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20 novembre 1831 - Numéro 4
 

 




 
 
     
AVIS.

[1.1]Nous prévenons nos Abonnés, ainsi que toutes les personnes qui auraient quelques indications à nous donner, que le Bureau du Journal de l'Echo de la Fabrique, sera, à dater du mardi 22 novembre, sur la place de la Boucherie des Terreaux, à l'angle de la rue Lanterne, au 2e étage.

LYON. REVUE DES JOURNAUX1.

Nous n'avions pu, jusqu'à ce jour, donner un aperçu du compte que les divers journaux de Lyon et de Paris ont rendu des événemens dont nos lecteurs ont été les témoins. Peu de feuilles ont dit vrai. Les unes ont été induites en erreur par des correspondans officieux, hommes de la peur, qui voient toujours les masses prêtes à tout saccager, et la société prête à se dissoudre. Les autres ont été trompées par des intéressés qui, profitant de ce que quelques écrivains recommandables ne pouvaient juger les faits avec connaissance de cause, ont écrit sous leur influence et montré les événemens sous un point de vue faux. De là, il en est résulté les alarmes de la capitale pour la seconde ville du royaume ; de là, l'erreur où sont tombés presque tous les journaux.

Nous allons, dans une analyse rapide, prouver jusqu'à [1.2]quel point la peur ou la mauvaise foi peuvent grossir les objets et dénaturer les faits.

Le Journal du Commerce2 de Lyon parla le premier des rassemblemens d'ouvriers ; mal informé, son article n'était pas en leur faveur ; mais, le lendemain, il rendit justice à qui de droit, et depuis il n'a point dévié un seul jour de cette route.

Le Précurseur prit une autre marche ; son premier article s'apitoyait sur les misères de la classe industrielle ; il en appelait aux négocians pour faire cesser cet état de choses ; mais changeant tout-à-coup de langage, il déversa le blâme sur ceux dont il avait pris un moment la défense, et, dans une série d'articles, dont l'épigraphe aurait pu être : Point de tarif, il rabâcha sur la concurrence étrangère, voulut tout prouver et ne prouva rien. Il montra le commerce comme anéanti par un tarif. Dans ses pensées sombres, il voyait se renouveler les scènes des barricades ; cela n'arriva point, et ses pourvoyeurs d'articles en furent pour leurs frais de logique. L'autorité ne fit aucun cas de ses déclamations futiles, il se tourna donc contre l'autorité. Dès-lors, il n'épargna point le mensonge et les insinuations malveillantes ; il alla jusqu'aux menaces contre l'autorité et le conseil des prud'hommes. Son gérant, homme estimable, était à son lit de mort et ne pouvait rien contre les mauvaises intentions. Cette feuille, ainsi livrée au caprice des intéressés, accepta toutes les rêveries de la peur et de la méchanceté, et ses colonnes furent ouvertes à toutes les sottises des amis obligeans.

Nous nous attendions à être attaqués à notre tour, cela ne manqua point ; le Précurseur nous accusa de [2.1]mensonge et de provoquer à la haine contre les négocians. La commission des maîtres-ouvriers le releva de cette allégation fausse, et il convint lui-même qu'une révision du tarif avait été arrêtée. La seconde accusation, nous la méprisâmes ; jeunes et appartenant à la France nouvelle, nous saurions briser notre plume, plutôt que de la souiller par la calomnie ou des insinuations perfides ; toujours les mêmes, suivant avec une religieuse fidélité la carrière ouverte devant nous, nous aurons la douce consolation, à défaut de l'approbation du riche, que l'artisan dira : Que nous n'avons pas fait un trafic de nos consciences.

Cette feuille, qui jouit d'une réputation qui nous paraît assez fragile, dut influencer beaucoup sur les journaux de Paris ; aussi, les voyons-nous tous en alarmes, tandis que nous étions dans la sécurité la plus parfaite.

Le Journal des Débats, copiant le Précurseur du 5 novembre, montre les ouvriers comme n'étant point satisfaits d'un tarif, et voulant autre chose ; il répète les mots d’auteurs de désordre, d’audace chez les instigateurs, de menaces proférées, de punition exemplaire pour les mauvais sujets, etc. Voilà, sans doute, des choses bien surprenantes pour nous, qui avons été spectateurs de ce qu'on appelle menaces et désordres ; il faut donc que nous soyons doués d'un stoïcisme à toute épreuve, pour n'avoir pas été ébranlés. Mais nous croyons que les pourvoyeurs d'articles pensent comme nous, que les prétendues émeutes provoquées par eux, et ces drames joués dans les rues par eux encore, tels que celui de la soirée du vendredi 4 novembre, sont de mauvaises farces dignes de la plume de Scarron.

Le Journal la Révolution3 parle dans un autre sens. Mieux informé, il donne quelques détails de la journée du 25 ; et, ne montrant point les ouvriers tisseurs comme des artisans de discorde, il fait l'éloge de leur modération et du calme qu'ils ont montré : dans cette journée, y est-il dit, des cris de joie sont partis de la foule qui s'est retirée en bon ordre, drapeau déployé et en se félicitant d'un succès qui garantit, du moins, des moyens d'existence à notre admirable population industrielle.

Le Courrier-Français4 parle encore d'après le Précurseur ; mais, mieux instruit par un correspondant sincère, il dit que rien n'a moins l'air d'une émeute que les rassemblemens des ouvriers tisseurs de Lyon. En effet, quel est le Lyonnais de bonne foi qui voudrait donner le nom d'émeute à ces rassemblemens, où des ouvriers paisibles discutaient sur des intérêts industriels ? Les émeutes, s'il en existait, étaient sur les portes de certains cafés ; c'est là qu'on parlait d'employer des mesures violentes ; c'est là qu'on parlait d'employer la force contre des hommes paisibles et désarmés.

Le Temps5, dans un article que le Précurseur a mutilé, met en parallèle les ouvriers des mines avec ceux de la fabrique d'étoffes de soie : au moins, dit-il, si les premiers font un travail préjudiciable à leur santé, ils gagnent de quoi élever leurs familles ; tandis que les ouvriers tisseurs de Lyon, en travaillant jour et nuit, sont accablés par la misère.

Le Constitutionnel6 ne fait que transcrire les articles du Précurseur , et nous avons assez dit combien cette feuille était peu digne de foi. Nous nous résumons : on a parlé de la mise en armes de la presque totalité de la garde nationale, et nous n'avons vu que quelques faibles piquets qui laissaient circuler une population inoffensive. On a parlé d'émeutes, et nous n'avons vu que des citoyens paisibles demandant le prix d'un travail dont la rapacité le savait trop long-temps frustrés. Mais nous savons que quelques négocians se sont portés à des insultes et à des [2.2]menaces, que, tel dont le sang bouillonnait dans ses veines, leur en aurait demandé raison d'homme à homme ou, si l’on aime mieux, de puissance à puissance, s'il n'eût craint d'attirer sur lui l'épithète d'agitateur.

Nous savons, aussi, que les vexations de toute espèce, l’ironie et le mépris, ont accueilli les maîtres-ouvriers qui vont demander de l'ouvrage, pour les porter à des scènes de désordre, afin de les accabler davantage ; cela n'a point réussi : les ouvriers ont montré et montrent encore une patience qui tient, peut-être, de l'héroïsme, et la patrie leur sait gré de tant de sacrifices.

L'ARISTOCRATIE DU COMPTOIR.

Une noblesse féodale pesait sur la France ; lâche et oppressive, elle ne se soutenait que par le pouvoir qu'elle avait envahi et par la faiblesse des monarques. Une révolution vint et brisa ce pouvoir comme du verre. Les membres de cette aristocratie se dispersèrent comme des feuilles emportées par un vent impétueux. Ils revinrent après avoir avoir mendié pendant vingt-cinq ans l'aumône des baïonnettes étrangères. Ils revinrent, comme le disait à l'époque le plus grand génie du siècle, sans avoir rien oublié ni rien appris. Cette aristocratie trouva une rivale ; c'était la fortune assise au comptoir. Les hommes qui composaient cette nouvelle caste ne parlaient que du peuple et pour le peuple ; du pays et pour le pays. Si l'orgueil et le dédain, la sottise et l'insolence étaient les attributs des hommes à tourelles et à parchemins ; oh ! qu'ils étaient humbles les hommes du comptoir ! c'était alors le bon temps pour la classe industrielle ; alors, l'artisan n'était point dédaigné ; on ne lui reprochait point les besoins factices qu'il se crée dans une grande ville. On lui disait que l'égalité était un don de Dieu ! qu'il devait jouir des délices de cette vie ; que ces délices étaient l'apanage de tous les hommes et non d'une caste privilégiée.

Ah ! que l'homme du comptoir était accessible ! il parlait au simple ouvrier comme d'égal à égal ; alors il ne se croyait point une puissance… il lisait à l'humble artisan les discours populaires des Jars et des Dupin1 ; il lui faisait remarquer les traits d'éloquence de ses coryphées ; alors le financier comme les orateurs, ne pensaient pas qu'un jour… le désir ne manquait pas… mais l'espoir ?... il se réalisa.

L'aristocratie féodale était tombée en décrépitude ; juillet la dispersa de nouveau sans espoir de retour ; et de ces journées immortelles surgit une autre caste qui chassa devant elle les descendans grotesques des Dunois et des Duguesclin, des Byron et des Montmorency. Le peuple crut gagner à ce changement ; il était chaque jour en contact avec les hommes qui composaient la nouvelle aristocratie, et qui, sortis de son sein, devaient se rappeler leur origine, et partant avoir des égards pour leurs semblables. Le peuple se trompa. Le financier et le commerçant, arrivés au pouvoir, ne se souvinrent plus de ces hommes laborieux qui les avaient élevés sur le pavois ; ils dirent : C'est nous qui avons fait juillet et nous l'avons fait pour nous ; le peuple ne doit point profiter de ses bienfaits ; né pour ramper, pourquoi ne ramperait-il pas sous notre domination ? Ouvriers, voulez-vous manger un morceau de pain ? travaillez nuit et jour ; heureux encore que nous vous prêtions notre assistance…

Voilà quel est, depuis leur élévation aux grandeurs, le langage des hommes du comptoir, des hommes autrefois si philanthropes et si populaires ; ils semblent vouloir [3.1]faire regretter le bon temps du servage ; mais l'ouvrier aujourd'hui n'est point le serf de Charles VII ; être pensant, il connaît ses droits ; et s'il gémit accablé de misère, la tête haute, il semble dire aux égoïstes qui l'ont trompé : Regardez-moi ! je suis un homme comme vous, plus un meilleur cœur ; et vous avez beau faire, vous ne détruirez pas le règne de l'égalité.

On parle sans cesse de la philantropie de nos hommes civilisés1 : sans doute, des noms honorables se sont associés à des œuvres d'humanité, et dans les comités philantropiques, les Lafayette2, les Choiseul3, les Odilon-Barrot4, les Cadet de Gassicourt5et les Laffitte6, n'ont pas peu contribué à secourir de grandes infortunes ; dans notre ville même, nous pourrions en citer un grand nombre si nous ne craignions pas de blesser leur modestie. Mais qu'elle est loin d'être réelle l'humanité de nos commerçans ! ils souscrivent, il est vrai, quelquefois pour des œuvres de bienfaisance, mais il faut qu'ils soient assurés de la publicité. Qu'un malheureux, un pauvre enfin, se garde bien de les importuner dans leur intérieur : il est reçu froidement, on le questionne sur son état, sur sa famille, sur la cause de sa misère, et après l’avoir forcé de s'humilier par un récit déchirant, on sort la bourse, on cherche pendant dix minutes la pièce destinée à l'aumône et on lui dit froidement : Prenez, voilà vingt sous… Le pauvre sort ; il court acheter quelques livres de pain, qui sont aussitôt dévorées par sa famille ; un moment après il se voit aussi malheureux, de plus il a été humilié.

Hors de leur intérieur, qu'un malheureux, forcé par la misère à mendier, se présente à eux dans ces lieux où ils vont satisfaire ces besoins factices que l'homme se crée ; on le laisse debout, le chapeau bas et la main tendue, sans daigner le regarder ; persiste-t-il, ces messieurs, interrompus dans une partie de boston, lui disent avec humeur : On ne peut pas… laissez-nous tranquilles… Voilà l'humanité de nos hommes civilisés…

Tandis qu'au sein de la nation la plus douce, la plus humaine, on traite ainsi le pauvre, un barbare, un homme qu'on a montré comme un buveur de sang, aussi sauvage que le lion habitant des déserts sur lesquels il régnait, vient de détromper ceux qui ne font de l'humanité qu'une vaine parade. Hussein Pacha7 a adressé la lettre suivante à Mme la baronne de Malus : elle n'a pas besoin de commentaire ; nous prions seulement nos philantropes civilisés de la méditer attentivement.

« Le dey d'Alger a pris connaissance de la lettre aussi noble que touchante, que madame la baronne de Malus vient de lui faire parvenir, en sollicitant pour ses pauvres, trop nombreux, sans doute, ce que sa position présente, et non le vœu de son cœur bien plus étendu que ses facultés pécuniaires, lui permettrait de consacrer à une œuvre agréable à Dieu. — Sa propre religion, qui lui impose également le devoir de l'aumône, est entièrement d'accord, en ce point et en beaucoup d'autres, avec celle qui est professée dans cette France qui est hospitalière, qu'il regrette d'avoir connue si tard.

Mme la baronne de Malus ne recevra, cette première fois, qu'une bien faible somme (40 fr.), mais s'il plaît à Dieu, que Hussein Pacha prolonge son séjour à Paris, et que la Providence divine, en lui assurant, ainsi qu'à sa nombreuse famille, d'honorables moyens d'existence, daigne lui accorder les consolations que lui ont, sans doute, mérité de grandes épreuves ; certes, Hussein Pacha n’oubliera point les véritables pauvres du premier [3.2]arrondissement, ni leur respectable protectrice : il la prie d'agréer l'expression de ses sentimens et de ses voeux. »

Notre dernier numéro était sous presse, lorsque nous avons appris la mort du sieur Clair, garçon de peine de la maison Micol et Ce, et les circonstances qui ont donné lieu à sa fin prématurée. Ce n'est point comme on l'a dit, par la perte de sa place et la crainte de la misère, que le sieur Clair a succombé ; sa mort est la suite d'une terreur panique, que lui causa une scène dont il fut le témoin, et qui, à ce qu'il a dit à son lit de mort, lui fut causée par des préparatifs de défense qui eurent lieu dans la maison Micol, le jour où ayant éludé le tarif par une infraction frauduleuse, quelques ouvriers se portèrent vers ce domicile, pour obtenir le redressement d'un grief fait à un de leurs camarades ; ce qu'il y a de plus douloureux, c'est la double perte que vient de faire cette famille : la sœur du sieur Clair, frappée de la maladie de son frère et de l'arrestation arbitraire de son neveu, n'eut point assez de force pour supporter cette double épreuve, et deuxième victime ; le même jour, elle rejoignit son frère dans cette demeure céleste, où l'on est à l'abri de la haine et de l'égoïsme des grands. Les ouvriers en soie, voulant rendre les derniers devoirs à cette famille inconsolable, se réunirent au nombre de 7 à 800, pour accompagner à leur dernière demeure, deux êtres dont le malheur avait été d'être trop sensibles. Le double convoi traversa une partie de la ville pour se rendre au cimetière de Loyasse, faisant partager sur son passage, le saint recueillement dont il était pénétré ; arrivé à ce lieu de repos, où règne la vraie égalité, où la cendre du pauvre est confondue à celle du riche, des larmes arrosèrent cette terre qui allait couvrir les restes de ces malheureuses victimes, et les ouvriers se séparèrent pour regagner paisiblement le toît domestique, déplorant les causes qui avaient porté la désolation dans une famille digne d'un meilleur sort.

Pour nous qui sommes pénétrés de ces malheurs, nous demanderons à ceux qui en sont la cause, s'il sont bien en paix avec leur conscience ? et si leur ame n'est point déchirée par les remords ? s'il en est autrement, il ne nous restera plus qu'à regretter d'être nés dans un siècle témoin de tant de perversité.

A Monsieur le Rédacteur de l’Echo de la Fabrique

Monsieur,

L'apparition de votre excellent journal a déjà commencé le bien qu'il se propose de faire ; les ouvriers en soie en sentent toute l'importance, attendu qu'il peut les mettre à même de connaître et de juger les ennemis qu'ils ont à redouter (j'entends parler de ceux qui leur font subir cette longue agonie, après laquelle ils vont mourir aux quatre rangs, s'ils en ont encore la force). Si vous vous le jugez à propos, veuillez insérer la présente dans votre prochain Numéro.

Le 25 octobre, jour à jamais mémorable pour les ouvriers de notre grande cité, fut celui où ils surent, dans leurs pressans besoins, rallier leurs corps et leurs intérêts, et cette union qui fait la force arracha à l'aristocratie lyonnaise ce tarif tant redouté par MM. les négocians ; il semblait que ce jour était pour eux l'aurore d'une éternelle félicité ; qu'il allait réunir en un seul [4.1]corps tous les membres épars de cette grande famille, on l'espérait ainsi ; cette fraternité qui leur fit user de la victoire avec tant de modération, faisait espérer que cette dégoûtante misère qui, depuis long-temps, accompagnait l'ouvrier, serait bannie à jamais.

Mais malheureusement la faiblesse, les perfides insinuations et la crainte de manquer de pain ont ralenti cet élan et presque rompu le lien qui les unissait dans la grande journée ; déjà un grand nombre d'ouvriers, attérés par les menaces habituelles des négocians, ou traîtres à leurs intérêts, reçoivent de l'ouvrage à des prix inférieurs à ceux du tarif ; je peux citer des ouvriers qui, allant dans leurs magasins, reçurent des pièces sans difficulté, et, contre l'ordinaire, elles leur furent délivrées avec bonté et affabilité ; mais se souvenant que depuis le jour du triomphe il existait un tarif, ils osèrent, d'un air humilié, demander s'ils seraient payés d'après la taxe ; alors ces figures où se peignait l'aménité se changèrent tout-à-coup ; l'œil couroucé, et après avoir articulé quelques monosyllabes inintelligibles, les négocians répondirent froidement : Le tarif n'est pas pour les honnêtes gens, il n'est que pour la canaille ; si vous voulez de l'ouvrage, n’en parlez pas. D'autres ouvriers, désertant la cause commune, vont dire confidentiellement à leurs négocians : Si vous voulez me donner de l'ouvrage, nous ne parlerons pas du tarif ; j’ai bien vécu jusqu'à présent, je vivrai bien encore ; en un mot, les gaucheries les plus absurdes se font entendre dans les cages des magasins.

On se demandera : Quelle est donc la cause d'une dégradation si avilissante ; et pourquoi cette classe d'hommes, si utile à la société, a-t-elle perdu l'attitude qui caractérise l'homme de cœur ; la raison en est toute simple ; depuis de nombreuses années, cette partie industrielle de notre population, accablée sous le poids de l'horrible misère, ne mangeant du pain que pendant les deux tiers de sa vie, écrasée par de cuisans chagrins à la vue de ses enfans tourmentés par la faim, et quelquefois par l'aspect d'une épouse au lit de mort, que les travaux pénibles et les longues veilles ont forcée à succomber ; d'autres non moins malheureux, mais paraissant moins à plaindre, ont eu constamment de l'ouvrage, mais à des prix si modiques que, pour parer à cette insuffisance, sur vingt-quatre heures que dure le jour, ils en livrent à peine quatre au repos. J'ajouterai, aux vexations sans nombre auxquelles ils sont en butte de la part d'un grand nombre de négocians, celles de pres­que tous les commis de magasin, qui ne rougissent pas d'insulter à la misère d'un malheureux père de famille qui, d'une main tremblante, ouvre la porte volente d'un magasin, entre au parloir ; là, attend quelquefois quatre heures, pendant que MM. les commis fredonnent des airs d'opéras d'une banque à l'autre, sans faire aucune interpellation au malheureux patient, qui n'a pas même laissé échapper un soupir. Enfin, le chef paraît, la grille se lève : Que voulez-vous ? de l’ouvrage ? il n'y en a pas pour le moment, et la grille retombe… L'affligé, toujours chapeau bas, fait lentement un demi-tour, et dès qu'il a franchi le seuil de cet obscur tribunal, il donne un libre cours aux larmes qu'il ne pouvait plus contenir. Je ne finirais pas s'il fallait énumérer toutes les turpitudes de ces messieurs, qui ne voient dans les ouvriers que des êtres bien inférieurs à eux, des esclaves qui ne doivent être soumis qu'à leurs caprices, ou des valets qui reçoivent assez d'honneur en leur servant de marche-pied pour monter à la fortune. (Naguère, un négociant étant de piquet à l'Hôtel-de-Ville, dit : Il est horrible de voir des valets se révolter contre leurs maîtres.)

Toutes ces causes ne peuvent qu'affaiblir le physique [4.2]et le moral de l'ouvrier, faiblesse qui le place au-dessous de lui-même, et le rend insensible au point d'honneur et aux souffrances ; mais le temps n'est peut-être pas bien éloigné où il faudra que le riche convienne que le pauvre est composé d'une essence aussi pure que la sienne, que tous les hommes sont des hommes, et que les lois divines et humaines ne se violent pas impunément. Le temps est proche où le négociant et l'ouvrier sauront qu'il existe un pacte qui les unit étroitement, qu'ils ne peuvent se passer l'un de l'autre ; ils sauront enfin que si le négociant est utile à l'existence de l'ouvrier, celui-ci est nécessaire à la fortune de l'autre ; et de là s'en suivra les considérations et les ménagemens que les hommes se doivent réciproquement.

Mais, pour arriver à cet heureux temps, il faut que les ouvriers abjurent toutes leurs craintes et leurs faiblesses, qu'ils s'unissent de bonne foi, quoique le Précurseur ait embouché la trompette d'alarme, qu'il ait prédit des malheurs semblables à ceux dont nous menace saint Jean dans son Apocalypse, si l'on persiste à exiger le maintien du tarif ; qu'il ne s'en étonne pas, l'association sera générale, et surtout elle veillera à ce qu'aucun de ses membres ne viole la foi jurée par rapport aux prix des façons.

Vous avez promis, Monsieur le Rédacteur, d'être impartial et véridique ; le public attend de vous que vous ne craindrez pas de mettre au grand jour les sottises de nos oppresseurs, surtout en désignant personnellement les hommes dont les actes seront répréhensibles, afin que chacun fuie la porte marquée du sceau de l'ignominie, et la reconnaissance des Lyonnais récompensera votre philantropie.

Recevez, etc.

J. J.

AU MÊME.

Croix-Rousse, le 16 novembre 1831.

Monsieur,

Les colonnes de votre journal étant ouvertes à toutes les réclamations, nous vous prions de donner de la publicité à la note suivante dans votre prochain numéro.

Hier, 15 novembre, deux chefs d'ateliers étaient dans la cage des ouvriers de MM. Olivier frères, négocians, place de la Croix-Paquet, maison Ricard ; il était sept heures du soir, lorsqu'entra un troisième maître nommé Philis, qui rendit compte au commis qui était à la banque d'un accident involontaire qui lui était arrivé, lui disant naïvement que pendant qu'il était absent de chez lui, on avait donné au repiqueur de dessins un patron l'un pour l'autre du nombre de 900 cartons, qu'il venait leur faire des excuses et leur demander des instructions pour réparer cette erreur. Le commis fut de suite en avertir ses chefs, dont l'un d'eux, Frédéric Olivier, arrivant furieux, sautant et gesticulant comme un homme qui a perdu la raison, lui dit : vous l'avez fait exprès, c'est une attaque que vous me faites, je vois qu'il faudra se battre, et tirant un pistolet d'une des poches de son habit, le jette sur le bureau de son commis, revenant subito le reprendre ; et en sortant encore un de sa poche avec l'autre main, les déposa brusquement sur la banque, le bout des pistolets dirigé contre les maîtres qui étaient dans la cage, continuant ses vociférations et disant : vous avez fait un tarif, je m'en f…, il n'est bon qu'à m'en torcher le c… ; reprenant ensuite ses pistolets, il dit du ton le plus furibond : ils sont chargés, il ne tient qu'à moi de m'en servir, et [5.1]les mettant en joue et leur montrant la détente, il répéta : il ne tient qu'à moi d'appuyer là-dessus, etc. !!!…

Voyant à la fin que ces maîtres n'étaient point intimidés d'une pareille conduite toute répréhensible qu'elle est, remettant ses pistolets dans ses poches, il s'enfuit en disant : Que l'on vienne chercher de l'argent, voilà celui que je donnerai (ses pistolets chargés).

Nous avons cru de notre devoir et dans l'intérêt général de nos concitoyens, de vous signaler une pareille conduite, et nous espérons que vous voudrez bien l'insérer dans votre plus prochain numéro.

Agréez, monsieur, l'assurance de notre considération.

mollard, bouillier, philis.

On lit dans le National1 l'article suivant :

« Quand les manufactures anglaises commencent à souffrir de la suspension des commandes, ce sont les fabricans d'articles de modes qui ressentent les premiers effets de la stagnation des affaires. Les ouvriers en ce genre sont nombreux à Coventry2et dans le voisinage. Nous voyons que les maîtres cherchent à baisser les salaires, et que les ouvriers prennent avantage de l'effervescence des esprits pour s'opposer à ces réductions. Les craintes qu'on fait naître le bill de réforme3, et les conséquences de son rejet, ont d'abord produit une suspension dans les commandes. Le choléra est venu accroître le mal. Dans les années précédentes, les ouvriers anglais ont supporté avec patience le manque de travail et la détresse qui viennent les frapper périodiquement, et il n'a éclaté parmi eux du tumulte et des séditions, que lorsque la famine est devenue extrême. Aujourd'hui, on ne peut attendre d'eux une semblable patience : la fermentation politique les a gagnés, et dans le refus que l'aristocratie a fait de toute réforme, ils ont un drapeau qu'ils ne peuvent manquer d'arborer.

Le choléra-morbus exercera sans doute de grands ravages dans les villes manufacturières, dont les populations ont un genre de vie insalubre, et sont accoutumées à une alimentation pernicieuse, circonstances qui ont été toujours funestes, sans l'influence de ce dernier fléau. Bien qu'on ne puisse prévoir les conséquences qu'amènera cette combinaison d'une épidémie physique et morale, l'avenir est alarmant : car ces deux causes peuvent agir d'une manière telle, qu'elles trompent les espérances et déjouent les mesures les plus sages du gouvernement.

En présence de ce double danger, l'espoir du pays, et l’on peut dire de l'administration, repose tout entier dans ces associations, ou unions politiques, qui se sont formées sur toute l'Angleterre ; et le ministère, quelques craintes qu'elles puissent lui inspirer, a été au moins assez sage pour n'en rien témoigner. Les journaux ministériels s'abstiennent d'user à leur égard d'un langage de blâme ou de défiance, et les considèrent sous le même point de vue que les journaux qu'on regarde comme les organes de l'opinion publique. A Londres seulement, les unions politiques ont amené des dissentions, et il faut attribuer ce résultat à cette fatale séparation de classes en riches et pauvres, artisans et gentlemen, séparation qui est surtout marquée dans une capitale. Elle existe aussi, quoiqu'à un moindre degré, dans les comtés ; mais, dans les grandes villes manufacturières, le lien est fort entre le maître et l'ouvrier ; le riche et le pauvre se connaissent, ce qui suffit pour produire des égards mutuels. Il y a d'ailleurs des rapports de dépendance réciproque entre eux, et c'est pour cela que nous ne [5.2]voyons pas à Birmingham et dans le nord cette jalousie entre l'artisan et son riche voisin, qui a divisé en deux camps l’union politique de Londres.

Dans les campagnes d'Angleterre, la formation d’unions politiques rencontrerait les mêmes obstacles et aurait les mêmes dangers que dans la capitale. Là, le paysan et le propriétaire ne pourraient s'entendre un seul instant. »

- On nous écrit de Châlons-sur-Saône, 10 novembre.
Samedi dernier a eu lieu l'ouverture solennelle de l'école gratuite d'enseignement mutuel, fondée par cette ville, en remplacement des frères de la doctrine chrétienne.

- La jeunesse d'Upsal a célébré une grande fête mortuaire en l'honneur des Polonais4 ; les professeurs et le commandant de la province y ont assisté.

DE LA CONCURRENCE.

On parle toujours de la concurrence ; qu'elle ruine le commerce ; je l'ai long-temps cru ; enfin, mes yeux se sont dessillés ; voici un fait :

J'avais dernièrement une commission de cent pièces de taffetas à placer ; je fus chez un négociant avec lequel je fais souvent des affaires, et traitant d'une partie de ma commission, il me livra vingt pièces au prix de 6 fr. 25 c. l'aune. Je vis d'autres maisons. Le lendemain, divers négocians sachant que j'achetais, vinrent m'offrir le même article à 6 fr. ; j'achetais à deux maisons quarante pièces. Le même jour, vinrent encore deux négocians qui m'offrirent de me livrer l'article à 5 fr. 75 c., et j'achetais vingt pièces à l'un ; l'autre voyant que je ne lui commettais rien, revint une heure après m'offrir de me livrer de suite à 5 fr. 55 c. ; je complétais ainsi ma commission, et je ne pus m'empêcher de lui dire : Coquin que vous êtes ! comment faites-vous pour me livrer à ce prix une étoffe dont le courant est de 6 fr. à 6 fr. 25 c. Ah ! Monsieur, me répondit-il, pour commencer des affaires avec vous, nous ne faisons aucun bénéfice, et d'ailleurs nous avons plus de talent pour l'achat des matières que M. P***, et ce qui fait encore que nous pouvons vendre à ce prix, c'est que nous rattrappons sur la main-d'œuvre.

Ainsi, ce n'est pas la concurrence étrangère qui tue la fabrique d'étoffes de soie ; mais c'est cette concurrence scandaleuse que je viens de signaler.

Un commissionnaire.

RÉCLAMATIONS.

De nombreuses réclamations sont faites tous les jours à Messieurs les délégués des ouvriers qui ont assisté conjointement avec les délégués des négocians, à la séance de la préfecture, sur l'époque où doit commencer l'exécution du tarif. Nous pouvons affirmer, sans crainte d'être démentis, que c'est sur la demande de Messieurs les négocians que l'exécution du tarif au premier novembre a été convenue ainsi que nous l'avons dit dans notre 1er numéro, c'est-à-dire, qu'il ne serait pas applicable aux pièces, coupes, écharpes, mouchoirs, schals, fichus, etc., qui, commencés avant le premier novembre, se rendront après ; mais bien qu'il sera exécutoire pour toutes les pièces, coupes, [6.1]echarpes, mouchoirs, etc. qui commenceront après le premier novembre ; nous pourrions même ajouter qu'un négociant avait demandé que le tarif eût son exécution sans égard aux coupes commencées, et que chaque négociant eût à poser une marque à sa coupe, et payer au tarif tout ce qui serait fait après. Ce ne fut que sur la demande des ouvriers que cette proposition fut rejetée, ne voulant point donner d'effet rétroactif au tarif ; ainsi, tous les délégués, négocians et ouvriers, restèrent unanimement d'accord sur la convention que nous avons rapportée, et qui fut approuvée par M. le Préfet et M. le Maire.

Nous pouvons affirmer encore, sans crainte d'être démentis (excepté par le bavardage du Précurseur qui s'est fait un malin plaisir de mentir sur tout ce qui s'est passé à Lyon), que vendredi 4 novembre, à la séance de l’Hôtel-de-Ville, présidée par M. Boisset, il ne fut point question du danger à courir sur l'exécution du tarif (comme l'annonce le Précurseur) ; autrement c'eût été dire que Messieurs les négocians se mettaient en opposition avec ce tarif librement consenti et signé par eux ; mais, bien au contraire, M. le Maire annonça que la veille une réunion de négocians, au nombre de 50, avait eu lieu, et qu'ils étaient tous d'accord d'exécuter le tarif, excepté deux ou trois qui avaient tenu des propos contre. M. le président du conseil des Prud'hommes, présent à cette séance, annonça que le conseil était dans la ferme résolution de faire exécuter le tarif, qu'il se chargeait de faire entendre raison à tous les négocians qui ne voulaient point l'accepter, et qu'il pouvait assurer que tous s'y conformeraient avant peu ; il ajouta encore, qu'on n'aurait point d'égard aux notes écrites sur les livres de la main des fabricans, par la raison bien simple que les ouvriers sont mineurs, que le conseil est leur tuteur, et que lui, exerçant depuis long-temps les fonctions de président, se regardait comme l’élu du peuple.

Nous annonçons de la part des délégués qui ont discutés les unis à la préfecture, que les gros de Naples dits d'Allemagne sont ceux qui sont tramés gros noir.

Parmi les calomnieuses imputations dont les fabricans ont accablé les délégués des chefs d'ateliers, en voici une dont la fausseté contraste d'autant plus que ce sont ces messieurs qui en sont la cause : c'est la prompte exécution du tarif.

M. le préfet avant de lever la première séance tenue dans son hôtel, prévint l'assemblée que malgré un renvoi, le tarif serait mis à exécution le 1er novembre ; de suite un délégué des chefs d'ateliers se lève et répond ces mots à M. le préfet : il convient de fixer un plus long délai qui permette l'écoulement des commissions prises à un prix relatif à celui des façons ; à cette proposition équitable un triple refus sortit promptement de la bouche d'un fabricant, non, non, dit-il, c'est égal, nous payerons [6.2]au tarif à dater du 1er novembre. Tous ses confrères y consentirent unanimement par un silence approbateur.

Maintenant, quand un fabricant voudra nous citer la prompte exécution du tarif comme la preuve incontestable de la prétendue peur de leurs délégués, à qui la faute ? nous voulions un délai, nous l'avons demandé, on nous a répondu non, non.

Ch…

L'un des délégués des chefs d'ateliers.

CONSEIL DES PRUD'HOMMES.

Séance du 17 novembre.

Depuis long-temps on n'avait vu une affluence aussi considérable. Cinquante causes au moins devaient être appelées. Le président ayant ouvert la séance, et la première cause n'étant pas présente, s'emporta en disant : Que s'était un scandale de voir tant de monde, qu'il donnait sa démission, et leva la séance. MM. les membres du conseil se retirèrent dans la pièce voisine, M. le président, s'avançant près de la balustrade, répéta encore une fois que c'était un scandale que ce tumulte (personne ne disait mot), qu'il allait faire évacuer la salle.

Revenu à des voies plus douces et plus conciliatrices, M. le président, s'adressant au public, dit que, dans l'intérêt général, il voulait présider la séance et l'ouvrit de nouveau.

Les causes qui ont été débattues dans cette séance et ont offert le plus d'intérêt, sont les suivantes :

Les sieurs Colonnel et Arnaud réclament du sieur Signé-Fatin, un prix de leurs châles, fond satin, conforme au prix des autres négocians, qui ont pris pour base le tarif, ne pouvant pas continuer de faire travailler, s'ils n'ont pas un prix fixé, étant forcés de payer leurs ouvriers au tarif. Le sieur Signé-Fatin prouve que son article n'y est pas suffisamment détaillé, que les châles qu'il fait fabriquer sont de plusieurs genres, et varient de compte à la chaîne, de 90 à 150 portées ; il demande que le conseil nomme des experts pour reviser l'article, et les chefs d'ateliers ont aussi fait observer que leurs ouvriers ne voulaient plus travailler, s'ils n'étaient payés au tarif. Le président fait de suite lecture d'un article de la lettre de M. le préfet au Précurseuri, et il déclare que le conseil ne veut pas prendre l'initiative, que ce n'est pas à lui de reviser le tarif, que l'on n'accordera rien aux demandes des compagnons, que les chefs d'ateliers, qui sont, dit-il, d'un certain poids dans Lyon, puisqu'ils font partie de la garde nationale, réclament auprès de M. le maire, et à M. Bouvery, afin qu'ils fassent convoquer une nouvelle assemblée pour réviser le tarif, que cela ne regardait nullement le conseil, et a invité les parties à se retirer.

[7.1]Le sieur Ginet réclame du sieur Brossette un défrayement ; ce dernier lui ayant promis des pièces de cent aunes et de le continuer long-temps, l'engageant à monter ses mouchoirs. Le sieur Ginet n'ayant reçu qu'une pièce de cinquante aunes, et ayant attendu quatre jours son dessin qui ne lui a produit que 18 francs, et ses frais surpassant de beaucoup ses bénéfices, ne voulut plus continuer l'article : le prix en étant trop minime pour une réduction de 100 coups au pouce, le sieur Brossette a proposé un défrayement de 10 francs ; il a produit ses mouchoirs devant le conseil, qui, ne se trouvant pas suffisamment éclairé pour en fixer de suite le prix, a renvoyé l'affaire pardevant MM. Rousset et Second.

Le sieur Bisay réclamait aussi du sieur Brossette la vérification d'une erreur qui s'était faite sur son livre, à l'égard d'une cheville qui n'avait pas été reçue, et dont le soldé était porté aux prix de la soie. Le conseil a renvoyé l'affaire pardevant M. Etienne pour reviser le livre.

Le sieur Constantin réclame du sieur Goybez un défrayement pour montage de métiers et le prix convenu des rubans qu'il lui a tissés, qui n'ont pas encore été portés en façon. L'affaire a été renvoyée pardevant MM. Second et Rousset.

Une question sur les peluches pour chapeaux s'est encore présentée ; le maître venant de recevoir un poil pour finir sa toile, demandait que le prix de cette dernière coupe lui fût marqué au prix fixé par le tarif. Le président, voulant concilier les parties d'une manière contraire à ses précédens jugemens, a engagé l'ouvrier, son pupille, à travailler au prix marqué sur son livre.

Un grand nombre de causes ont été renvoyées à samedi, et plusieurs négocians ont fait défaut, entr'autres le sieur Gabillot, qui avait quatre causes.

Nous ne pouvons nous empêcher de faire une réflexion bien juste ; c'est que de toutes les salles d'audiences de Lyon, celle du conseil des prud'hommes est une des plus petites ; le plancher est très-bas, il y fait une chaleur insoutenable, et les auditeurs y sont si serrés, qu'il est très-difficile aux personnes qui ont des causes d'arriver jusqu'à la barre. Il nous semble que la classe ouvrière de tous les états qui sont justiciables aux prud'hommes, et qui font les deux tiers de la population de la ville, mériteraient bien d'avoir pour leurs audiences une salle assez vaste pour les contenir ; et nous croyons qu'il ne manque pas à Lyon de local qu'on pourrait consacrer à cet usage. M. le Maire ne se refusera pas à une demande aussi fondée.

P. S. Depuis la dernière séance des prud'hommes, un grand nombre de chefs d'ateliers et d'ouvriers viennent à notre bureau demander des explications sur divers bruits qui circulent. On nous demande s'il est vrai que le conseil des prud'hommes ait déclaré le tarif nul et non avenu ; s'il est vrai qu'il soit arrivé de Paris des ordres portant que le tarif ne doit point être exécuté ; nous avons repondu et nous répondons à ceux à qui cela [7.2]cause de l'inquiétude, que ces bruits sont faux ; que si quelques négocians tenaces ne veulent point s'y soumettre et cherchent tous les moyens d'exaspérer la population, les chefs d'ateliers et les ouvriers, forts de la justice de leur cause, doivent persister dans l'exécution de ce tarif consenti par MM. les négocians. Mais ils doivent persister avec calme, car nous ne saurions leur prêcher que l'amour de l'ordre et la modération.


i Voir le Precurseur de mardi, 15 courant.

A MA LISETTE.

(2me chanson.)

Air du bon Pasteur (de Béranger.)

Ma Lisette, ô toi que j'aime !
Quel sort, hélas ! te poursuit !...
Tu crus au bonheur suprême,
Ce bonheur s'évanouit.
Des grands la voix indiscrète
A prédit un
prix nouveau ;
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de mon drapeau.

Ce bleu, sans aucun nuage,
Semble l'azur de tes yeux ;
Ce
rose est la douce image
De tes attraits merveilleux ;
Ce
blanc, qu'un noble regrette,
Entre deux est
assez beau ;
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de mon drapeau.

On trompe ton espérance ?
Sois riche de mes amours !
Gagne peu, mais sers la France,
Et je t'aimerai toujours.
Le guerrier, sous son aigrette,
Mettra ce léger réseau ;
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de son drapeau.

Que de goût et que d'adresse,
Lise, dans ce que tu fais ;
Ce tissu, que ta main presse,
Me rappelle nos hauts faits.
De ton père c'est la fête ?
J'en veux parer le tombeau ;
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de son drapeau.

Allons ! chante, mon amie,
Chante un meilleur avenir ;
Ne crains point ce noir génie
Qui semble nous désunir,
La liberté, sur sa tête,
A secoué son flambeau ;
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de mon drapeau.

A. V.1

COUPS DE NAVETTE.

[8.1]Un homme grand, sec, dont la figure annonce la stérilité de son cœur, jetait feu et flamme contre le tarif sur la porte du café d'Idalie : Je mangerais plutôt deux cents mille francs, disait-il, avant que de céder à cette canaille d'ouvriers. Un enfant qui se trouvait là se mit à chanter :
Des montagnes de la Savoie,
Je naquis de pauvres parens...
Notre personnage fit demi-tour, on ne le revit plus.

II est facile de reconnaître M. G.-B. dans la rue ; il sort toujours avec un parapluie à la main droite et un schall de sa fabrique sur le bras gauche.

La femme de M. G.-B. est tellement cachée sous les schalls de sa fabrique, qu'elle est invisible à tous les yeux.

On dit que l'olivier est l'emblème de la paix ; on en cite un qui est toujours entouré de pistolets.

II y a des esprits tenaces qui s'obstinent à découvrir la pierre philosophale, la quadrature du cercle et la femme de M. G.-B.

M. O*** a trouvé un moyen facile pour payer ses ouvriers ; au lieu d'aller chercher des fonds à la banque, il va à la poudrière.

Les parapluies sont devenus si chers, que les dix mille francs de la dot de la femme de M. G.-B. ne suffisent pas pour en acheter un seul.

Henri IV disait : Je veux que le moindre de mes sujets mange la poule au pot. M. O*** voudrait plumer la poule.

C'est un drôle de corps que ce M. O***, quand il plaisante c'est à faire frémir !!!

La mode est changeante, comme on le sait. On a fait des parapluies avec toute sorte d'étoffes. On y emploie aujourd'hui les superbes schalls de la fabrique de M. G.-B.

M. B. parlait avec mépris, au café du Commerce, des ouvriers qui avait demandé le tarif. Un homme qui prenait modestement son petit verre, lui dit : Il me semble, Monsieur, que vous devriez avoir quelques égards pour ceux qui sont la cause que vous êtes gorgés d'or. Voilà comme vous êtes, répliqua M. B., ne faut-il pas que le talent soit récompensé ; n'avons-nous pas le génie du commerce ? Et le travail, ne le comptez-vous pour rien ? Je travaille beaucoup, moi !... Il était deux heures après-midi, M. B. faisait son punch au billard, tandis que ses ouvriers travaillaient, en calculant la quantité de pain qu'ils achèteraient pour leur souper...

[8.2]Nous sommes dans le siècle des prodiges. On cite un olivier qui, pour tout fruit, ne porte que des balles de calibre.

Le conseil des prud'hommes est au variable. Dieu nous préserve de la tempête.

ANNONCES DIVERSES.

On demande plusieurs ouvriers ou ouvrières, pour des articles de goût et des peluches.
S'adresser au Bureau du Journal.

- Un homme de trente ans, connaissant parfaitement la fabrique d'étoffes de soie, sachant lire et écrire, désire se placer dans une fabrique d'étoffes de soie, ou comme garçon de peine dans une maison de commerce. Il donnera des renseignemens satisfaisans.
S'adresser au Bureau du Journal.

A vendre, un Métier de peluches pour chapeaux, travaillant, avec tous les accessoires, et dont le négociant promet de continuer aux prix spécifiés par le tarif.
S'adresser au Bureau du Journal.

A vendre, en totalité ou séparément, un Atelier de cinq métiers de velours unis et façonnés, avec appartement à louer de suite.
S'adresser à M.
Trevoux, impasse du boulevard Saint-Clair, n° 7, au 3me étage.

A vendre, une Mécanique de 32 guindres, faite par M. Breton, en très-bon état.
S'adresser à M. Couturier, rue Bodin, n°1, au 3me.

A louer de suite, une belle chambre garnie ou non. S'adresser au Café de l'Union, au coin de la place Léviste et de la place Bellecour.

AVIS ESSENTIEL.

Un bureau d'indication, spécialement consacré aux intérêts de la fabrique, est réuni à celui du journal. Dans ce bureau on recevra :

1° Les demandes faites, par les maîtres, d'apprentis des deux sexes, ou par les apprentis des deux sexes pour trouver des places convenables ;

2° Les mêmes demandes à l'égard des ouvriers ou ouvrières ;

3° Celles de MM. les négocians qui auraient besoin de bons maîtres pour tous les genres d'étoffes.

MM. les abonnés ne paieront que 10 cent, par ligne pour leurs insertions ; on traitera de gré à gré avec les autres personnes.

Les articles comportant plus de 15 lignes subiront une diminution sur la totalité.

Notes (LYON. REVUE DES JOURNAUX.)
1 Antoine Vidal est l’auteur de ce texte d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Le Journal du commerce fut publié à Lyon à partir de 1823. Il était avec Le Précurseur l’un des deux organes de l’opposition libérale sous la Restauration. Aux lendemains de la Révolution de Juillet il se situera légèrement à gauche du Précurseur. Dirigé par Antoine-Louis-Christophe Galois il n’aura cependant ni l’influence ni la diffusion du Précurseur. Références : C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral, F. Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, ouv. cit. , volume II, partie 4 ; J. D. Popkin, Press, Revolution and Social Identity in France (1830-1835), ouv. cit., p. 29-30 et p. 81-82.
3 La révolution de 1830 est l’un des nombreux petits journaux militants, républicains ou libéraux, publiés à Paris aux lendemains des Trois Glorieuses. Cet organe libéral dirigé initialement par James Fazy et Anthony Touret fut condamné à deux reprises, en 1831 et 1832, par la cour d’assise de la Seine.
Référence : C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral, F. Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, ouv. cit. , p. 94 et p. 102-103
4 Journal créé par Guizot et les doctrinaires en février 1820 au moment de l’abolition de la censure. Le Courrier français était l’un des principaux organes libéraux et anti-cléricaux dans les années 1820 et au début de la Monarchie de Juillet. Référence : C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral, F. Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, ouv. cit., en particulier tome 2, 2e partie.
5 Créé en octobre 1829 pas Jacques Coste et Jean-Jacques Baude. Le Temps était un journal libéral très hostile au gouvernement Polignac de Charles X. Il sera représentatif du centre-gauche sous la Monarchie de Juillet. Référence : C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral, F. Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, ouv. cit. , en particulier tome II, 2e partie.
6 Quotidien fondé par Joseph Fouché pendant les Cent Jours, le 1er mai 1815. Le Constitutionnel sera le principal organe de l'opposition sous la Restauration, centre de ralliement des libéraux, des bonapartistes et autres anticléricaux. Au début de la Monarchie de Juillet il est, avec Le Temps, Le National, Le Courrier Français l’un des principaux journaux de tendance libérale. Référence : C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral, F. Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, ouv. cit. , en particulier, tome 2, 2e partie.

Notes (L'ARISTOCRATIE DU COMPTOIR.)
1 Charles Dupin (1784-1873), géomètre et ingénieur célèbre, enseignant de mécanique au Conservatoire National des Arts et Métiers, député libéral de Castres (1827-1830) puis à Paris (Xe arrondissement) après les « Trois Glorieuses ». Il avait publié en 1827-1828 un très important ouvrage, Forces productives et commerciales de la France. L’opinion canut l’associera aux valeurs de la nouvelle aristocratie d’argent supportant le régime orléaniste. Lorsqu’il publiera en 1832 Harmonie des intérêts industriels et des intérêts sociaux, dans lequel il tance les insurgés lyonnais de novembre 1831, L’Echo de la Fabrique commentera, « c’est le procès fait par le salon à l’atelier » (L’Echo de la Fabrique, numéro du 26 mai 1833). Il était le frère cadet de André Dupin (1783-1865), grand avocat qui sera nommé procureur général à la cour de cassation en août 1830. Député, homme politique sous la Restauration, il était depuis 1817 un ami proche et un conseiller écouté de Louis-Philippe. En 1830, c’est lui qui apporta l’adresse des 221 députés qui renversèrent le ministère Polignac. Réélu député de la Nièvre en juin 1830 il fut à partir de novembre 1832 président de la Chambre (jusqu’à 1840).

Notes (On parle sans cesse de la philantropie de nos...)
1 Joachim Falconnet est l’auteur de ce texte d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Général et homme politique, Gilbert (marquis de) Lafayette (1757-1834), d’abord héros de la guerre d’indépendance américaine, fut député aux Etats Généraux (1789), commandant de la Garde nationale. Il sera député libéral sous la Restauration. Acteur majeur lors des « Trois Glorieuses », il fut placé de nouveau à la tête de la Garde Nationale en juillet 1830, et se rangea à la solution orléaniste.
3 Probablement Claude-Raynald Choiseul (1778-1841), chambellan de Napoléon (1805) qui le fera un peu plus tard Comte de l’Empire. Conseiller-général de Seine-et-Marne sous Louis-Philippe.
4 Grand avocat à la cour de cassation sous la Restauration, membre et président de la société Aide toi le ciel t’aidera, Odilon Barrot (1791-1873), se rallia en 1830 à la Monarchie de Juillet. Préfet de la Seine pendant une courte période il sera député, en particulier de l’Eure (Verneuil) à partir d’octobre 1830, et votera toujours avec l’opposition, sauf sous les deux ministères Thiers. Il sera le chef de la gauche dynastique et l’un des grands adversaires de François Guizot. Membre de la Constituante (Aisne) en 1848 où il siègera à droite puis ministre de Louis-Napoléon Bonaparte entre décembre 1848 et octobre 1849.
5 Cadet de Gassicourt (1789-1861), médecin et pharmacien tenté par la politique libérale sous la Restauration, fortement impliqué en juillet 1830. Il sera maire du IVe Arrondissement de Paris.
6 Jacques Laffitte (1767-1844), ancien gouverneur de la Banque de France, député libéral sous la Restauration. Il sera l’un des principaux chefs du parti du Mouvement après les « Trois Glorieuses ». Habilement placé à la présidence du Conseil par Louis-Philippe, il s’usera rapidement et pourra laisser la place à Casimir-Périer, l’un des acteurs majeurs du parti de la Résistance. Il fut ruiné par son passage en politique et une souscription nationale fut ouverte ; L’Echo de la Fabrique s’associera à cette souscription (numéro du 31 mars 1833).
7 Sous autorité ottomane depuis le XVIe siècle, la Régence d’Alger était gouvernée par un Dey ou un Pacha. Hussein Pacha avait été Dey d’Alger entre 1818 et début juillet 1830, date de l’expédition française décidée par le ministère Polignac. Après la chute d’Alger devant les troupes de Bourmont, il s’était embarqué pour Naples.

Notes (On lit dans le National l'article...)
1 Le National fut publié à partir de janvier 1830 à l’initiative de Thiers, Mignet et Armand Carrel. Résolument libéral, il devient rapidement sous la direction principale de Carrel un organe républicain de plus en plus hostile au gouvernement Casimir Périer. Référence : C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral, F. Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, ouv. cit. , en particulier, tome 2, 2e partie.
2 John Prest, The industrial revolution in Coventry, Oxford, UP, 1960. Sur la production de soierie en Angleterre, Frank Warner, The Silk Industry of the United Kingdom. Its Origin and Development, London, 1921.
3 Le Reform Bill de juin 1832 modifiera radicalement la carte électorale en Angleterre. Il consista en une redistribution des sièges du Parlement en faveur des villes industrielles et permis également l’ouverture du vote à de nouvelles catégories sociales. L’électorat fut multiplié par deux en Angleterre, en Irlande et au Pays de Galle, par quinze en Ecosse. Voir Elie Halévy, Histoire du peuple anglais au 19e siècle, vol. III, De la crise du Reform Bill à l’avènement de Sir Robert Peel (1830-1841), Paris, Hachette, 1923.
4 En novembre 1830, impulsé par les officiers et les aspirants, une insurrection avait éclaté en Pologne pour secouer le joug russe. Le gouvernement national fut rapidement créé et une Diète détrôna Nicolas 1er. La guerre polono-russe qui suivit tourna à l’avantage de Nicolas 1er. Une forte répression s’abattit sur la Pologne où le général russe I. Paskiewicz fut nommé régent et on assista parallèlement à une forte émigration polonaise notamment vers la France, l’Angleterre et la Belgique. Référence : Hanna Dylagowa, « Pologne », in : M. Ambrière (dir.), Dictionnaire du XIXe siècle européen, ouv. cit., p. 927-931.

Notes (A MA LISETTE.)
1 Antoine Vidal est l’auteur de cette chanson.

 

 

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