répondu fièrement, sachant bien qu’il n’avait rien à craindre :

Je ne me bats pas, assassinez-moi.

Aussi, le nom de Charles-Quint lui est resté. Allons, Monsieur Granier, faites une chanson, et bornez là votre vengeance.

société du bazar lyonnais.   

La Commission exécutive du Bazar, prévenue que quelques-uns de MM. les souscripteurs à la médaille polonaise se plaignent du retard apporté dans sa confection, et semblent vouloir exciper de ce motif pour exprimer des doutes injurieux à la société dépositaire de leurs deniers, donne avis qu’un cliché de ladite médaille sera exposé, à partir de ce jour, (depuis trois heures, jusqu’à cinq du soir) dans le bureau qu’elle occupe à l’Hôtel-de-Ville. La vue de ce cliché, tiré sur plomb, suffira (elle l’espère du moins), pour tranquilliser et satisfaire à la fois la généralité des souscripteurs.

La même Commission croit devoir annoncer qu’avant de procéder au frappage de la médaille sous les balanciers de la monnaie, elle a dû solliciter et obtenir l’autorisation ministérielle indispensable en pareil cas, ce qui, avec la présence du choléra à Paris, et les troubles politiques des 5 et 6 juin, a naturellement retardé son exécution définitive.

Commencé depuis quelques jours, le frappage se continuera sans interruption jusqu’à ce qu’un nombre de médailles égal à celui des souscripteurs inscrits, soit passé en délivrance ; la distribution générale ne saurait donc tarder à avoir lieu, mais elle ne pourra être faite toutefois que lorsque la société sera nantie de la totalité des [7.1]médailles ; car elle doit songer surtout à prévenir le reproche de partialité qui ne manquerait pas de lui être adressé dans le cas ou la répartition dont il s’agit serait incomplète.

Lyon, le 10 juillet 1832.

Le secrétaire,

Sylvain Blot.

AVIS.

La mercuriale si impatiemment attendue, est affichée depuis vendredi dernier, au greffe du conseil des prud’hommes. Elle est précédée d’un préambule que nous donnerons dans notre prochain numéro, et suivie d’un avis ainsi conçu : « MM. les fabricans et chefs d’atelier sont invités à envoyer au conseil des prud’hommes toutes les observations qu’ils jugeront convenables pour faire au présent tableau provisoire les rectifications dont il peut avoir besoin. »

Nous ignorons dans quel but le Courrier de Lyon, qui a donné le préambule, a supprimé cet avis.

Une indisposition du gérant l’a empêché de répondre aux articles que le Courrier de Lyon a publié contre la mercuriale, sans la connaître. Cette réponse paraîtra dans le prochain numéro.

JURISPRUDENCE USUELLE.

des locations. (Suite.)

de l’occupation.  

Entrée en jouissance. Au jour fixé par le bail, le locataire doit se présenter pour prendre possession de l’appartement à lui loué, et le propriétaire doit le lui livrer propre et en bon état de réparations locatives. Cela est juste, car le locataire doit le rendre tel à sa sortie. C’est donc en ce moment que l’état des lieux doit être dressé.

Si le locataire n’a pas reçu les lieux loués en bon état de réparations locatives et qu’il ait négligé de le faire constater, il pourra, à sa sortie, prouver ce fait. Mais cette preuve est souvent impossible, toujours difficile et dispendieuse. Une maxime juste, et qui trouve ici son application, est celle-ci : c’est de ne laisser au hasard et aux chances des procès, que ce que l’on ne peut prévoir et ce qu’il ne dépend pas de nous d’éviter ; nous ne saurions donc trop recommander un état de lieux : c’est le moyen de prévenir bien des difficultés.

Le locataire doit recevoir les clefs du propriétaire : il est en droit de l’exiger ; mais si l’ancien locataire n’a pas encore déménagé, et que le nouveau consente à se présenter, l’ancien locataire doit recevoir ses meubles, et à son refus, le propriétaire doit fournir à ce locataire un endroit quelconque pour les entreposer, et où ils soient à couvert et en sûreté.

Si dans ce moment il vient à s’égarer quelque chose appartenant au locataire, nous pensons qu’on doit appliquer les principes qui régissent le dépôt nécessaire. (Code civil, articles 1949 et suivans.)

L’usage a fixé à Lyon, un délai de grâce pour cette entrée en jouissance. Elle n’a lieu que le 29 juin, jour de St-Pierre, pour le terme de la St-Jean ; et le 2 janvier, jour de St-Clair, pour le terme de Noël ; ou pour mieux dire encore, le lendemain de ces deux jours avant-midi. Ce délai de grâce ne doit pas par conséquent être [7.2]considéré comme rigoureusement dû. Il n’est que facultatif, et n’a été introduit que pour faciliter les déménagements réciproques : si donc chaque locataire voulait en jouir intégralement, on comprend que la confusion que cet usage a eu pour but d’éviter, renaîtrait de suite. D’ailleurs, on doit bien se persuader que toute convention fait loi entre les parties, et doit être strictement exécutée. C’est à une obligeance naturelle qu’on doit recourir, et nullement regarder cette tolérance comme un droit acquis. J’insiste là-dessus, parce qu’on ne saurait trop être esclave de ses conventions en particulier, et de la loi en général. Celui-là aurait donc tort, qui le lendemain de l’échéance du terme, cité en payement ou menacé d’expulsion, crierait à l’arbitraire : il n’en aurait pas davantage le droit, que le marchand qui souffre un protêt faute de payement, le lendemain de l’échéance de son billet. Mais d’un autre côté, cette tolérance doit être accordée toutes les fois qu’elle est sans inconvénient, et les tribunaux verraient de mauvais œil le propriétaire qui, contrairement à l’usage, refuserait à son locataire le délai de grâce.

Nous allons maintenant parler des obligations réciproques du bailleur et du preneur, lesquelles n’ont pas besoin d’être écrites dans le bail, attendu que la loi que nul n’est censé ignorer, a stipulé ces obligations dont l’inobservance entraîne, 1° la résiliation du bail ; 2° des dommages-intérêtsi.

Vice caché. Si par un vice même inconnu au bailleur, les lieux loués ne pouvaient remplir leur destination ou s’il en résultait une perte pour le locataire, ce dernier a droit à une indemnité en suite d’une expertise, ou à la résiliation du bail avec dommages-intérêts, laissés à l’arbitrage du juge. Ainsi, un appartement qui ne serait éclairé que par un jour absolument faux, ou dont l’humidité le rendrait inhabitable, pourrait être abandonné par le locataire et le bail résilié.

Perte de la chose louée. Si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par un cas fortuit, comme un incendie, l’écroulement de la maison, etc., le bail est résilié de plein droit sans indemnité. Si la chose louée n’est détruite qu’en partie, le locataire peut demander, ou la résiliation du bail, ou une diminution du prix, mais il ne peut demander aucune autre indemnité.

Pendant toute cette durée de bail, le bailleur ne peut changer la forme de la chose louée.

(La suite au prochain N°.)


i Toute obligation qu’on ne remplit pas se résout ou se résilie avec dommages-intérêts contre celui qui se refuse d’executer. On appelle dommages-intérêts, une somme donnée pour tenir lieu, soit de la perte qu’on éprouve, soit du gain dont on est privé. (Les légistes disent : de damno vitando, aut de luere petendo.) Dans le premier cas, ils sont plus forts que dans le second ; parce que toute perte est facilement appréciée, au lieu qu’à côté de la chance de gain se trouve celle de perte qui est imprévue. Mais dans les deux cas ils sont laissés : 1° à l’appréciation de l’expertise ; 2° plus souvent à l’arbitrage du juge tout à moins que par la convention on ait stipulé la quantité de ces dommages-intérêts, auquel cas on doit allouer ni plus ni moins que ce qui a été écrit. En général, et lorsque les dommages-intérêts n’ont pas été stipulés par la convention, les tribunaux en font l’estimation et allouent ces sommes modiques.

CONSEIL DES PRUD’HOMMES1.

Séance du 11 juillet,

(présidée par m. goujon.)

- La séance est ouverte à six heures et demie ; les causes qui ont offert quelque intérêt sont les suivantes :

Le sieur Burgat réclame au sieur Ajac une pièce de 20 aunes ; le conseil, dans l’audience du mois précédent, a déclaré que le sieur Ajac devait la lui donner.

[8.1]Le sieur Trotton, fondé de procuration du sieur Ajac, répond que c’est le sieur Burgat qui a manqué de rendre, comme il avait été convenu pardevant le conseil, un schal tous les 7 jours, et que, maintenant, il ne peut donner qu’une pièce de 10 aunes sur un métier seulement.

Attendu que le chef d’atelier n’a pu remplir ses engagemens, attendu que le sieur Ajac n’a pas fait travailler le métier suffisamment, vu ses frais de montage, le conseil décide qu’il sera tenu de donner une pièce de 10 aunes sur chaque métier.

Le sieur Troubat expose au conseil que le sieur Desmaison n’étant point venu lui rembourser le solde des matières qu’il lui doit, comme il le lui avait dit, il ne veut point se rendre à la conciliation faite par MM. Vuldy, Gamot, Charnier et Martinon, et demande que le conseil statue sur le fonds de son affaire. Il dit ensuite que le sieur Desmaison l’accuse injustement de lui avoir donné la grenadine mouillée, ce qu’il peut prouver par ses livres, en confrontant les pesées remises à l’ouvrier avec celles rendues par le teinturier ; que par conséquent et dans l’intérêt de la fabrique, le sieur Desmaison doit lui payer les matières dont il est en solde le même prix qu’elles lui coûtent, c’est-à-dire, cent francs le kilogramme ; car ; dit-il, en ne faisant payer le solde des matières que 65 fr. le kilog., les ouvriers auraient intérêt à vendre les matières et à se mettre en soldei. Que le solde du sieur Desmaison provient de ce que ses pièces n’ont pas rendu le même nombre de schals que celles du même aunage fabriquées chez d’autres chefs d’ateliers.

Le sieur Desmaison répond qu’il ne veut pas faire d’emphase à la manière du sieur Troubat ; que peu de paroles lui suffiront pour détruire ses assertions, qui sont toutes fausses. Il représente qu’il lui était impossible de soustraire des schals, puisque les pièces étaient toutes marquées à la longueur de chaque schals ; que souvent la distance d’une marque à l’autre était de 54 pouces au lieu de 50 ; que même, il est arrivé qu’il se trouvait deux marques au lieu d’une, et qu’il ne peut être responsable des erreurs de l’ourdisseuse. Il dit aussi, ne point consentir à la conciliation, parce que l’indemnité qui lui a été accordée n’est pas en rapport avec ses dépenses. Et il déclare récuser M. Gamot, ayant été gravement insulté par lui.

Attendu qu’une nouvelle enquête est nécessaire, et que les membres nommés pour concilier les parties, n’ont pas fait de rapport, le conseil renvoie l’affaire à la huitaine pour prononcer son jugement, pendant lequel temps un rapport écrit lui sera communiqué. Le conseil a omis de statuer sur la récusation de M. Gamot.

Le sieur Coronin, mécanicien, réclame au sieur Falquet père, un défraiement pour la nourriture de son fils pendant trois mois, qu’il a gardé pour lui apprendre son état, et les journées qu’il a perdu pour lui montrer, ainsi que celles d’un manœuvre, qu’il était forcé d’employer pour faire travailler son élève. Le sieur Falquet répond qu’il a refusé de passer les engagemens de son fils, avec le sieur Coronin, car son tempérament est trop faible pour continuer cet état, et que la vue lui manque.

[8.2]Attendu que l’élève n’a pu continuer l’état, le sieur Falquet payera au sieur Coronin, la somme de 85 fr. pour tout défraiement.

La réclamation du sieur Chouard contre le sieur Tocannier, renvoyée pardevant MM. Gamot et Falconnet a été conciliée. Le sieur Tocannier payera la somme de 40 fr. pour défraiement de montage de métiers et temps perdu.


i Le sieur Troubat prétend que les matières doivent être comptées aux ouvriers le même prix qu’elles coûtent aux fabricans. Sans nul doute, le sieur Troubat n’aura pas manqué de donner cet exemple en payant les avances de ses ouvriers au prix de 100 fr. le kilogramme. Avis aux chefs d’ateliers.

COUPS DE NAVETTE.

On prétend que la Mère Curiale est folle et doit être interdite. Un avocat, M. Jouve, s’est chargé de plaider cette cause… dans le Courrier de Lyon.

Dieu de Dieu, disait Mayeux l’autre jour, que de chiens enragés ! Ce n’est pas des rédacteurs du Courrier de Lyon qu’il parlait, mais bien de ces pauvres quadrupèdes si traitreusement mis à mort.

Un canut demande s’il a le droit de récuser son juge, lorsque celui-ci récuse la loi.

M. Gamot est le Montalivet1 des prud’hommes, il se f… de la loi.

M. G....t va publier un traité des considérations qui doivent prévaloir sur la loi.

ANNONCES DIVERSES.

Taille raisonnée des arbres fruitiers, par C. Butret.

Ce petit ouvrage qui a eu vingt éditions, a été réimprimé par les soins de la société d’agriculture et arts utiles de cette ville.

Une partie des exemplaires doit être distribuée à titre gratuit, aux jardiniers et pépiniéristes qui se distinguent dans ce genre d’industrie ; et les autres exemplaires se vendent à un prix modique, chez Barret, imprimeur, place des Terreaux. Nous en rendrons compte dans un prochain N°.

À vendre, deux métiers de schalls lancés, grenadine, en 6|4, mécanique en 900 avec tous ses accessoires, et un appartement à louer, ensemble ou séparément.
S’adresser à M. Lambert, rue impasse du boulevard St-Clair, n° 3.

Maison de construction récente, rue Ferrachat, du revenu de 1,400 fr., à vendre. On donnera des facilités pour le payement.
S’adresser à M. Chastaing, rue du Bœuf, n° 5, au 2me.

(54) Banques à jour et à placards, meubles de marchand-fabricant, plusieurs milliers de roquets, mettage en mains, trafusoir, trancanoir, peignes 28 portées 50 centimètres, 34 portées 59 centimètres et en divers autres comptes et largeurs, le tout presque neuf, à vendre en gros ou en détail, rue des Capucins, n° 27, à l’entresol.

anti-tabac à priser et à fumer, 2 fr. le 1/2 kilo. Cigarres à 30 et 60 c. la douzaine. Pour avoir un débit en province, écrire franco à P. Clament-Zuntz, inventeur de l’anti-tabac, rue Traversière-St-Honoré, n° 41, à Paris.

A vendre, un remisse en 5|8 en soie, 70 portées, tout passé, avec le peigne, le tout en très-bon état, n’ayant qu’à tordre et travailler.
S’adresser au bureau du journal.

Notes (LYON.)
1 Le problème tel qu’il est soulevé ici est celui de la diffusion des techniques. Or, il faut bien voir qu’au cours de cette première moitié du XIXe siècle, des missions officielles furent envoyées en Angleterre pour étudier et comprendre les nouvelles techniques appliquées à l’industrie. Les industriels se déplacent et franchissent alors la Manche pour rapporter idées et dessins et même pour débaucher des ouvriers. Les expositions industrielles qui apparaissent dès l’Empire sont aussi une occasion de confrontation des techniques utilisées (référence : B. Gille, Histoire des techniques, Paris, Gallimard, 1978, p. 1374-1376). La diffusion n’est donc pas unilatérale comme semble le souligner Falconnet. Dans ce domaine, il faut souligner la prédominance britannique qui,  notamment entre 1820 et 1839, produit 46 % du total des innovations, chiffres obtenus d’après P. Bairoch, Victoires et déboires, Paris, Gallimard, 1997, II, p.79.

Notes (AU MÊME.)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). Depuis le numéro précédent Antoine Vidal, gravement malade, n’assurait plus la direction du journal et Marius Chastaing le remplaçait ; dans ce numéro du 15 juillet, Chastaing assure seul la rédaction de pas moins de quatre articles. Vidal décèdera au début du mois d’août 1832 et Chastaing deviendra officiellement rédacteur de L’Echo de la Fabrique au tout début du mois de septembre.

Notes (sur la revue encyclopédique .    Il y a...)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Marc-Antoine Jullien (1775-1848), homme des lumières, pionnier de la science de l’éducation publiait depuis 1819 la Revue Encyclopédique. En  septembre 1831, des dissidents récents du mouvement saint-simonien, Pierre Leroux (1797-1871), Hyppolite Carnot (1801-1888) reprirent la revue à laquelle collaborèrent des libéraux comme Charles Comte, des sympathisants comme Adolphe Quételet (1796-1874) et des saints-simoniens en désaccord ou rupture avec Enfantin comme Charles Didier (1805-1864), Abel Tronson (1805-1876), Jean Reynaud (1806-1863) ou Emile Pereire (1800-1875). Sept volumes furent publiés entre 1831 et 1833. A partir de 1836 et jusqu’à 1841, Leroux et Reynaud publieront leur Encyclopédie nouvelle ou dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et industriel, offrant le tableau des connaissances humaines au 19e siècle, par une société de savants et de littérateurs.

Notes (le charles-quint lyonnais . [6.2] Notre opinion...)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Le duel constituait l’un des principaux risques du métier de journaliste dans cette période. Bien qu’hostiles au duel – considéré comme rétrograde et surtout représentatif des anciens codes de l’aristocratie - il était difficile aux journalistes de se soustraire au duel. Le régime juridique du duel permettra leur multiplication jusqu’à l’arrêt de décembre 1837. Entre 1831 et 1834, la cour d’assise de Lyon eu ainsi à juger trente quatre duels dans lesquels des journalistes furent impliqués.  Voir J. D. Popkin, Press, Revolution and Social identities in France, ouv. cit., p. 46-47 et Jean Pradel, « Duel », in : M. Ambrière (dir.), Dictionnaire du 19e siècle européen, ouv. cit., p. 347-348.
3 Le journaliste fait ici référence à la scène du duel entre Charles Quint et Hernani dans le drame de Victor Hugo, Hernani, publié en 1830.

Notes (CONSEIL DES PRUD’HOMMES.)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes (COUPS DE NAVETTE.)
1 Référence ici à Marthe Camille Bachasson Comte de Montalivet (1801-1880), ministre de l’Intérieur de Louis-Philippe entre novembre 1830 et mars 1831, chargé notamment de la protection du procès de Charles X.

 

 

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