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19 août 1832 - Numéro 43
 
 

 



 
 
    
HYGIÈNE.1

Toutes les instructions officielles, populaires et autres sur les moyens à employer pour se préserver du choléra, nous recommandent les bains comme un moyen excellent2.

Il n?y a pas de doute que maintenir la peau propre et la débarrasser des résidus de la transpiration, est le meilleur moyen d?entretenir l?activité de la vie à l?extérieur du corps, et de prévenir toutes les concentrations sur les organes intérieurs.

Il est bien facile de dire à l?homme riche : Baignez-vous. Mais nous, nous voulons faire de l?hygiène à portée de toutes les fortunes.

Autrefois les Romains construisaient des bains publics pour les habitans dont ils avaient conquis les villes : aujourd?hui, grâce à l?incurie et aux dilapidations de nos gouvernemens, nous n?aurons bientôt pas de l?eau à boire. Si la sécheresse continue encore, la Saône ne sera qu?un ruisseau infect, et nos pompes seront taries.

A défaut de bains publics, l?ouvrier peut aller à la rivière ; mais sa journée se prolonge ordinairement si tard, que ce n?est guères que le dimanche qu?il peut jouir du bain. Lorsqu?il est déjà accablé de fatigues, il ne pourrait charier l?eau nécessaire, pour remplir une baignoire. D?ailleurs où prendrait-il cette eau ? et où prendrait-il la baignoire ?

Le vieux dicton Dieu donne de l?eau à tout le monde, est encore un reproche adressé à ceux qui négligent trop la propreté du corps, et la rareté de l?eau ne saurait excuser la saleté qui couvre la figure de tant d?enfans.

Voici le moyen que je propose pour remplacer le bain. Il faut prendre une grosse éponge ou un linge de coton qui retienne beaucoup d?eau, et se faire, pendant cinq minutes ou plus long-temps, des lavages sur tout le corps, depuis la tête jusqu?aux pieds : les répéter jusqu?à ce qu?on se sente bien rafraîchi. Il ne faut pour cela qu?un litre d?eau.

Ces lotions seront faites le matin ou le soir ; cependant l?ouvrier s?en trouvera mieux le soir, surtout s?il ne se couche pas de suite après le souper. Elles auront l?avantage [5.2]d?enlever la sueur du jour, de le rafraîchir, de le délasser et de lui procurer un sommeil plus calme.

Ceux qui auraient éprouvé quelquefois des douleurs de rhumatisme, devront, après les lotions, s?essuyer, se frotter fortement avec un linge rude et se coucher de suite.

Dans les jours plus froids, et lorsqu?on n?est pas encore habitué à ces lotions, on pourra faire tiédir l?eau ; mais au bout de trois ou quatre jours, et dans toutes les saisons, on les supportera à l?eau froide (non pas sortant du puits), et elles valent mieux.

Si le choléra ne vient pas nous visiter, et que nous n?ayons rien à faire pour nous en préserver, ce moyen sera toujours excellent pour entretenir la santé dans toutes les saisons, et surtout pendant les chaleurs.

Dans ce moment, beaucoup d?ouvriers boivent beaucoup d?eau de réglisse (tisane de polisson) et en donnent à leurs enfans : nous leur conseillons de la couper avec une infusion de graines de fenouil.

p. lortet.

Notes (HYGIÈNE.)
1 L?auteur de ce texte est Pierre Lortet d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Il faut signaler ici, dans toute cette période qui entoure 1830, l?essor de l?hygiénisme, essor qu?accentue encore la grande épidémie de choléra de 1832. C?est dès 1829 que les principaux hygiénistes, Louis-René Villermé, Alexandre Parent-Dûchatelet ou Louis Benoiston de Châteauneuf, alors que commencent à se multiplier les grandes enquêtes sur le monde du travail, ont créé les Annales d?hygiène publique et de médecine légale. Deux caps théoriques vont rapidement être franchis : d?une part l?usage systématique de la méthode numérique pour mesurer précisément l?influence sur la santé de telle ou telle population des conditions d?environnement spécifique ; d?autre part la mise en retrait des facteurs d?environnement naturel progressivement remplacés par les facteurs techniques et surtout sociaux (voir B. P. Lécuyer, « Médecins et observateurs sociaux : les Annales d?hygiène publique et de médecine légale (1820-1850) », in, Pour une histoire de la statistique, Paris, Economica, 1987, p. 445-475).

 

 

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