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22 juillet 1832 - Numéro 39
 
 

 



 
 
    
LYON.
le courrier de lyon monomane.1

En vérité, lorsque nous disions que les hommes du Courrier étaient sous l’influence de quelque idée fixe, nous disions vrai : ils ont le cauchemar, la monomanie du prolétariat.

Vainement leur a-t-on fait sentir l’inconvenance, le danger et surtout l’inutilité de leurs lourdes tirades sur ce sujet ; un moment seulement, après avoir voulu prouver dans quelques laborieux articles que le pauvre, le prolétaire qui ne vit que du travail journalier, a plus d’intérêt que le riche à ce que le travail soit suspendu par le désordre, le bon Courrier s’est arrêté comme effrayé ou accablé de son œuvre.

Mais ce temps de repos ou d’apparente raison n’a pas été long : la monomanie a repris son puissant empire avec les grandes chaleurs qui, comme chacun sait, portent au cerveau. L’imagination malade vient encore d’évoquer le terrible fantôme.

Dans un article, pâle et pauvre copie du fameux article des Débats sur la plaie de l’époque, le Courrier s’évertue à prouver que les prolétaires, les hommes qui ne possèdent pas, sont la minorité dans la nation2 ; mais comme cette proposition déjà si difficile, ne suffit pas à sa richesse d’esprit, de sagacité, de rédaction, il trouve encore moyen d’avancer que le riche, celui qui possède, a intérêt à l’ordre, et le pauvre, le prolétaire, au désordre.

Il nous serait aussi facile de prouver que les prolétaires sont la majorité de la nation, qu’il nous a été [1.2]facile de prouver au Courrier que les prolétaires ont plus intérêt que le riche à l’ordre et à la paix ; mais notre intention n’est pas de le suivre dans tous ses écarts de raison et de prudence, notre temps est trop précieux, nous voulons seulement, dans l’intérêt de tous, remplir un devoir en lui donnant un bon conseil.

Si le Courrier s’est imposé la tâche facile d’exaspérer les non-propriétaires contre les propriétaires, qu’il continue ses déclamations, nous lui garantissons pleine et entière réussite ; mais s’il veut au contraire, ainsi qu’il le dit souvent, la paix, l’union, la concorde, nous le supplions, dans l’intérêt de l’ordre public, qui est sa devise, de changer de thème et de laisser en paix la question des prolétaires.

Certes, tous les actionnaires du Courrier ne sont pas malades de la monomanie de ses rédacteurs ; la majorité doit être saine : eh bien, qu’elle le prouve en redressant la marche du journal.

N’est-il pas honteux pour la propriété et le commerce qu’une feuille fondée, dirigée et rédigée par des négocians et des propriétaires, s’égare aussi dangereusement !

Le champ des intérêts matériels n’est-il donc pas assez vaste pour l’imagination et la verve de ces messieurs ?

Ils disent si souvent qu’ils s’intéressent au sort des masses : mais alors qu’ils le prouvent en réclamant pour elles ce qu’ils lui reprochent si souvent de ne pas avoir, l’instruction, l’éducation, les lumières ; qu’ils réclament un changement dans l’assiette de l’impôt, afin que la charte soit vraiment une vérité, et que le riche paie plus que le pauvre ;

Qu’ils s’occupent aussi de notre industrie souffrante que l’énormité des impôts et l’esprit stationnaire de ses chefs livrent pieds et poings liés à la concurrence étrangère.

Qu’à l’approche du terrible choléra, ils excitent le pauvre et le riche à la propreté3, à la tempérance, et l’administration à une surveillance plus active.

Enfin, que le Courrier soit un journal utile, au lieu d’être un journal futile et surtout dangereux.

Z.

Notes (LYON.
le courrier de lyon monomane.)

1 L’auteur de ce texte est François Barthélémy Arlès-Dufour d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Si l’on assimile les ouvriers seuls, aux prolétaires, ils constituèrent un groupe très minoritaire puisque tard dans le siècle, ils ne représentaient encore que 26.7 % de la population (voir Denis  Woronoff, Histoire de l’industrie en France, Paris, Le Seuil, 1998, p. 284).
3 Rappelons que le choléra sera déclaré non contagieux par les enquêteurs de 1834, car il est associé prioritairement à la misère et aux conditions de vie (voir George Vigarrello, Histoire des pratiques de santé, Paris, Le Seuil, 1999, p. 200).

 

 

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