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15 juillet 1832 - Numéro 38
 
 

 



 
 
    
LYON.

de l’exportation des mécaniques lyonnaises à l’étranger.   

Parmi les causes de la décadence de notre industrie, celles que je vais citer y contribuent le plus. Depuis long-temps fabricans et ouvriers se plaignent de la facilité avec laquelle les étrangers enlèvent nos mécaniques et nos procédés nouveaux de fabrication ; car, indépendamment des soies qui s’achètent, se teignent et se préparent à Lyon, et qui sortent de France aussi librement que si c’était de l’étoffe, les mécaniques à la Jacquard sont presque toutes exportées à l’étranger, et les mécaniciens ne travaillent presque plus que pour le dehors. Il se fait des expéditions pour la Prusse, la Suisse, le Piémont, l’Italie et l’Espagne. Il s’en fait même pour la Suède et la Russie.

Enfin, depuis six mois, plus de deux cents mécaniques ont été achetées chez les marchands d’ustensiles de fabrique, et envoyées à Turin, ainsi que plusieurs lisages. Beaucoup de Piémontais, établis dans notre ville depuis de longues années, sont partis pour Turin, emportant avec eux leur atelier et nos procédés de fabrication. La facilité que les négocians de Turin ont de nous enlever nos nouveautés par les affiliés qu’ils ont à Lyon, et qui ne se font pas scrupule de leur envoyer des dessins tout lus et prêts à être posés sur les métiers, ruine les fabricans de notre ville1.

Dernièrement des ouvriers ont été embauchés pour l’Espagne ; avant de partir, ils ont acheté, au moment où notre industrie était languissante, les mécaniques et ustensiles à vil prix, qui sont sortis de France sans [1.2]difficulté. Des métiers de tulles noués ont été embarqués, et sont maintenant en quarantaine dans un port d’Espagnei.

Qu’on ne s’étonne donc pas si depuis quelque temps notre industrie s’épuise en de vains efforts. Si des lois protectrices ne viennent à notre secours, le temps n’est pas éloigné où, malgré notre talent reconnu d’innovateurs, nous ne serons plus que les fournisseurs de l’industrie de nos voisins.

C’est pour éviter un semblable résultat que j’appelle l’attention du ministre du commerce, et de toutes les personnes intéressées à la prospérité de notre cité, sur les faits malheureusement trop vrais que j’ai cités, et qui peuvent ruiner entièrement et les fabricans et les ouvriers.

Falconnet.

Notes (LYON.)
1 Le problème tel qu’il est soulevé ici est celui de la diffusion des techniques. Or, il faut bien voir qu’au cours de cette première moitié du XIXe siècle, des missions officielles furent envoyées en Angleterre pour étudier et comprendre les nouvelles techniques appliquées à l’industrie. Les industriels se déplacent et franchissent alors la Manche pour rapporter idées et dessins et même pour débaucher des ouvriers. Les expositions industrielles qui apparaissent dès l’Empire sont aussi une occasion de confrontation des techniques utilisées (référence : B. Gille, Histoire des techniques, Paris, Gallimard, 1978, p. 1374-1376). La diffusion n’est donc pas unilatérale comme semble le souligner Falconnet. Dans ce domaine, il faut souligner la prédominance britannique qui,  notamment entre 1820 et 1839, produit 46 % du total des innovations, chiffres obtenus d’après P. Bairoch, Victoires et déboires, Paris, Gallimard, 1997, II, p.79.

 

 

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