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23 septembre 1832 - Numéro 48
 

 




 
 
     

 

A NOS LECTEURS.

Citoyens, nous vous avons donné dans notre avant dernier numéro le prospectus moral du journal ; quelques explications vous sont dues sur ce que l’on peut en appeler le matériel. Nous aimons, et cet aveu nous paraît naturel, nous aimons les communications, les comptes rendus. C’est peut-être orgueil de notre part, mais nous considérons, vous le savez, un journal comme une tribune, et nos abonnés comme nos commettans.

Un journal hebdomadaire doit fournir une lecture variée et abondante ; il faut qu’après l’avoir quitté on le reprenne avec plaisir ; il faut, s’il ne peut être amusant, qu’il soit instructif, et puisqu’il ne saurait avoir toujours le mérite de l’à-propos, qu’il remplace ce mérite par celui d’une composition en quelque sorte monumentale. Un journal hebdomadaire doit être par conséquent un journal de doctrines : nous n’avons pas besoin de dire qu’elles doivent être généreuses et populaires, ce sont là les conditions de sa vitalité.

D’après ces principes, nous avons cherché à agrandir le cadre de l’Echo de la Fabrique, afin de le rendre propre à un plus grand nombre de lecteurs et parvenir à notre but : L’amélioration physique et morale de la classe prolétaire, au moyen d’une publicité devenue puissante par le cercle qu’elle embrassera, sans déroger a la puissance qui est en elle et résulte de son point de départ.

Joindre l’utile à l’agréable, mais préférer l’utile, telle a été notre pensée intime. Nous ne vous redirons pas les avantages d’un journal ouvert spécialement aux réclamations [1.2]du pauvre, de l’opprimé, notre profession de foi a été faite. Nous avons supprimé l’épigraphe et le lion emblématique qui ornaient le titre du journal, n’en ayez nul souci.

Quand à l’épigraphe1, elle nous déplaisait ; le bon La Fontaine, vivant sous un roi despote, a pu dire que : de tous les temps, les petits avaient pâti des sottises des grands, mais sous un prince citoyen, élu roi au feu de l’insurrection populaire, sous une monarchie consentie, à la charge d’être entourée d’institutions républicaines, nous ne pensons pas que cette maxime puisse long-temps continuer à être vraie. Héritiers de Prudhomme, qui a dit, les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux, nous disons avec le calme de la force et de la raison : Il n’y a plus ni grands, ni petits, il n’y a que des citoyens.

A l’égard du lion, beaucoup d’entre vous y voyaient plus d’un contre-sens. Nous aimons mieux, si nous le pouvons, faire passer dans nos discours quelque chose de la fierté de son regard.

Nous croyons avoir rempli avantageusement l’espace qui par suite de ces suppressions, nous est resté libre, par un sommaire ou table de matières dont l’utilité ne saurait être contestée, pour un journal qui contient un grand nombre d’articles. Cette nomenclature, cette variété peuvent appeler beaucoup de lecteurs étrangers à votre profession, et dans les divers rangs de la société, ce qui est encore un moyen d’être utile à la classe ouvrière.

Les articles d’industrie formeront toujours le fond du journal ; sous le titre de variétés seront comprises les nouvelles diverses, les notes intéressantes extraites des autres journaux.

L’article littérature sera varié autant que possible, et sera principalement composé de pièces de vers, et à cet égard, nous nous attacherons surtout à donner celles inédites de nos jeunes poètes lyonnais, si pleins d’avenir ; ou si nous faisons des emprunts à leurs confrères de la capitale plus connus, nous aurons soin de ne choisir que les articles d’un mérite supérieur. Vous avez vu à ce sujet notre goût, nous avons lieu de croire qu’il sympathise avec le vôtre.

Nous donnerons la suite de la jurisprudence usuelle et des lectures prolétaires dont vous avez pu apprécier le genre dans plusieurs numéros.

[2.1]Nous vous tiendrons aussi au courant, par des extraits raisonnés, de tout ce qui pourra vous intéresser dans les divers genres de littérature que l’esprit humain exploite à Paris et ailleurs.

Les articles relatifs à quelque science ou art que ce soit, que des hommes spéciaux voudront bien nous adresser, seront immédiatement insérés, préférablement à tous autres.

Aucune question d’économie sociale ne sera dédaignée ; nous les aborderons toutes, plus satisfaits d’appeler sur elles l’attention des hommes philantropes et instruits, que d’en donner nous-mêmes la solution.

Des patriotes nous ont offert de nous aider à verser un cautionnement pour avoir la faculté de traiter les questions politiques ; nous avons refusé sans hésiter. L’Echo de la Fabrique se suiciderait s’il voulait être autre chose que le journal des ouvriers, le représentant des prolétaires. La politique seule continuera donc toujours à nous être étrangère. Eh ! pourquoi tenterions-nous d’aborder cette plage périlleuse ? Ne savons-nous pas tous ce que nous aurions à faire au jour du danger ? La voix de nos tribuns, la voix des Lafayette, des Clausel, des Odilon-Barrot, des Mauguin, des Garnier-Pagès, des Cabet et de tant d’autres, ne nous manquerait pas, et nous ne manquerions pas à l’appel de ces hommes généreux. Quant à présent, notre mission est toute industrielle, elle est immense, nous nous y renfermerons strictement.

On a fait entendre dans un certain monde, des plaintes contre nos coups de navette. Nous les avons pesées, et même, nous vous le dirons, nous nous en sommes réjouis. Nous ne les supprimerons donc pas, peut-être leur donnerons-nous une plus grande extension, Ils dérident plus d’un front, s’ils en couvrent d’autres de nuages. L’arme du ridicule est toute puissante en France ; nous immolerons sans pitié sous ses coups tous ceux qui s’y exposeront.

Concitoyens, vous nous jugerez ; et si nous ne remplissons pas vos espérances, si nous n’exécutons pas toutes nos promesses, n’en accusez que la faiblesse de nos moyens. Notre bonne volonté, notre zèle, nos principes, vous sont garans de nos efforts.

Les gérant et rédacteur en chef de l’Echo,

Berger, Marius Chastaing.

 

NECESSITÉ D’UNE STATISTIQUE GÉNÉRALE DE L’INDUSTRIE LYONNAISE.1

Nous avons souvent dans cette feuille, donné la statistique de plusieurs villes manufacturières, celle des villes étrangères, principalement dans leur rapport avec notre industrie. Nous aurions bien voulu donner spécialement la statistique générale de la fabrique des étoffes de soie de Lyon et de ses alentours ; fabrique qui par son importance, fruit de son grand développement, du nombre et de la variété de ses produits, doit marcher en première ligne et servir de modèle à toutes les autres industries ; ce travail est au-dessus des forces d’un seul homme. Il est vrai de dire que l’on ne s’est jamais, à Lyon, occupé d’une statistique, dans tous les détails dont elle est susceptible, pour fournir les données qui peuvent être utiles à l’administration de notre cité et au gouvernement. Depuis nombre d’années on n’y pensait même pas. La chambre de commerce, le comité des arts et manufactures, le conseil des prud’hommes ont [2.2]vécu à cet égard dans l’insouciance et la plus complète ignorance.

Le gouvernement précédent n’a pu connaître le développement qu’avait pris la fabrique lyonnaise, autrement que par le nombre des constructions qui se sont élevées sur tous les points de notre ville depuis 12 ans ; de même, qu’il semblait vouloir ignorer sa décadence depuis quelques années, et la misère de nos nombreux ouvriers. Depuis la révolution de juillet, le malaise et la misère ont augmenté ; les évènemens de novembre ont enfin ouvert les yeux, et fait connaître la plaie dans toute sa profondeur. On a du songer à la guérir, mais on n’a rien fait encore pour y arriver, parce que l’on manque des données précises sur lesquelles il faut se baser. Le malaise, trop prolongé, des classes industrielles demande un prompt et sûr remède.

Si, comme plusieurs journaux l’ont annoncé, on travaille dans ce moment au ministère du commerce à recueillir tous les renseignemens pour faciliter les opérations commerciales sur toute la France, par un système combiné de communications par canaux et chemins de fer ; à augmenter les populations agricoles, en formant des colonies-modèles d’agriculteurs, on songera aussi, sans doute, à encourager notre commerce et à lui donner un nouvel essor, en améliorant le sort des classes industrielles de nos cités populeuses, et en particulier de la nôtre. Dans cette hypothèse, une statistique exacte et générale du commerce et de l’industrie lyonnaise dans toutes ses branches, exécutée d’après un recensement fidèle et détaillé, fait par MM. les membres du conseil des prud’hommes, chacun dans la partie qui lui est spéciale, serait un document authentique très-précieux, puisqu’il n’en existe point ; il serait d’une grande utilité et deviendrait un foyer de lumières, où nos administrateurs, la chambre de commerce, le préfet et autorités compétentes viendraient s’éclairer, et puiser tous les renseignemens dont ils auraient besoin, pour les transmettre à M. le ministre du commerce ; ils pourraient alors appuyer leurs demandes sur les faits qui auraient été recueillis dans ce travail, faits qui seront nombreux et irrécusables. Ce travail, exécuté consciencieusement, donnera sans doute lieu à bien des réflexions, quand on reconnaîtra la décadence dans laquelle notre industrie tombe chaque jour, l’émigration continuelle de nos ouvriers à l’étranger ou dans les campagnes environnantes, où bientôt nos manufactures doivent dépérir par leur isolement, leur éloignement du centre, et leur privation de cette communication facile, de cet ensemble d’où seuls peuvent jaillir les procédés d’activité et de perfectionnement dont toutes les industries sont susceptibles.

Le conseil des prud’hommes doit donc prendre l’initiative dans cette mesure urgente et indispensable, se rappeler qu’un recensement entre dans ses attributionsi, qu’il doit être la base de ses opérations, que ce travail lui est personnel, que son mandat, qu’il doit remplir avec zèle, ne se borne pas seulement à concilier les différens qui s’élèvent entre les fabricans et les chefs d’ateliers, et entre ceux-ci et leurs ouvriers, ce qui n’est, au fait, que la tolérance des abus et des vices qui existent dans l’organisation et les usages de notre fabrique, mais bien à les détruire et par tous les moyens. Que ces moyens, ils ne les posséderont que lorsqu’ils auront acquis une connaissance parfaite de leur industrie et de ses besoins, et se seront éclairés des lumières de leurs confrères.

F......t.


i Voir l’article 29, titre 4, du décret impérial du 18 mars 1806.

 AU RÉDACTEUR

[3.1]Sur l’illégalité du péage perçu à la porte de l’Hôtel-Dieu.

Puis-je encore, monsieur, sans être importun, appeler votre attention et celle de vos lecteurs sur cet impôt que vous avez si bien qualifié de vol, et que l’on perçoit brutalement à la porte de l’hospice du grand Hôtel-Dieu de Lyon. Je vous apprendrai qu’on prend un sou les dimanches et fêtes, tandis que la semaine on ne prend que deux liards. Il en résulte que cet impôt vexe particulièrement les ouvriers qui ne peuvent s’y rendre que ces jours-là. Est-ce de la justice ? Loin de favoriser la classe pauvre, on la surtaxe ; Ne vous lasser donc pas d’attaquer cet abus. L’hospice est assez riche, et dans tous les cas la loi a parlé ; il faut l’exécuter.
Agréez, etc.
E. Verp…

Note du rédacteur. – Nous connaissions bien ce luxe d’arbitraire, mais nous avions oublié de le signaler. Notre omission se trouve réparée par la lettre ci-dessus. Nous sommes trop honnêtes pour avoir qualifié ce péage arbitraire de vol, comme le prétend M. V… Nous avons seulement dit qu’entre particuliers dont l’un exigerait de force ce qui ne lui serait pas dû par l’autre, cela s’appellerait ainsi. Au reste, nous avons lieu de croire que l’administration reculerait devant une plainte judiciaire qui serait portée contr’elle, et que cet impôt ne serait pas exigé de celui qui s’y refuserait formellement jusqu’à ce qu’on lui justifiât de la loi qui l’a établi : c’est aux citoyens à faire valoir leurs droits ; nous n’y pouvons rien personnellement ; il nous suffit d’enregistrer leurs plaintes.

 AU MÊME.

Lyon, 14 septembre 1832.
Monsieur,
La même plainte que vous avez insérée, il y a trois mois, dans votre journal, sur la déclaration d’un ouvrier dont vous avez cru devoir taire le nom, que nous ne payons que 60 cent. le mille les mêmes articles que d’autres maisons payent 85 cent., s’est renouvelée en d’autres termes à la séance des prud’hommes de mardi dernier.

M. Peyronnet, chef d’atelier, qui nous a monté deux métiers en 6/4, il n’y a encore que peu de jours, trompé par les ouï-dire de ses ouvriers, et poussé par quelques personnes qui se croyaient intéressées dans la cause, a avancé, avant d’avoir pris le temps de reconnaître son erreur, que nous payions 5 fr. les mêmes articles que d’autres maisons paient 7 fr. 50 c.

Renvoyés par-devant trois membres du conseil (dont deux chefs d’ateliers), chargés de prendre une connaissance exacte de la cause pour ensuite chercher à nous concilier : six heures au moins ont été employées à prendre des renseignemens de tous genres, soit chez les fabricans, soit chez les maîtres faisant l’article ; et c’est après un examen approfondi, après une longue discussion où MM. les prud’hommes, fabricans et chefs d’ateliers, ont montré un tact exquis dans l’appréciation du grand nombre d’articles qui leur ont été soumis, et où 1es intérêts de l’ouvrier ont été défendus avec habileté, qu’il a été reconnu en fait :

1° Que les mouchoirs que nous payons 5 fr. ne pouvaient être assimilés à ceux que d’autres maisons payent 7 fr. 50 c.

[3.2]2° Que ceux de nos articles qui auraient pu leur être comparés, étaient payés à peu près les mêmes prix. Et en droit :

Que payant l’article qui faisait le sujet de la contestation au cours des maisons faisant le même article sous tous les rapports, nous ne pouvions qu’être invités à le payer quelque chose de plus.

MM. les prud’hommes ont apprécié les motifs qui nous mettaient dans l’impossibilité de le faire.

Mais ne voulant pas même encourir le reproche d’avoir profité de la méprise d’un ouvrier, nous avons offert immédiatement, et en présence de nos arbitres, à M. Peyronnet, de lui tenir compte de tous ses frais si, croyant trouver plus d’avantage à travailler pour une autre maison, il voulait nous rendre ses comptes. Cette affaire étant pour nous bien plus une question d’honneur que d’argent, nous le remercions sincèrement d’avoir provoqué une discussion qui servira à nous rétablir dans l’esprit de tous ceux qui, comme lui, avaient pu se laisser tromper par les apparences.

C’est dans cette intention, monsieur, que nous vous prions de vouloir insérer notre lettre.
Agréez, etc.
Cinier, Fatin.

P. S. M. Peyronnet, éclairé et convaincu par la discussion à laquelle il a assisté et pris part, vient à l’instant nous dire que, non-seulement il nous conservera ses deux métiers, mais encore, si cela peut nous convenir, qu’il nous en montera deux autres. Proposition qui a été acceptée. Entre gens de bonne foi cela ne pouvait finir différemment ; et nous nous félicitons d’avoir conservé l’estime d’un homme aussi franc et loyal que M. Peyronnet.

 CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Séance du 20 septembre,

(présidée par m. goujon.)

La première affaire est celle du sieur Villeneuve, qui réclame au sieur Guillot l’exécution des conventions faites entr’eux, pour l’apprentissage du fils Guillot. Cette cause avait déjà paru à l’audience de jeudi dernier, en laquelle le sieur Guillot ayant exposé la position de son fils, qui était en prison par ses ordres, pour le punir de sa mauvaise conduite, et demandé un renvoi à huitaine, espérant, dans l’espace de ce délai, que son fils, devenu plus docile, consentirait à rentrer chez son maître pour y finir son apprentissage ; le conseil avait fait droit à cette demande. A cette audience, le sieur Guillot déclare que ses efforts ont été inutiles, que son fils persiste à ne pas rentrer chez son maître, préférant s’engager. Alors le sieur Villeneuve réclame l’indemnité de 300 fr. portée sur les conventions.

« Attendu que l’élève n’est demeuré que quatre mois et demi chez son maître ; attendu qu’il est sorti sans cause légitime de l’atelier, et ne veut plus y rentrer ; attendu la bonne foi du sieur Guillot père, le conseil décide que la somme de 200 fr. sera payée par ce dernier au sieur Villeneuve, pour lui tenir lieu de toute indemnité, les conventions demeurant annuléesi. »

L’affaire des sieurs Monnet et Gamot prud’homme négociant, qui n’a pas été terminée jeudi dernier, est ensuite appelée. Le [4.1]sieur Monnet ne trouvant pas suffisant le défrayement qui lui est alloué, et d’un autre côté, le sieur Gamot ayant demandé que le conseil fît une enquête au sujet des tirelles, et décidât cette question avant de prononcer son jugement, le sieur Monnet reproduit les mêmes réclamations en exposant les pertes qu’il éprouve, par suite de la confiance qu’il a eue envers le sieur Gamot ; il demande qu’un peigne qui lui a coûté 20 fr. soit au compte du sieur Gamot, offrant de perdre 5 fr. sur le prix, et réclame de plus des tirelles sur ces deux pièces. Le sieur Gamot répond longuement et avec un ton d’emphase et d’assurance qui ne lui paraît pas ordinaire, qu’il n’est point à la barre du conseil par un motif d’intérêt, mais seulement pour faire consacrer un principe ; trouvant l’indemnité portée à 16 f. 20 cent. arbitraire, disant aussi que les fabricans ne doivent point de tirelles sur les crêpes-zéphirs ; il montre une note relevée de ses livres, où cinq de ses maîtres sont en avance de matières, et il en déduit la conséquence qu’ils n’ont pas besoin de tirelles. Le sieur Monnet réplique en disant que le sieur Gamot lui avait précédemment offert 20 fr., mais que ne pouvant les accepter, il s’était emporté, lui disant qu’il ne lui devait rien ; que s’il était condamné par le conseil, il ne se conformerait pas à ses décisions ; et que s’il paraissait de nouveau devant le conseil, c’était également pour voir si le sieur Gamot, comme membre du conseil, serait exempt de se conformer à ses décisions, et pouvait lui refuser les tirelles qu’il lui réclame. Le sieur Gamot répond qu’il est vrai qu’il a offert 20 fr., qu’il en payera 25 et même davantage s’il est nécessaire ; qu’il ne tient pas à l’argent, mais au principe, que les fabricans ne doivent point de tirelles sur les crêpes-zéphirs.

« Attendu la conciliation qui alloue 16 fr. 20 c. pour défrayement de montage, le conseil décide qu’elle prend force de jugement, engageii le sieur Gamot, à payer la somme de 20 fr. qu’il a offerte au sieur Monnet, et déboute ce dernier de sa demande sur les tirelles. »

Après le prononcé de ce jugement, un silence morne a régné quelques minutes dans l’auditoire, qui paraissait stupéfait de ce qu’il venait d’entendre. On se rappelle que le précédent conseil avait plusieurs fois déclaré que les fabricans devaient payer les tirelles sur toutes les pièces indifféremment.

Le sieur Bierry expose au conseil qu’il a eu deux neveux du sieur Philippon, chapelain à Saint-Jean, pour apprentis, et qu’ils sont sortis de chez lui pour se placer ailleurs. Le sieur Philippon n’ayant pu paraître à l’audience, a fondé de pouvoir un de ses parens, qui présente une lettre adressée au conseil, par laquelle le sieur Philippon déclare qu’il n’a placé ses neveux qu’en qualité de lanceurs. Plusieurs autres faits qui n’ont pas paru fondés sont contenus dans cette lettre, qui a reçu un complet démenti de la part du sieur Bierry. Ce dernier prouve que ses élèves étaient en état de travailler, puisqu’ils gagnaient après leur tâche, et n’ont été occupés que 6 mois à lancer, et qu’ils sont depuis 14 mois dans son atelier ; il réclame qu’ils soient tenus de finir leur apprentissage ou une indemnité.

« Le conseil décide que les deux élèves rentreront dans l’atelier pour y terminer leur appentissage, qui sera de 3 ans ; à défaut de le faire, il sera alloué au sieur Bierry la somme de 130 francs pour chaque élève qui, dans tous les cas, ne pourront se replacer qu’en qualité d’apprentis. »

La dame Révol expose que le sieur Micoud ne lui paie un gros-des-Indes que 65 centimes, et réclame le prix de [4.2]la mercuriale et une augmentation sur les tirelles qui ne sont marquées que 10 grames.

« Attendu que le prix de la mercuriale porte le prix des gros-des-Indes à 75 centimes, le conseil décide que le sieur Micoud paiera 10 centimes par aune d’augmentation sur la dernière pièce, et que la tirelle sera portée à 15 grammes. »


i Le conseil, à notre avis, a mal jugé, aux termes de l’art. 1152 du code civil ; les tribunaux ne peuvent, lorsque les dommages-intérêts sont stipulés dans une convention, allouer ni plus ni moins.

 

NOTE SUR LA LIBRE DÉFENSE.

Comme beaucoup de personnes croient que le droit de se faire assister est entièrement perdu pour les justiciables du conseil des prud’hommes, nous nous empressons d’annoncer à nos lecteurs que M. le préfet va incessamment réunir sous ses yeux le conseil des prud’hommes, afin de concilier les opinions à cet égard ; il n’attend pour cela que l’assentiment de M. le ministre du commerce, à qui il a rappelé cette affaire dans une dépêche à la date du 8 courant. Lors même que cette convocation conciliatrice n’aurait pas lieu, ou qu’elle ne produirait aucun résultat, les moyens de droit feront justice de ce coupable abus de pouvoir.
(Communiqué.)

 

TRAIT DE PHILANTHROPIE.

M. D.…., huissier, était chargé de procéder à la vente mobilière des effets saisis sur le sieur M… rue Chaussée-d’Antin, à Paris, à la requête de l’administration des contributions directes, avec ordre formel de ne recevoir aucun à-compte sur les 179 fr. dus par le contribuable. Ce dernier ayant offert 79 fr., l’huissier se vit dans la dure nécessité de les refuser, et sur la menace du malheureux débiteur de tuer celui qui chercherait à entrer dans son domicile, il se retira vers M. le commissaire de police Dyonnet pour requérir son assistance. Ce magistrat, instruit aussitôt de la bonne foi et de l’état de gêne dans lequel se trouvait M. M..., dit à l’huissier :

Je vais vous payer tout ce qui est dû en capital, intérêt et frais, je désire même que le procès-verbal constate que c’est le débiteur lui-même qui a payé.

Honneur à cet homme bienfaisant : on tremble quand on pense que sans son intervention généreuse, un homme pouvait être tué et un autre déshonoré.

 

Note sur le laçage des cartons.

Nous avons reçu une lettre du sieur Vernay, qui se plaint de ce qu’un grand nombre de fabricans refusent d’une manière insolente de rembourser les frais de laçage déboursés par les chefs d’ateliers. Cette lettre contient des réflexions très-justes et entièrement conformes aux principes que nous avons émis sur ce sujet. Ne pouvant l’insérer, vu l’abondance des matières, nous devons au sieur Vernay la réponse qu’il nous demande. La voici : de tout temps bon nombre de fabricans ont fourni à leurs ouvriers les cartons tout lacés, et dans aucun cas l’ouvrier ne pouvait être tenu de fournir le laçage et de rendre les cartons lacés aux fabricans. Depuis, le conseil a été unanime sur ce point, et il a reconnu qu’il était juste que le fabricant fournît les cartons lacés. Suivant ce principe, dans toutes les causes de ce genre, où les chefs d’ateliers ont réclamé le remboursement des frais de laçage, le conseil a décidé que les fabricans devaient les payer. Ainsi, le sieur Vernay et les autres maîtres qui auraient à faire [5.1]des réclamations de ce genre, doivent s’adresser au conseil, où justice leur sera rendue.

Berger, gérant.

 

Sur un article du nouvelliste (suite), et réponse à m. anselme petetini.

Lorsqu’en écrivant dans l’Echo de la Fabrique une réponse à un article du Nouvelliste, je faisais un appel aux hommes éclairés, j’étais loin de me croire assez d’importance pour que ma demande fût aussitôt satisfaite ; mais puisqu’il en est ainsi, et que M. Petetin a bien voulu me faire l’honneur de s’occuper de moi, il me permettra sans doute de lui faire part des idées que m’a suggérées sa lettre, et de lui en expliquer tant bien que mal les raisons qui m’empêchent d’être de son avis sur plusieurs points.

Je suis parfaitement d’accord avec M. Petetin, lorsqu’il affirme que le but unique de la politique et de l’économie sociale doit être l’amélioration du sort moral et matériel des travailleurs, seulement nous différons sur l’emploi des moyens pour y parvenir ; il veut changer les systèmes de gouvernement, et moi je voudrais changer les idées, parce que je crois que les choses sont plus fortes que les hommes, et que tout le problème à résoudre consiste à faire comprendre aux classes élevées de la société que cette amélioration est la conditio sine qua non de leur bien-être et de leur repos futur, et que l’opinion en sera venue à ce point, les gouvernemens s’empresseront de seconder sa direction, d’abord parce qu’ils n’ont aucun intérêt à ce que les peuples soient malheureux, et ensuite parce qu’ils sauront que leur existence est à ce prix.

L’école saint-simonienne a présenté un système qui, au premier aperçu, paraît avoir résolu la difficulté ; cependant, en y réfléchissant, Il me paraît inapplicable, car il est fondé sur un sentiment dont l’existence ne me semble pas bien démontrée. Quand je vois le christianisme et toutes les institutions humaines s’efforçant à l’envi, depuis deux mille ans, de prêcher aux hommes l’amour, la concorde et l’esprit d’association, et qu’après tant d’efforts je vois les hommes se haïr et se diviser plus que jamais, je suis, dis-je, fondé à croire que ces sentimens n’existent pas dans la nature d’une manière absolue.

Je n’ai pas lu les ouvrages de MM. Say et de Sismondi, mais, d’après la brillante analyse qu’en fait M. Petetin, je soupçonne que ce spirituel publiciste penche pour l’opinion de M. de Sismondi, et, à mon avis, il a bien raison ; car si M. Say n’avait eu pour excuse l’époque et les circonstances où l’on se trouvait, qu’aurait-on dû penser d’un homme qui, lorsque « on lui montrait des populations entières mourant de faim par suite de l’invention d’une machine, qui, lorsqu’on lui prouvait que la nécessité de vivre est la première nécessité de tout être, et qu’à aucun prix, même au prix de la révolte et de la dévastation brutale, un peuple laborieux ne pouvait consentir à se laisser tuer par une abstraction libérale et philosophique », n’opposait que l’inflexibilité du principe qu’il défendait ? Que dire aussi de M. Charles Comte1 qui, malgré ses sentimens populaires, vient nous répéter, à vingt ans de distance, en dépit de l’expérience acquise, la même formule, sinon que, de même que les lauriers de Miltiade empêchaient Thémistocle de dormir, de même M.  Comte n’a pas voulu que sa carrière législative s’écoulât [5.2]sans parodier le mot fameux d’un de ses célèbres devanciers : Périsse l’univers plutôt qu’un principe.

Tant que la sphère de développement des machines a été circonscrite dans le cercle étroit de trois ou quatre industries, il a été vrai de dire que le mal qu’elles produisaient ne pouvait entrer en considération avec les avantages qu’on en retirait : tant que cette autre machine à détruire les hommes que l’on nomme la guerre s’est chargée du soin d’absorber tous les bras inactifs, je conçois que l’on n’a pas du s’effrayer beaucoup des résultats possibles, mais éloignés, de leur intervention, parce qu’alors les bras que l’invention d’une machine rendait oisifs dans une profession, trouvaient à s’occuper dans une autre, ou cherchaient dans l’armée un aliment à leur activité ; mais aujourd’hui qu’en nous démontrant son inconcevable puissance, la mécanique menace d’envahir sans exception toutes les professions et même l’agriculture, aujourd’hui que par suite de plus de bien-être, d’une meilleure alimentation, de la découverte de la vaccine, et peut-être aussi de la dissolution des mœurs, la population augmente d’une manière sensible, aujourd’hui que la guerre semble passée de mode : je m’étonne que des esprits élevés, des intelligences supérieures ne se préoccupent pas davantage des dangers que peuvent faire courir à la société une population de quinze à vingt millions de prolétaires poussés par la misère et le désespoir sur les places publiques de nos cités, et demandant à grands cris du travail ou la mort ! Croira-t-on les apaiser avec des souscriptions, des bals, des concerts ?… Non ! tout remède deviendra impossible. Alors, nous avons eu la révolution de l’orgueil, nous aurons la révolution de la faim !…

Et qu’on ne dise pas que j’exagère, que je fais de la déclamation, car je répondrais que l’Angleterre2, pays de machines s’il en fût, en est déjà là, que toutes les années l’on voit à Londres des populations de cent mille individus se réunir par corporations pour aller en processions et bannières déployées présenter des pétitions au parlement : or, si l’Angleterre avec le monopole exclusif du commerce et de la navigation du monde entier, avec ses innombrables colonies, avec une population d’un tiers moins forte que la nôtre, avec une taxe des pauvres de cinq à six cents millions : si, dis-je, l’Angleterre avec tous ses avantages, ne peut venir à bout d’occuper et nourrir ses prolétaires, que ne devons-nous pas craindre ?

M. Petetin m’accuse de pousser à l’hyperbole, et pour preuve, il présente comme incontestables les avantages d’une machine qui permettrait de livrer au commerce un habit pour cinq sous, et de ce fait il déduit la conséquence que cet hiver un plus grand nombre d’hommes seront à l’abri des atteintes du froid. Sans m’arrêter à ce que l’on pourrait trouver d’hyperbolique dans son hypothèse, je prie M. Petetin de me permettre de nier la conséquence qu’il en tire, et voici mon raisonnement : pour que cet habit puisse se livrer à cinq sous, il faut qu’il se soit fait tout seul à la mécanique ; drap, toile, boutons, façon, etc., combien voilà-t-il de professions anéanties pour la seule confection d’un habit, et que deviendront les hommes qui exerçaient ces professions ? ils en prendront d’autres dira-t-on ; et si les machines ont également pénétré dans les autres ? Oh ! cela ne se fera pas dans un jour ; c’est vrai pour l’hiver prochain, mais dans dix ans, dans vingt ans cela ne sera plus vrai, et que fera-t-on alors ?

Maintenant, pour qu’il y ait plus d’hommes à l’abri du froid cet hiver que l’année passée, il faudra que celui qui achètera cet habit soit un de ceux à qui la modicité [6.1]de son salaire n’a pas permis de le faire jusqu’à présent, et comment le fera-t-il si la rage du bon marché et de la concurrence a déjà réduit ce salaire au-dessous des premiers besoins de la vie, en attendant que l’intervention des machines vienne le lui enlever tout-à-fait ? La conclusion de tout ceci est que l’on aura plongé dans la misère trente, quarante, cinquante mille individus, plus on moins, pour l’unique plaisir de vendre un habit au prix de 25 centimes à un homme qui aura 25 000 fr, de revenu, et l’on appelle cela des avantages ! moi j’appelle cela d’affreux malheurs.

J’entends partout dire, il faut pousser à la consommation, il faut vendre à bon marché pour vendre beaucoup ! singulière manière de pousser à la consommation, que d’en tarir les sources dans les 9/10e de la population ! oui, je crois bien que vous vendrez bon marché, mais que vous vendrez beaucoup, j’en doute, car, comment achéterai-je votre habit 25 c., si je n’en ai que 5 dans ma bourse.

De tout ce que j’ai dit précédemment, il résulte qu’un malaise horrible tourmente la société ; que ce malaise prend sa source dans l’état précaire des travailleurs qui, en s’éclairant, s’aperçoivent que leur existence est chaque jour menacée de plus en plus, par la concurrence, l’intervention des machines et l’égoïsme, et qui s’agitent pour écarter d’eux ce cauchemar qui les écrase ; qu’il est urgent, indispensable, d’apporter au plutôt un remède aux maux de cette classe d’hommes intéressans par leur utilité et l’injustice dont ils sont victimes depuis la création, et redoutables par leur nombre et le mépris qu’ils font de la vie. Quel est ce remède ? c’est là le problème à résoudre : M. Petetin le trouve dans des institutions républicaines, et l’appel au pouvoir de toutes les capacités ; malgré toute l’estime que m’inspire son talent, je ne puis m’empêcher de dire que j’ai peu de foi en ce système, parce qu’il suppose les hommes tels qu’ils devraient être et non tels qu’ils sont, et que de plus le principe électif pris dans sa plus grande extension, ne me paraît pas le plus sûr pour faire ressortir les capacités, dans le plus grand nombre de cas l’intrigue y ayant plus de chances que le mérite. Que d’ailleurs un gouvernement composé de capacités sans fortune, se donnerait un air de tyrannie s’il voulait blesser les intérêts des classes riches au bénéfice des classes pauvres.

Le remède consiste donc à mon avis dans la nécessité bien sentie de la part des classes riches, de se dépouiller au profit des travailleurs d’une forte partie de leur superflu, non pour établir une taxe des pauvres comme en Angleterre, mais pour former des ateliers de travaux publics capables de recueillir tous les bras que l’industrie laisserait sans emploi. Ces ateliers seraient exclusivement employés à la confection des routes, chemins de fer, canaux, aux desséchemens des marais, défrichemens des landes, exploitation des mines, à creuser et encaisser les lits des rivières, et généralement tous les travaux qui ne peuvent s’exécuter qu’à l’aide de grands capitaux et d’un grand nombre de bras. J’ignore quels obstacles invincibles s’opposeraient à la réalisation de ce système, car je l’ai envisagé sous tous les points de vue que mon intelligence à pu me fournir ; mais pour couper court à toutes les objections de détail qu’on me pourrait faire, je vais expliquer comment j’en conçois l’exécution.

D’abord, je poserais en principe que la concurrence et l’emploi des machines étant des faits accomplis, il n’y a pas lieu à arrêter leur développement : mais quant à restreindre l’égoïsme, j’y emploirais tous mes efforts, et [6.2]à cet effet, j’établirais également que tout homme qui travaille, a le droit d’exiger que son salaire suffise non seulement à ses besoins de première nécessité, mais encore à un peu de superflu pour qu’il l’emploie à volonté, soit dans les caisses d’épargnes, soit si l’on veut à satisfaire quelques-uns de ces besoins factices, dont on lui fait un si grand crime et qui pourtant sont inhérens à la civilisation actuelle et présentent l’avantage en lui procurant quelques jouissances, de favoriser la consommation et la circulation de l’argent. Comme l’homme qui ne possède que ses bras, ne peut pas voir venir et lutter avec avantage contre celui qui lui marchande son salaire, je dirais, nous avons des lois qui protègent le faible contre le fort ; serait-il impossible d’en faire, qui protégeassent le pauvre contre le riche ? serait-il bien difficile par exemple d’établir une loi, qui chargerait chaque année les conseils municipaux de chaque commune, de fixer le minimum de la journée de travail, au double de ce qui serait strictement nécessaire pour vivre, en ordonnant des peines contre ceux qui, par ruse, captation ou violence morale chercheraient à éluder la loi. Une institution pareille ne serait plus un tarif applicable à une seule profession, ce serait une loi de l’état, une loi d’humanité, une loi de conservation, une loi d’ordre et de sûreté publique ; dès lors on ne pourrait pas dire qu’elle serait contraire à la charte.

Mais, dira-t-on, vous vous plaignez que l’industrie n’emploie pas assez de bras, si vous voulez augmenter les salaires, elle en emploiera bien moins ; cela est vrai, du moins pour les commencemens ; mais alors il y a lieu à appliquer le système dont j’ai parlé plus haut, et je dis : Il est de principe que chaque citoyen doit se dépouiller, au profit de l’Etat, d’une portion quelconque de son revenu, pour obtenir à ce prix la jouissance paisible de sa fortune, la tranquillité de sa vie, la sûreté de son foyer domestique ; or, les besoins de l’époque exigent qu’une portion plus forte soit consacrée à la conservation de ces avantages. D’un autre côté, l’impôt est établi de manière à peser plus fortement sur le pauvre que sur le riche, ce qui n’est pas juste. D’après cela, je désirerais, non que l’on abolît les impôts indirects, attendu que, les salaires étant augmentés, ces impôts deviendraient moins lourds au peuple et plus productifs ; mais que l’on établît l’impôt progressif de manière qu’un homme ne pût jamais posséder plus de cinquante mille francs de revenu. Je désirerais aussi que tout ce qui est revenu, proprement dit, tels que rentes sur l’Etat, argent placé, rentes viagères ou à fonds perdu, appointemens des fonctionnaires publics lorsqu’ils dépasseraient la somme annuelle de la journée de travail, fussent également imposés proportionnellement. J’ignore combien toutes ces choses apporteraient d’augmentation dans le trésor public ; mais je crois que pour atteindre le but, il faudrait, surtout pour le commencement, que cette augmentation s’élevât au double du budget de l’Etat ; maintenant avec cette somme, augmentée successivement de toutes les économies praticables au budget, du fonds d’amortissement, des fonds alloués aux travaux publics, des excédans de revenus que donneraient les améliorations successivement exécutées ; avec toutes ces ressources, dis-je, ne serait-il pas possible au gouvernement d’établir dans chaque département des ateliers publics où chaque travailleur inoccupé serait reçu. Comme il ne s’agirait pas d’obtenir le plus de travail possible avec le moins d’argent possible, mais bien d’occuper d’une manière utile au pays, une multitude d’hommes que la misère et l’oisiveté pourraient rendre dangereux, le prix de la journée pourrait être, à peu de chose près, [7.1]aussi élevé que celui fixé par le conseil de la commune où s’exécuteraient les travaux.

Je ne sais si je me trompe, mais l’établissement de ce système ne me semble pas présenter des inconvéniens insurmontables, ni exiger beaucoup de temps pour sa réalisation. Une session des chambres suffirait, surtout si l’on y mettait de la bonne volonté et un désir sincère d’améliorer le sort des classes pauvres. Quant aux avantages, ils me paraissent immenses et de nature à ne pas craindre les objections sérieuses. Je laisse à chacun le soin de les apprécier ; je croirais faire injure au bon sens public en les énumérant.

Bouvery.


i Voir Nos 46 et 47.

 

AVIS.1

Institué pour la défense des ouvriers, l’Echo doit faire son devoir. Justement choqué d’une expression inconvenante insérée à la 3e ligne de la 2e colonne de la 2e page du N° 22 du journal le Papillon 2, notre gérant en a demandé la rétractation à M. Eugène Lamerlière, gérant. Nous pensons qu’elle ne se fera pas attendre.

 LITTÉRATURE.

Nous allons chercher bien loin des talens qui sont bien près, et qui ne demandent qu’à se faire connaître pour rivaliser avec les dieux du Parnasse. L’Echo de la Fabrique verra avec plaisir ces jeunes poètes lui apporter le tribut de leurs veilles. Déjà il a ouvert ses colonnes à MM. Berthaud et Amédée Roussillac, nous espérons enrichir successivement notre galerie des poésies de MM. Eugène Lamerlière, César Bertholon, Ceséna, Eugène Dufaitelle, et de quelques-uns de ces jeunes hommes auxquels un avenir de gloire est promis. Nous n’oublierons pas non plus cette jeune fille, Mlle Sophie Grangé1, qui, selon nous, cherche mal à propos dans l’originalité, une célébrité que les muses lui assureraient dans un commerce paisible, qu’elle est digne de cultiver avec elles. Aujourd’hui nous allons nous occuper d’un poète peu connu, quoiqu’il mérite de l’être, ainsi que les lecteurs vont en juger.

M. Pierre Corréard, saint-simonien, fils d’un riche négociant de cette ville, vient de publier le premier numéro d’un recueil de chansons2 composées par lui dans les années 1826 et suivantesi. L’une d’elles, le Cigare, est devenue populaire. Nous la donnerons dans un prochain numéro ainsi que le Barde gaulois qui peut servir de modèle aux hymnes de guerre ; nous allons transcrire les deux chansons suivantes, qui nous ont paru d’un mérite supérieur, et, à vrai dire, nous avons été embarrassés pour faire un choix. Il y a du Chénier et du La Martine dans le cerveau de ce poète lyonnais.

SAMUELii.
1828.
Air : Il est donc parti ce vainqueur.

Au temps des juges d’Israël,
Les Hébreux désirant un maître,
Demandaient au vieux Samuel
Que, par lui, Dieu le fit connaître.

[7.2]« Le ciel vous parle par ma voix,
Dit le vieillard qui sort du sanctuaire,
Il vous exauce en sa colère :
Tremblez !!! vous aurez des rois. »

Oui, nous le voulons… plus de retard :
– Vous l’aurez… Oubliez la gloire
De celui qui d’un seul regard
Donne ou retire la victoire,
Souvent, pour prix de vos exploits,
Ces maîtres qui font votre envie,
Vous raviront et l’honneur et la vie :
Tremblez !!! etc.

« Vos fils serviront leurs valets ;
Vos filles, vos femmes en larmes,
De force en leurs riches palais,
Verront prostituer leurs charmes ;
Du Seigneur respectant les lois,
Un grand-prêtre a dit : Anathème !
On le massacre à l’autel même.
Tremblez !!! etc. »

« Vous serez accablés d’impôts,
Pour eux seuls produira la terre ;
Ils vous causeront plus de maux
Que la faim, la peste et la guerre.
Hébreux, ces maîtres je les vois,
Sur le glaive appuyer leur trône ;
Le sang inonde leur couronne :
Tremblez !!! etc. »

« Oui, l’avenir m’est déroulé,
Grand Dieu !!! jusqu’où va leur audace…
Mais le temple s’est écroulé,
D’Israël on proscrit la race…
Alors vous n’aurez plus le choix
De briser de rudes entraves ;
Pour toujours vous serez esclaves,
Tremblez !!! vous aurez des rois !

***

HYMNE.
1831.
Air : Tendres échos errans dans ces vallons.

Bénissons Dieu, que la céleste odeur
D’un encens pur, enfant de l’Arabie,
Des hymnes saints augmente la splendeur ;
Vierges, prenez votre harpe chérie,
Fumez, encens ; mêlez-vous, douces voix ;
Montez ensemble aux pieds du Roi des rois.

Il a voulu, mille globes de feux
Au même instant s’élance dans l’espace ;
L’homme est formé pour habiter les cieux
Dieu doit choisir les plus purs de sa race.
Fumez, etc.

Ah ! quand celui qui créa l’univers,
Dédaignerait nos vœux et notre hommage,
Croire lui plaire en nos simples concerts,
Peut de la vie alléger l’esclavage.
Fumez, etc.

[8.1]Mais qu’ai-je dit, enfant, chaque matin,
Il m’en souvient, quand j’offrais à mon père,
Des fleurs, des fruits, cueillis en son jardin,
Il souriait… Dieu nous devons te plaire,
Fumez, etc.

Souffle des airs qui bruit dans les roseaux,
Odeur d’amour qu’au printemps on respire,
Parfum des fleurs, chants légers des oiseaux,
Mariez-vous à nos chants, à la myrrhe.
Fumez, etc.


i Se vend à Lyon, chez tous les libraires. 36 pages in-18, 50 c.
ii Voici le texte de l’Ecriture sainte selon la Vulgate qui a donné lieu à cette chanson, que nous croyons pouvoir sans emphase, appeler une belle ode :

 COUPS DE NAVETTE.

Papa, il veut me battre. – C’est bon mon fils, je l’arrêterai.
Ah ! tu ne veux pas ! Pif ! paf ! pan !
En as tu assez, mon cher B....d ?
Papa, il m’a battu. – Il fallait le lui rendre. – Je n’ai pas osé ; mais je vais prévenir mon grand-frère ; il est fort, il lui tiendra les mains, et pendant ce temps je lui rendrai les soufflets qu’il m’a donné, et puis je me sauverai. – Bien imaginé, mon fils.
Moi je ne me bats qu’à coups de parapluie, a dit M. B....d.
Recevoir des soufflets, avoir des pistolets dans sa poche, c’est étonnant, mon cher B....d, lui disait un de ses amis. – Et que fallait-il faire ? si je les avais fait voir, je n’en aurais peut-être pas été quitte à si bon marché.
Le Courrier de Lyon, quand il s’agit de partie d’honneur, a un conseil d’administration qui vaut bien ses rédacteurs.
Le Charles-Quint lyonnais est enfoncé ; c’est le cas de dire qui se semble s’assemble. Tous gens d’épée et de plume.
M. C.... R.... a une excellente recette pour éviter de se battre en duel.
S’il est vrai que dans un duel il faille assortir les rangs et les conditions, M. C.....c devait-il compromettre sa vie avec cet individu qui se nomme C.... R.... ; il faut être conséquent.
MM. les rédacteurs et administrateurs du Courrier de Lyon veulent se faire assurer ; aucune compagnie n’en veut.
Un contre deux ; c’est ça être crâne.
Les bureaux du Courrier de Lyon sont encombrés de jeunes gens qui viennent s’offrir pour soutenir la querelle de ces messieurs. Va-t’en voir s’ils viennent Jean.
Très-hauts, très-puissans et très excellens C.R.... et consors daignent faire l’honneur à tels et tels d’accepter un rendez-vous.
O mes fidèles cent quatre, où êtes-vous ! disait en recevant des soufflets M. B....d.
MM. du Courrier de Lyon sont au greffe. Qui diable ira les chercher ?
Si vous voulez des exploits, adressez-vous à MM. du Courrier, ils savent en faire.
MM. C.... R...., CH...., B ...d et A … se sont rendus, dit-on, parties civiles. Si cela veut dire honnêtes, ils auraient bien dû le faire plus tôt ; tout ce tintamare n’aurait pas eu lieu.

A vendre, un atelier de dévidage, composé de trois mécaniques longues, de 32 guindres, avec le mobilier. On céderait l’appartement.
S’adresser petite rue St-Catherine, n° 5, au 4e. [97]

[8.2]4 FRANCS PAR AN.
(Moins d’un centime par jour.)
LE PÈRE DE FAMILLE,
Journal utile aux deux sexes, à tous les âges, à toutes les conditions, paraissant tous les mois, à Paris, rue des Trois-Fréres, n° 11 bis, à Lyon, au bureau de cette Feuille. [98]

le CHANSONNIER DU MOUVEMENT1 ;
Par M. J. Laudera jeune
Lyon 1832, in-32 de74 pages. Prix : 1 fr.
Se vend chez L. Babeuf, libraire, rue St-Dominique, et chez les principaux libraires à Lyon. [99]

On demande une apprentie pour la fabrication des étoffes unies.
S’adresser au Bureau. [100]

(92) Le sieur David, mécanicien, à Lyon, place Croix-Paquet, prévient MM. les fabricans, chefs d’ateliers et dévideuses qu’il établit ses nouvelles mécaniques avec une seule roue comme avec plusieurs, avec une seule corde, comme sans corde, moyens qui appartiennent à l’invention dont il est breveté, par le mécanisme de roues tournant horizontalement, dont le plan circulaire fait mouvoir les broches, et dont l’axe général ou moteur a été par lui placé au centre des mécaniques à dévider de forme ronde, afin de pouvoir les simplifier. Ce résultat a valu au sieur David un brevet ainsi qu’une mention honorable de la chambre de commerce, et une médaille en séance publique de la Société d’encouragement pour l’industrie. Toutes mécaniques à dévider et faire les cannettes qui n’auraient pas été confectionnées dans ses ateliers, seront confisquées et les contrefacteurs poursuivis devant les tribunaux. Le sieur David adapte aux anciennes mécaniques ses nouveaux procédés qui se construisent de forme ronde, longue et en fer à cheval ; il fait des échanges de ses nouvelles contre des anciennes ; en conséquence, il a toujours à vendre des mécaniques de rencontre. Le nombre d’ouvriers qu’occupe le sieur David le met à même de livrer plusieurs de ces nouvelles mécaniques le jour même qu’on lui en fait la demande, et à un prix très-modéré.

(91) Un homme de 30 ans, ayant reçu de l’éducation, désirerait se placer pour homme de peine. S’adresser à M. Buffard, plieur, place de la Croix-Rousse, n° 23.
[89] Mécanique en 600 de Skola à vendre. S’adresser au bureau du Journal.
[90] Un chef d’atelier de velours unis désirerait trouver un ouvrier pour contre-maître.
S’adresser chez M. Spadat, plieur, quai Bourgneuf, n° 116.
[94] Six métiers de courant, à vendre, ensemble ou séparément, S’adresser au bureau.
[95] Appartement de trois pièces au centre de la ville, à louer de suite. S’adresser au bureau.
[96] Une mécanique en 900 et deux en 400, à vendre. S’adresser au bureau.
[82] A vendre ; plusieurs régulateurs, remisses et peignes de 3/4 et 7/8 de 72 à 84 dents au pouce, navettes en bois pour battant à bouton. S’adresser au Bureau.
[84] Deux métiers de velours à prendre dans une maison de santé, à Brignais, près du moulin, maison Hybert. Les ouvriers et ouvrières jouiront de l’agrément d’un vaste clos.
(86) A vendre de gré à gré en totalité on en partie, atelier pour l’apprêt du satin, consistant en calandre, presse, cartons, etc. S’adresser rue des Tables-Claudiennes, n° 15.
(69) Un atelier de 3 métiers lancé avec accessoires, 2 en 6/4 au quart, mécanique 1,500, 1 en 5/4, mécanique 900. Il y a beaucoup d’ustensiles que l’on céderait à l’acquéreur.
S’adresser au Bureau du Journal, ou cours Morand, n° 8, au 4me, aux Brotteaux.
(68) A vendre, pour cause de départ, un atelier de 3 lisages en 600, 2 repiquages et un découpoir ; le tout en bon état.
S’adresser au bureau du journal, ou chez M. Buffard aîné, plieur, Grande-Rue de la Croix-Rousse, n° 23, au 2me.

Notes (  SOMMAIRE. [1.1] A nos lecteurs. – ...)

Notes (  A NOS LECTEURS . Citoyens, nous vous avons...)
1 A propos de l’épigraphe, voir la note 2 du prospectus.

Notes (  NECESSITÉ D’UNE STATISTIQUE GÉNÉRALE DE...)
1 L’auteur de ce texte est Joaquim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes (  Sur un article du nouvelliste ( suite ), et...)
1 Charles Comte (1782-1837), libéral français, gendre de J.-B. Say, sous la Restauration il avait créé avec Charles Dunoyer le journal Le Censeur. Il va publier à Paris en 1832, Procès du ″National″, au sujet des arrestations préventives pour délits de la presse. Plaidoyers de MM. Odilon Barrot, Charles Comte et Armand Carrel. Son Traité de la propriété (1834), constitue une défense du libéralisme économique traditionnel. Bouvery dénonce alors ici la raideur du libéralisme économique que défendent les épigones de J.-B. Say manifestement en échec face aux nouvelles crises économiques.
2 La lutte contre la pauvreté en Angleterre se structure depuis le XVIe siècle autour des poor laws. Les dispositions de 1795 marquent une nouvelle étape importante puisque entre cette date et 1834, a été mis en place un dispositif inédit de revenu minimum plus connu sous le nom de Speenhamland System. Les magistrats qui instaurèrent ce revenu reconnurent à toute famille le droit à une allocation monétaire versée par les pouvoirs publics, dès le moment où les revenus du travail étaient jugés insuffisants pour pouvoir vivre et entretenir une famille. Le plus souvent, ce revenu familial minimum, qui devait être indexé sur le prix du blé, semble davantage avoir fonctionné comme une sorte de secours aux malades et aux chômeurs plutôt que comme une allocation universelle, cf. Alain Clément, « Pauvreté et ordre économique dirigé - l’expérience du revenu minimum en Angleterre (fin XVIIIe – milieu XIXe siècle) », R.E.C.M.A. n° 283, février 2002.

Notes (  AVIS . Institué pour la défense des...)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Le Papillon. Journal des dames, des salons, des arts fut publié, sous la direction d’Eugène de Lamerlière (1792-184 ?) de juillet 1832 à octobre 1834. Il sera par, la suite, un court moment jusqu’à janvier 1835, remplacé par La Mosaïque lyonnaise. Journal littéraire. Ce journal se réclamant strictement littéraire et artistique était plus nettement conservateur que par exemple Le Conseiller des femmes que créera un peu plus tard à Lyon Eugénie Niboyet.

Notes ( LITTÉRATURE.)
1 Le Papillon, surtout un temps durant l’année 1832, favorisa, le premier, l’expression des femmes lyonnaises. Sophie Granger publia ainsi deux poèmes remarqués et discutés dans lesquels elle revendiquait l’égalité et l’autonomie des femmes : « Moi » fut publié dans le numéro du 10 juillet, « A la femme » dans celui du 4 septembre.
2 Après ce premier recueil, les  Chansons par Pierre Corréard, furent publiées à Lyon à l’imprimerie D.-L. Ayné en 1833.

Notes (A vendre, un atelier de dévidage, composé de...)
1 Jean Laudera, Le chansonnier du mouvement par M. J. Laudera jeune, publié à Lyon, Chez les principaux libraires, en 1832.

 

 

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