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16 septembre 1832 - Numéro 47
 
 

 



 
 
    
AU MÊME.

Sur le besoin d?avoir de l?eau.

Monsieur,

J?ai lu votre article du 29 juillet dernier, sur le manque d?eau, par lequel vous demandiez que l?administration s?expliquât à ce sujet ; elle devait avoir le temps de la réflexion, mais plus d?un mois s?est écoulé sans qu?elle ait répondu à votre juste demande. Cependant à chaque moment de sécheresse le besoin d?eau se fait sentir d?une manière insupportable ; les habitans des quartiers élevés, qui sont en grande partie des ouvriers, souffrent et sont obligés d?aller chercher d?eau à cinq et même dix minutes de chemin, et là de faire la chaîne pendant une ou deux heures à une fontaine de laquelle il en sort gros comme un fil ; et bien souvent, quoique épuisés de fatigue par leur travail journalier, de se mettre deux au balancier d?une pompe qui ne peut, après de vains efforts, fournir que la moitié de l?eau nécessaire, et alors ils sont encore obligés d?aller recommencer ailleurs la même besogne.

Un tel état de choses ne peut durer ; il est temps que l?on songe aux besoins de la classe pauvre. On se plaint tous les jours que ses quartiers ne sont pas propres, comment serait-il possible de faire autrement ? Comment voudrait-on que celui qui est obligé de travailler dix-huit heures par jour pour gagner sa vie, aille encore passer une ou deux heures pour tenir les égoûts, les ruisseaux des allées propres ; ce n?est pas la bonne volonté qui manque, ce sont les forces qui sont épuisées.

Que l?administration songe donc aux besoins de première nécessité plutôt qu?à ceux d?agrément. Quoi ! l?on va, dit-on, réorganiser la troupe du Grand-Théâtre, et soixante-dix mille francs seront alloués au directeur pour l?indemniser pendant l?espace de huit mois. Ce même Grand-Théâtre, qui a déjà coûté cinq ou six millions pour le construire, pour qui la ville s?est endettée de deux ou trois, est donc un gouffre. Cela ne peut se concevoir ; on a bien plus de compassion pour l?homme riche et oisif qui peut se promener en été, que pour le pauvre artisan qui est obligé d?aller chercher de l?eau quel temps qu?il fasse, et n?en peut trouver. Cela n?est pas juste. Il faut pouvoir boire de l?eau au moins à sa fantaisie ; car, lors même que l?on serait obligé d?aller jusqu?à Reillieux ou jusqu?à Fontaines, pour trouver une source qui pût fournir abondamment de l?eau, il faut y aller. Ah ! si l?eau payait des droits comme le vin et les autres denrées ! la ville ne s?endetterait pas plus pour donner de l?eau à ses habitans qu?elle ne s?est endettée pour avoir une belle salle de spectacle, qui n?est que pour complaire à la centième partie peut-être. Ce n?est pas par mauvaise humeur contre le théâtre et les jouissances [6.1]des hommes opulens que je parle ainsi, mais par amour de la vérité. On m?objectera que le droit d?indigent que l?on perçoit à la porte, n?est que pour soulager les malheureux. Je répondrai à cette mauvaise plaisanterie qu?il est inutile de faire l?aumône avec l?argent des contribuables. Je n?ai pas besoin d?en dire d?avantage.

En résumé, est-ce que les impôts que le peuple paye ne méritent pas qu?on fasse attention à lui ? est-ce que les entrées, qui empêchent aux trois quarts des ouvriers d?avoir une pièce de vin dans leur cave, les impositions que le gouvernement perçoit sous tant de titres, portes, fenêtres, mobilier, personnel, patentes ; est-ce que toutes ces contributions ne peuvent pas suffire pour avoir de l?eau ? S?il en était autrement, pourrions-nous dire que nous sommes citoyens, que nous sommes civilisés et que nous avons une patrie ? Non ! mille fois non !

Agréez, etc.

Donn....eu, chef d?atelier.

 

 

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