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29 juillet 1832 - Numéro 40
 
 

 



 
 
    
LYON. DEFENSE DE LA MERCURIALE.1

(Voir le dernier numéro et le Courrier de Lyon, du 25.)

Laissons de côté la circulaire de M. le ministre du commerce : loin de l’accepter comme la Charte du conseil des prud’hommes et de tous les corps industriels, nous lui refusons la moindre autorité, et nous sommes dans notre droit. Chacun sait que les circulaires, les instructions des ministres n’ont lieu que pour l’interprétation et l’exécution de la loi. Ainsi par elle-même, une circulaire n’a aucun pouvoir ; c’est un document, et rien de plus. Nous savons que ces paroles sont mal-sonnantes, et pour cause, aux oreilles de MM. du Courrier, mais nous n’avons pas entrepris de leur plaire.

Une faction appela Condorcet, le mouton enragé2 : n’y aurait-il pas une expression équivalente dont on pourrait apostropher le Courrier de Lyon ? Il est furieux de modération, sous une apparence calme, il attise les brandons de la discorde. Il n’a lui, rien oublié, ni rien appris, et s’il rappelle les funestes journées de novembre, c’est pour en exploiter le souvenir dans l’intérêt de ses passions haineuses, et non pour en tirer une utile leçon. Oh ! que dis-je, on croirait qu’il demande une revanche. Notre fabrique, dit-il, se trouve dans une position exactement semblable à celle d’octobre. Heureusement nous sommes à l’abri des événemens de novembre.

Nous avons dit que tarif et mercuriale étaient tout un à nos yeux, et il en conclut que puisque le gouvernement a cassé le tarif après de grands désastres, il ne doit pas attendre le retour de semblables malheurs pour [1.2]prendre une décision éclatante, c’est-à-dire qu’il doit casser la mercuriale, et pourquoi ? parce que les ouvriers l’acceptent, comme ils avaient accepté le tarif, parce que les ouvriers l’ont pris au sérieux, et sans doute aussi le préfet qui en a rappelé le souvenir dans son discours d’installation des prud’hommes, et ces derniers qui s’y sont appliqués avec zèle : pourquoi ? parce que huit chefs d’ateliers vigilans, faibles par leur nombre, mais forts par le mandat qu’ils ont reçu de vingt mille collègues, sauront y tenir la main, l’empêcher de tomber en désuétude, comme on aurait voulu qu’il fût arrivé à l’ancien tarif. C’est bien là votre pensée, hommes du Courrier, habemus confitentes reos, « comme dans l’automne dernier on s’est dit, c’est vous qui parlez ! les ouvriers réclament une chose qui, pour leurs intérêts, est une chimère, donnons-la-leur pour les satisfaire. La mesure tombera plus tard en désuétude. » Qui donc a tenu ce langage machiavélique ? Qu’il se montre, s’il l’ose, et nous l’attacherons au poteau de l’infamie ; nous le clouerons sur le pilori de l’opinion publique. Désabusez-vous, Messieurs, le temps de tromper le peuple n’est plus. Il y a long-temps qu’il a demandé la robe virile aux maîtres de sa longue enfance. Le peuple a obtenu ce qu’il a demandé, ce qui lui fut promis, ce qu’on ne pouvait lui dénier sans injustice, ce qu’on ne pourrait lui ravir sans danger. La mercuriale ne tombera pas en désuétude, malgré votre mauvais vouloir. Mais qu’a donc cette mercuriale qui vous offusque, et avons-nous eu réellement tort de la comparer à un tarif ?

Elle a pour but, dit le préambule,

 D’établir pour le conseil un tableau de renseignemens propres à baser ses jugement lorsque le défaut de convention l’oblige à fixer un salaire ;

2° De le mettre à même d’apprécier si le salaire alloué est proportionné au travail et s’il n’y a pas lésion.

Car on ne saurait admettre un accord qui placerait l’ouvrier dans l’impossibilité de gagner sa vie ; et ce doit être un devoir pour les prud’hommes d’empêcher que le besoin ne fasse accepter de l’ouvrage à un prix trop bas.

[2.1]Le tarif certes, n’avait pas d’autre but. Il est donc vrai de dire que nous sommes entrés dans les vues du conseil, en soutenant qu’il n’y avait pas convention dans le sens de la loi, entre un négociant riche, ou même aisé, et un ouvrier nécessiteux, parce que il n’y avait pas liberté morale complète. Suis-je libre, lorsque je souscris un engagement envers cet homme qui me met un pistolet sous la gorge ? Non, ce pistolet est un argument auquel je ne peux pas résister. La faim est bien aussi un argument de même espèce. C’est pourquoi nous avons demandé l’intervention d’une autorité tutélaire. Le Courrier se garde bien de répondre à ce que nous avons dit sur la question de savoir s’il y avait réellement toujours convention légale entre le fabricant et l’ouvrier. Il a passé sous silence tout le paragraphe. Ce n’est pas par ignorance de la loi, ce n’est pas par oubli de la charte que les ouvriers ont demandé, soit un tarif, soit une mercuriale ; mais la loi, la charte n’ont que faire dans ce débat entre la richesse et la misère ; le prix de la façon de l’ouvrier doit être invariablement taxé au minimum comme le prix du pain, de la viande le sont au maximum, et en vertu de la même loi, la nécessité.

Le marchand ne fut originairement qu’un courtier ; il est parvenu à se substituer à l’ouvrier et à vivre du fruit du travail de ce dernier : qu’il garde cette position qui a reçu la sanction du temps, mais qu’il n’oublie pas qu’il doit tout à l’ouvrier, et qu’à l’avenir, dans ses calculs, il pose la main-d’œuvre immédiatement après l’achat de la matière première. Il restreindra son bénéfice comme il l’entendra, et s’il ne reçoit pas de commandes il s’abstiendra. Il vaut cent fois mieux que l’ouvrier ne fasse rien que s’il meurt de faim en travaillant.

Nous aurions beaucoup à dire si nous voulions relever le dévergondage de ce monomane Courrier. Ainsi vous préfet que deux départemens regrettent, vous prud’hommes, prenez ceci en considération, car le maître l’a dit et vous l’adresse : « Quand on remplit des fonctions publiques il ne suffit pas de connaître les lois, il y a quelque chose de plus important peut-être, c’est de connaître les hommes.

Quant au patronage de l’Echo, il est honorable, nous l’avouons. Depuis quand une influence fondée sur une communauté d’intérêt, serait-elle illicite ? Permis au Courrier de se glorifier de l’influence à laquelle il obéit, des opinions qu’il représente ou qu’il croit représenter. Pour nous, nous ne le ferons pas ; mais qu’il n’essaye pas, agent provocateur, de nous entraîner sur un terrain qui n’est pas le nôtre, nous ne sommes pas de ceux que l’exaltation subjugue.

Notes (LYON. DEFENSE DE LA MERCURIALE. )
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 C’est Turgot qui le premier, dans une lettre adressée à Condorcet en mai 1774 qualifia Condorcet de « mouton enragé » (C. Henry (éd.), Correspondance inédite de Turgot et de Condorcet, 1883, Slatkine reprints, 1970, p. 175-176). Ce qualificatif va définitivement lui être imposé (avec celui de "Volcan couvert de neige" qui veut dire la même chose) lors de la Guerre des Farines au printemps 1775, où Condorcet va multiplier les pamphlets contre Necker, sans en aviser Turgot. Il vient en fait nuancer celui du "bon Condorcet" que lui avait auparavant donné Julie de Lespinasse.

 

 

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