PROCÈS FAIT AUX SAINT-SIMONIENS.
La chambre des mises en accusation près la cour royale de Paris a rendu un arrêt par lequel,
« Considérant que des pièces et de l’instruction résulte prévention suffisante :
1° Contre Barthélemi-Prosper Enfantin, Olinde Rodrigues, Pierre-Casimir-Emile Barrault et Michel Chevalier, d’avoir en 1830, 1831, et au commencement de 1832, formé, sans l’autorisation du gouvernement, une association de plus de vingt personnes, dont le but était de se réunir à certains jours marqués pour s’occuper d’objets religieux, politiques, littéraires et autres ;
2° Contre Enfantin et Olinde Rodrigues de s’être, aux mêmes époques et à l’aide de manœuvres frauduleuses, pour persuader l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir et d’un crédit imaginaire, et pour faire naître l’espérance d’un succès chimérique, fait remettre une somme d’argent, des obligations et des dispositions, et [4.1]d’avoir par ces manœuvres, escroqué la fortune d’autrui ;
3° Contre Enfantin, d’avoir en novembre 1831, tant par des discours proférés dans une réunion publique que par des écrits imprimés et distribués, commis le délit d’outrages à la morale publique et aux bonnes mœurs, en prononçant dans une assemblée de l’association dite saint-simonienne deux discours, le premier commençant par ces mots ; « Chers enfans, je vous ai tous vus, » et finissant par ceux-ci : « et se reposer ; » et le deuxième commençant par ces mots : « Caseau, tu m’as prévenu, » et finissant par ceux-ci : « le code de la pudeur, » et en faisant imprimer lesdits deux discours ;
4° Contre Chevalier, d’avoir en janvier 1832, par un écrit imprimé et distribué, commis le délit d’outrage à la morale et aux bonnes mœurs, en publiant, dans le numéro du 12 janvier 1832 du Globe dont il est gérant, un article intitulé : De la France, commençant par ces mots : « Il existe une multitude d’hommes, » et finissant par ceux-ci : « à laquelle il les appellent ; »
5° Contre Charles-Honoré-Constant Duveyrier, auteur de l’article énoncé au numéro précédent, de s’être rendu complice dudit délit en fournissant à Chevalier les moyens de le commettre, sachant qu’ils devaient y servir ;
6° Contre Chevalier, d’avoir, en février 1832, par un écrit imprimé et distribué, commis le délit d’outrages à la morale publique et aux bonnes mœurs, en publiant, dans le numéro du 19 février 1832, du journal le Globe, dont il est gérant, un article intitulé : Extrait d’un des enseignemens du père suprême Enfantin sur les relations de l’homme et de la femme.
7° Contre Enfantin, auteur de l’article énoncé au numéro précédent, de s’être rendu complice dudit délit, en fournissant à Chevalier les moyens de le commettre, sachant qu’ils devaient y servir ;
Délits prévus par les art. 59, 60, 291, 292, 403 du code pénal, 1er et 8 de la loi du 17 mai 1819, 26 de celle du 26 mai 1819, 10 et 11 de celle du 9 juin 1819, 8 et 14 de celle du 18 juillet 1810 :
Vu la loi du 8 octobre 1830 ;
Et considérant qu’il n’y a pas d’indices suffisans que le concert qui a existé entre les individus ait eu pour objet la consommation de tous ces délits, et qu’ainsi n’existent point entre eux les motifs de connexités exigés par l’art. 137 du code d’instruction criminelle ;
Renvoie Barthélemy-Prosper Enfantin, Olinde Rodrigues, Pierre-Casimir-Emile Barrault, Michel Chevalier et Duveyrier devant la cour d’assises du département de la Seine pour y être jugés, chacun en ce qui le concerne, sur le premier chef relatif au délit d’association sans autorisation et sur les derniers chefs relatifs aux délits commis par voie de publication ;
Et renvoie lesdits Enfantin et Rodrigues devant le tribunal de police correctionnelle de la Seine pour y être jugés sur le chef relatif au délit d’escroquerie, mais par d’autres juges que ceux qui ont rendu l’ordonnance ci-dessus annullée ;
Déclare définitive la main-levée des scellés apposés originairement dans la salle Taitbout. »
Nous rendrons compte des débats et de l’issue de ce procès mémorable.