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19 août 1832 - Numéro 43
 
 

 



 
 
    

Nous empruntons à un nouveau journal qui paraît à St-Etienne, et qui a pour titre le Vulcain, (5 août, [4.2]n° 10), l’article suivant qui nous paraît aussi bien pensé que bien écrit :

de l’égoïsme.

« L’égoïsme est la plaie la plus profonde du corps social, et il ne tend à rien moins qu’à le frapper de mort. La société est fondée sur un échange mutuel de devoirs et de bons offices. Le vrai citoyen doit vivre dans ses semblables autant que dans lui-même ; il doit préférer les intérêts de la patrie à ses propres intérêts, et puiser le mobile de ses actions dans la philantropie et le patriotisme. L’égoïsme étouffe ces nobles sentimens ; il isole l’homme dans lui-même ; il tend à étendre la prédominance absolue de moi. L’égoïste verrait avec indifférence périr tout ce qui l’environne, pourvu que son bien-être individuel n’en souffrît aucune atteinte ; enfin il se laisse diriger comme à son insu par cette horrible maxime : la famille, la société, l’état, c’est moi. Nous le demandons, de quel œil considère-t-on maintenant les diverses professions, les diverses carrières ? Se souvient-on seulement qu’elles ont toutes pour but l’intérêt général de la société ? Non sans doute. L’égoïsme les a rabaissées au niveau de l’intérêt personnel ; elles ne sont, à nos yeux, que les auxiliaires de l’ambition et de la cupidité, que des acheminemens vers le repos et l’oisiveté, que des devoirs pénibles auxquels nous gémissons d’être condamnés : l’appât du gain peut seul vaincre notre paresse et notre répugnance. Toute peine mérite salaire, nous le savons ; mais nous voudrions du moins que ce salaire ne fût pas l’unique but de nos efforts ; nous voudrions plus de désintéressement, plus d’humanité dans l’accomplissement du devoir social ; nous voudrions, en un mot, que l’amour des hommes eût plus de part à nos travaux que l’amour des richesses, que l’amour de nous-mêmes.

Oui, c’est à l’égoïsme qu’il faut imputer nos divisions et nos misères, mais c’est peut-être au vice de nos institutions sociales qu’il faut imputer l’égoïsme. L’esprit d’individualité doit être en conséquence de notre organisation sociale : aucun lien politique ne rattache les citoyens : chaque famille, chaque individu a des intérêts à part, où sont concentrés tous ses désirs, toutes ses affections ; jamais ses pensées ne remontent jusqu’à la patrie ; jamais ce qui l’entoure ne lui rappelle que nous sommes tous membres d’une même famille. Le patriotisme ne doit pas être une abstraction, il doit être une réalité ; il doit être mis chaque jour en pratique pour ne pas s’éteindre, pour ne pas finir par s’anéantir.

Et qu’a-t-on fait jusqu’à ce jour pour le rendre populaire, pour le réaliser aux yeux de la multitude ? rien. Jusqu’ici la patrie n’a été qu’un mot pour le peuple, il la cherchait et ne la trouvait pas. »

 

 

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