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2 septembre 1832 - Numéro 45
 
 

 



 
 
    

abus dans le réglement d’audience du conseil des prud’hommes.1

Ne principiis obsta.

Les tribunaux ont le droit de faire des réglemens pour la police de leur audience, mais ces réglemens doivent être conformes à la loi et à la raison. Nous ne pensons pas que dans le réglement que le conseil des prud’hommes vient de faire relatif à l’appel des causes, il ait agi sous l’influence de ces deux conditions, ou peut-être n’est-ce que par son application vicieuse que ce réglement leur est contraire.

Ce réglement porte qu’aucune cause ne sera réappelée. Cela est juste et dans le droit du conseil ; mais ce qui n’est pas juste, ce qui est au-dessus de son pouvoir c’est de refuser d’entendre les parties lorsqu’elles se présentent ensuite à sa barre. Voilà cependant ce qui arrive. Nous n’aurions pu le croire si nous ne l’avions vu. Il y a là un grave abus contre lequel nous nous empressons de protester dans l’intérêt des ouvriers et de tous les justiciables du conseil.

Il est de principe que le juge doit juger tant qu’il est sur son siége. Par une ingénieuse fiction, il est censé être la loi vivante. Or la loi ne doit jamais être muette, la justice ne doit jamais être interrompue. Ce n’est que lorsque les mots sacramentels l’audience est levée sont prononcés, que le juge descendant de l’estrade se dépouille de ses insignes, redevient simple citoyen et se perd dans la foule.

De ce principe incontestable nous en déduisons avec tous les jurisconsultes la conséquence forcée que le jugement par défauti ne peut être rendu que sauf l’audience. Il y aurait déni de justice si le juge, tant que l’audience subsiste, refusait d’entendre les parties demandant à plaider contradictoirement, et voyons quel motif à ce rigorisme dans un tribunal essentiellement paternelii.

Ce motif est on ne peut plus futile. On veut forcer les parties à être toutes présentes au commencement même de l’audience. Cela pourrait être désirable, mais ce n’est qu’une de ces mille considérations qui, séduisantes au premier coup d’œil, ne peuvent cependant en aucun cas prévaloir contre la loi ; sous prétexte d’une amélioration quelconque, on ne peut priver les citoyens d’un droit qui leur est acquis ; d’ailleurs malgré la meilleure volonté, il est telle circonstance qui empêchera l’une des parties de se trouver à l’heure fixe. Est-il juste de la punir de cette négligence involontaire ? Il y a mieux ? ce n’est pas la partie défaillante qui est seule punie ; mais sa [3.1]partie adverse l’est aussi quoiqu’elle n’ait rien à se reprocher puisqu’elle était présente ; on dira que défaut lui est octroyé ; nous ferons observer que ce défaut est insignifiant ; il nécessite des frais, il empêche la conciliation qui serait peut-être intervenue, il aigrit les parties, il est la source de bien de petits maux dont la réunion cause néanmoins un grand mal dans la société. Supposons que celui qui a obtenu défaut s’en contente et s’en aille. La partie condamnée comme nous l’avons dit plus haut, est privée du droit de le faire rabattre ; car il y aurait injustice à forcer la partie la plus diligente à rester à l’audience lorsqu’elle n’a plus rien à y faire. Si cette partie est restée dans l’auditoire, l’autre partie ayant le droit de requérir le rapport du défaut, il en résulte qu’il était inutile de l’octroyer. Nous roulons dans un cercle, il n’y a qu’une issue, la légalité. Il faut y rentrer.

Le défaut ne doit donc être que sauf l’audience, ainsi que cela se pratique devant les tribunaux de commerce, de première instance et d’appeliii, les parties doivent toujours être admises à présenter leurs moyens de défense, si celle défaillante arrive avant la fin de l’audience.

Nous espérons que ces simples observations suffiront pour engager le conseil à revenir sur une décision prise mal à propos, et avec de bonnes intentions sans doute, mais en l’absence de la connaissance des principes de droit qui régissent la matière. Nous serions fâchés d’être obligés de revenir, et d’insister sur un pareil sujet.

Aux yeux de tous les hommes éclairés et de bonne foi, le conseil s’est montré plus grand, en obtempérant sans élever aucun conflit, et parlant sans scandale, à la réclamation que nous avons faite sur l’abus des renvois en conciliation, (voy. n° 39 du journal), qu’en résistant avec éclat à celle que nous avons également faite de la libre défense. (Voy. n° 36 du journal), et en soutenant une lutte dont il est sorti avec la conscience de sa défaite, et pour se réfugier dans l’arbitraire, comme si l’arbitraire n’était pas de nos jours une forteresse démantelée de toutes parts, comme si nous étions de ceux que l’arbitraire effraie. Le champ des abus est vaste, nous le parcourrons pas à pas, ayant soin de n’attaquer un abus qu’après avoir triomphé d’un autre.

marius ch......g.

Notes (abus dans le réglement d’audience du conseil...)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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